L’amplificateur pédagogique

L’amplificateur pédagogique

Scénario 1 : pédagogie inadaptée à l’amplificateur pédagogique

Comme nous le savons, si nous injectons un mauvais signal en entrée d’un amplificateur (signal trop faible, trop parasité, hors gamme de fréquences), nous obtiendrons en sortie des parasites encore plus forts et désagréables à écouter. Dans notre allégorie, ce mauvais signal en entrée, ou signal inadapté à l’amplificateur, représente une pédagogie inadaptée au Numérique éducatif. Dans ce cas-là, l’amplificateur pédagogique produira en sortie un signal parasité, une pédagogie parasitée (les signaux du haut de la Figure 123 avec titres rouges). Que vont faire les apprenants face à ce signal pédagogique distordu ? Une fois l’éventuel effet « nouveauté technologique » estompé, beaucoup risquent de préférer le signal pédagogique original, plus simple à comprendre, moins parasité, brouillé. A ce stade, nous devons rappeler que le niveau d’expertise sur les connaissances à acquérir par les apprenants, ainsi que la charge cognitive générée par la tâche à réaliser pour les acquérir, influencent fortement le transfert des apprentissages (Côté et al., 2013). La couche numérique, surtout en cas de non maîtrise, vient donc -dans ce cas- ajouter une charge cognitive non productive en termes d’apprentissages. Dans ce scénario pédagogique, « mal amplifié » ou « brouillé » par le Numérique, toute enquête scientifique viendrait à conclure que le Numérique éducatif n’est pas efficace, voire qu’il perturbe l’apprentissage en détournant l’attention des apprenants. L’enseignant témoignerait qu’il ne voit pas de réelle plus-value (mais qu’il faut bien être dans l’air du temps !) et les apprenants, qu’ils préfèrent des cours plus classiques, sans Numérique. La communauté éducative conclurait que les écrans sont nuisibles à l’apprentissage, qu’ils coûtent chers inutilement et tout ce beau monde aurait raison. Pour approfondir ce scénario favorable aux techno-sceptiques, le lecteur pourra se tourner vers l’ouvrage de Philippe Bihouix et Karine Mauvilly (2016) « Le Désastre de l’école numérique. Plaidoyer pour une école sans écrans ». Bien que nous n’adhérions pas aux propos qu’il contient, cet ouvrage est souvent cité pour illustrer cet aspect de la controverse. 

Scénario 2 : pédagogie adaptée à l’amplificateur pédagogique

 Si nous injectons à présent un signal compatible, une pédagogie adaptée donc, l’amplificateur pédagogique va amplifier et produire un signal plus fort que nous appellerons « signal à forte portée » (les textes en vert de la Figure 123). Grâce à la technologie (le Numérique éducatif ici), ce signal à forte portée pourra ainsi s’affranchir des distances (tout comme un amplificateur audio permet d’être entendu de loin), du temps (l’apprenant pouvant revoir le cours de chez lui, le soir par exemple, via enregistrement du signal), mais aussi s’affranchir du nombre d’étudiants en démultipliant la présence de l’enseignant auprès du groupe, améliorant ainsi l’individualisation des apprentissages et la participation de chaque étudiant, donc l’interaction pédagogique. Les supports numériques issus de ce « signal à forte portée » seront facilement capitalisables par les étudiants, minimisant ainsi l’inégalité d’accès aux savoirs (achats de livres par exemple). Enfin, ce signal à forte portée permettra de conceptualiser, d’imager plus facilement des phénomènes abstraits ou difficilement observables et de s’y adapter (comme en médecine, la simulation, l’imagerie médicale…). Différents gains seront donc facilement constatables au sein du dispositif pédagogique instrumenté. Dans ce scénario pédagogique « bien amplifié » par le Numérique, toute enquête scientifique conclurait sans doute que le Numérique éducatif est efficace, qu’il a un effet positif sur les apprentissages, voire que les apports sont multiples pour la majorité, même si certains apprenants n’en tirent pas réellement de bénéfice. L’enseignant témoignerait qu’il fait davantage et auprès de tous, en ne laissant « personne » sur le bord du chemin de la classe. Il dirait aussi que le Numérique a permis à l’apprenant de devenir davantage acteur de ses apprentissages, le plus souvent en groupe. Les apprenants déclareraient en majorité qu’ils s’ennuient moins en cours, voire qu’ils ont plaisir à venir. La communauté éducative conclurait que le Numérique éducatif est bénéfique pour motiver l’apprenant, le rendre davantage acteur, communicant et créatif. Ces propos, bien que parfois caricaturaux, peuvent se retrouver dans nombre de témoignages autour de dispositifs pédagogiques innovants (voir sur les sites Educavox.fr ou encore Educpro.fr316). Nous ne souhaitons pas ériger en doxa317, des grands principes et courants pédagogiques largement étayés par ailleurs, même si parfois (souvent) l’efficacité n’en est démontrée qu’à l’échelle d’une classe, avec des protocoles pas toujours très robustes, et plus rarement sur un échantillon à visée plus scientifique et quantitative. Nous avons pu expérimenter par nous-même et démontrer l’efficacité d’un dispositif de pédagogie active instrumenté, sur plus de 10 ans et relater les résultats de l’enquête longitudinale (Céci, 2016).

Les critères d’amplification techno-pédagogiques

Reprenons en détail les critères faisant partie du « signal pédagogique à forte portée » en sortie de l’amplificateur, ces derniers constituant les divers apports des Tice. L’amplificateur pédagogique (cf. le Numérique éducatif) peut donc amplifier : La distance : le signal pédagogique aura une plus forte portée que la classe. Il s’affranchira des murs et des distances, sans aucune limite spatiale, visuelle ou auditive autre que celle définie par l’enseignant ou l’institution. Le temps : ce critère comporte plusieurs niveaux d’amplification. Le signal pédagogique peut être plus fiable, plus pérenne dans le temps et moins éphémère (on sait où il se trouve, ce qui évite les versions différentes, voire erronées. On peut compter le retrouver sur le long terme et il subsiste des traces fiables du signal pédagogique hors du temps de cours). Le signal pédagogique peut aussi se continuer hors de la classe dans un cadre spatiotemporel autre, donc sur un temps augmenté. Il en résulte une amplification de la régularité du signal pédagogique, en assurant une continuité du transfert de connaissances même si le planning des cours est décousu. Le nombre d’étudiants adressés : le signal pédagogique est démultipliable à l’envi. Les mètres carrés et le nombre de chaises dans la classe ne sont plus des limites. Nous devons toutefois garder à l’esprit que le dispositif pédagogique devra être pensé pour minimiser l’impact de la distance et les effets de l’intermédiation. Par exemple, des formes de tutorats peuvent être mises en place pour « recréer de la présence à distance », autrement dit, diminuer la distance transactionnelle inhérente aux cours à distance (Moore & Marty, 2015). L’individualisation : le signal pédagogique numérisé peut être travaillé à un rythme et dans une temporalité différente. Il peut aussi être multiniveaux pour s’adapter à des promotions hétérogènes. On parle alors de parcours pédagogiques différentiés, poly-linéaires ou pluri-linéaires quand plusieurs parcours personnalisés sont possibles en fonction du niveau de l’apprenant. En exemple simple, citons la consultation d’une vidéo pédagogique, qui contrairement au cours classique en one shot, peut être consultée à nouveau le soir, mise en pause le temps de faire une recherche pour combler une lacune, voire rembobinée et reprise pour prendre le temps de comprendre, pour ralentir ou réguler le signal pédagogique donc. L’interaction pédagogique peut aussi être amplifiée par le Numérique et déboucher sur une meilleure individualisation (liens numériques enseignant-élèves et élèves-élèves). L’équité : dans une logique de réussite pour tous, le Numérique contribue à l’accès gratuit aux savoirs, via -par exemple- des supports pédagogiques numériques à coût « zéro ». Il facilite également l’archivage et la capitalisation des savoirs savants contenus dans le signal pédagogique, tout au long de la scolarité et de la vie. Au fil des ans en effet, les familles les plus modestes peuvent être tentées de se débarrasser des cahiers et livres papiers, rapidement encombrants dans un logement réduit. Enfin, l’amplification de l’individualisation précitée provoque celle de l’équité, quand le suivi individuel de l’apprenant est de mise. L’élève en difficulté reçoit donc un soutien plus quantitatif et régulier (tutorat numérique), là où l’élève en réussite travaille davantage en autonomie. L’interaction : elle est la base de la co-création, mais aussi un des trois moteurs de l’apprentissage319, ainsi que le flux informationnel par lequel l’apprentissage se régule avec l’enseignant, entre pairs, ou seul face aux supports didactiques. En cela, l’interaction constitue le levier principal de toute pédagogie dite active, ancrée dans le socioconstructivisme. Ce critère est donc souvent stratégique, voire critique dans une logique d’intégration des technologies en éducation. A tel point qu’un cours avec peu d’interactions n’aura vraisemblablement que faire des Tice, en dehors d’une médiatisation documentaire classique. En effet, une évolution forte des modes d’interactions pédagogiques nécessite une même évolution forte des postures de l’enseignant et des dispositifs pédagogiques. L’enseignant doit donc être en mesure de « lâcher prise » plus souvent, de prendre la place du « mort » ou du « fou » dans le modèle du triangle de Houssaye, car « lorsque l’axe Elève/Savoir prédomine, on se situe dans le processus apprendre et l’enseignant ou le formateur est renvoyé à la place du mort. Le mort dont il est question est le mort du jeu de bridge… » (Vellas, 2007, p. 3). Or, l’habitus de l’enseignant vise davantage la maitrise de chaque minute du cours dans une posture transmissive, plutôt que le lâcher prise nécessaire à l’interaction et permettant à la situation d’être contrôlée et régulée par les apprenants.

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