De l’autre côté du miroir l’imaginaire, le rêve et le vide dans cabaret neiges noires

Cabaret neiges noire est une pièce qui a su marquer le public d’une façon très simple: elle lui est « rentrée dedans» et l’a fortement ébranlé. C’est l’effet que l’œuvre de Dominic Champagne, Jean-Frédéric Messier, Pascale Rafie et Jean-François Caron a eu sur nous. Cette pièce de théâtre évoque la perte du rêve, aussi bien politique que social, et expose le désespoir d’une génération. Elle tente également de montrer la lumière au bout du tunnel: « Cabaret neiges noires est un spectacle qui tire sur tout ce qui bouge, un spectacle de la démesure qui, même dans ses moments les plus graves, les plus sombres, sait raviver, sait-on encore le dire, l’espoir ». Mais c’est surtout la perte du rêve que l’on perçoit dans ce collectif, perte du rêve que le lecteur reconnaît à travers l ‘humour noir de la pièce: « cette zone grise où l ‘humour grinçant se frotte au pessimisme terrifié, pour laisser dans la bouche de chacun un goût des plus amers ».

Lors des ces premières représentations aux 20 jours du théâtre à risque en 1992, le collectif suscite de bonnes et de mauvaises réactions, mais ne laisse personne indifférent. La pièce véhicule des sentiments forts et c’est ce qui la rend marquante: « Il y a parfois de ces pièces fétiches qui vous giflent en pleine face avant que vous n’ayez le temps de les comprendre. Cabaret Neiges Noires est pire que ça. J’ai encore peine à respirer. Pourtant, on m’y a mandaté justement parce que je devais y être préparé, parce qu’elle parle des maux avec les mots de ma génération. Je devais m’y reconnaître … . Elle est décrite comme  une suite de saynettes, de freak show et de pièces musicales, parfois music-hall, apparemment sans liens, dont les personnages finissent cependant par tourner de plus en plus près de Martin, un drogué travesti qui se suicide quotidiennement, dont la mère, figée dans un monde bien à elle, déprime à n’en plus savoir vivre, et dont la meilleure amie, Peste, ne peut faire mieux que de continuer à empirer.

Cabaret neiges noires évoque par ailleurs clairement un’ conflit générationnel et certains commentateurs ont même cru que cela pourrait nuire au succès de la pièce, par simple « malveillance» des baby-boomers: Toutes ces pièces ont été écrites par des jeunes auteurs, la plupart d’entre eux ayant moins de trente ans. Cabaret neiges noires pourrait être L’Osstidcho de la nouvelle génération du théâtre, Cité Libre, un prolongement de l’œuvre de Dubé. Mais il n’en est rien parce que la génération des baby boomers qui est actuellement au pouvoir, a cimenté toutes les portes d’entrée. Le processus est très subtil, jamais admis, jamais décrié mais à mon sens, tout à fait évident. Cette génération dont je fais partie, est certainement l’une des plus fermées et des plus hermétiques, et elle laisse sombrer des jeunes chômeurs. C’est tout à fait honteux et il ne faut pas se surprendre de voir une pièce aussi agressive, aussi désespérée que Cabaret neiges noire.

La critique est majoritairement positive, mais comprend bien que la pièce n’ est pas pour tout le monde.

Vous allez aimer ou détester ce show noir qui vous plonge dans le vide contemporain. C’est cru, vulgaire, cruel mais … génial. Ce show qui n’a aucun sens si on s’en remet aux propos de Roger Larue qui «ouvre le spectacle», est l’une des manifestations artistiques les plus pures, les plus authentiques que j’ai vues depuis plusieurs années. Aucune concession dans l’écriture des JeanFrançois Caron, Dominic Champagne, Jean-Frédéric Messier et Pascal Rafle qui ont réuni tant de frustrations, d’éclatements et de blessures dans ce cabaret insensé .

LE MONDE DE CABARET NEIGES NOIRES

Chute
La fin du rêve social dans Cabaret neiges noires révèle l’imaginaire de la chute. Chienne, La Grande Prêtresse, est en quelque sorte la narratrice de la pièce. Elle commente l’action et illustre la chute telle que nous l’entendons ici: « Quand j’étais petite y avait / Une expression courante / C’était / Le monde s’en va sur la bum / Astheure que je suis grande / Je pense qu’on peut poliment dire / Le monde est rendu / Où y s’en allait quand j’étais petite» (CN, p.185). Ce n’est pas que la société dégringole, c’est que le « dynamisme positif de la verticalité est si net qu’on peut énoncer cet aphorisme: qui ne monte pas tombe. L’homme en tant qu’homme ne peut vivre horizontalement. Son repos, son sommeil est le plus souvent une chute. Rares sont ceux qui dorment en montant  ». L’inaction de la part des personnages est fortement critiquée par La Vieille Dame, qui semble percevoir son fils comme principal responsable de cette situation. Son isolement est liée à cette peur de tomber, entourée de souvenir de l’époque du rêve social (le discours de Martin Luther King, le manifeste du FLQ, elle dit avoir été la secrétaire personnelle du premier ministre René Lévesque), pour se protéger du noir qui se propage à l’extérieur :

A vant même toute référence à la vie morale, les métaphores de la chute sont assurées, semble-t-i1, d’un réalisme psychologique indéniable. Elles développent toutes une impression psychique qui, dans notre inconscient, laisse des traces ineffaçables: la peur de tomber est une peur primitive. On la retrouve comme une composante dans des peurs très variées. C’est elle qui constitue l’élément dynamique de la peur de l’obscurité; le fuyard sent ses jambes flageoler. Le noir et la chute, la chute dans le noir, préparent des drames faciles pour l’imagination inconsciente. Henri Wallon a montré que l’agoraphobie n’était, au fond, qu’une variété de la peur de tomber. Elle n’est pas une peur de rencontrer des hommes, mais une peur de ne pas rencontrer d’ appui. À la moindre régression, nous tremblons de cette peur enfantine. Nos rêves, enfin, connaissent eux-mêmes des chutes vertigineuses dans de profonds abîmes (AS, p. 107).

Le rêve de Cabaret neiges noires pour Martin et son entourage n’est pas un rêve heureux; la chute est tellement abrupte que certains personnages perdent tout espoir. La mort de Martin enlève tout espoir à La Vieille Dame, qui le percevait comme son avenir, le nommant « Mon fils / Mon prince / Ma promesse / Mon héritier à moi» (CN, p.189). Peste espère toujours une élévation prochaine, disant: « Si en pognant le fond on remonte pas / Là on s’ en reparlera / En attendant fais-moi pas chier / Continue de bommer / Pis enduretoi O.K.?» (CN, p162-163). Mais Martin n’y croit pas, il n’y a pas de fond, la chute est perpétuelle: [ La chute] est marquée plus profondément par son désespoir, par son caractère substantiel et durable. Quelque chose demeure en nous qui nous enlève l’espoir de « remonter », qui nous laisse à jamais la conscience d’être tombés. L’être « s’enfonce» dans sa culpabilité. [ … ]Ma chute nocturne a laissé dans ma vie sa trace ineffaçable. Je ne puis avoir le sentiment d’être remonté parce que la chute est désormais un axe psychologique inscrit dans mon être même : la chute, c’est le destin de mes songes. Le songe, qui normalement rend les hommes heureux à leur patrie aérienne m’entraîne loin de la lumière. Malheureux entre tous l’être dont la songerie a de la lourdeur! Malheureux l’être dont le songe a la maladie de l’abîme (AS, p. 112).

Finalement, il ne reste que l’abîme sous leurs pieds, « il semble que le noir d’abîme efface tout et que finalement la chute n’ait qu’une couleur: le noir » . Martin décide donc de mourir, seul moyen de cesser cette chute, de fuir ce vide qui l’entoure, de détruire cette angoisse: « Martin: Je ferme les yeux, là, O.K.? / Peste: C’est ça, ferme les yeux. / Que c’est que tu vois? / Martin: Rien / Le même vide, le même … / Peste: Désarroi .. . / Martin: Oui, le même … / Peste: Cauchemar … / Martin: Oui … / Peste: Pis les yeux ouverts? / Martin: Même chose» (CN, p.194-195). Peste ne croit pas que la mort permette de fuir le vide, mais elle décide tout de même d’aider Martin à mourir. La chute de Martin se termine, mais celle des habitants de Putainville continue et Peste fuit en hurlant « Je veux mourir» (CN, 199), effrayée à l’idée d’affronter seule cette noirceur, ce vide.

Table des matières

CHAPITRE 1 INTRODUCTION
CHAPITRE 2 IMAGINAIRE
2.1 LE MONDE DE CABARET NEIGES NOIRES
2.1.1 CHUTE
2.1.2 LA NOIRCEUR SECRETE
2.2 IMAGINAIRE DES PERSONNAGES
2.2.1 REPLI SUR SOI ET RETOUR A LA MERE
2.2.2 EAU
2.3 SACRIFICE ET CELEBRATION
2.3.1 DOUBLE PATERNITE
2.3.2 FETE ET RETOUR A L’ORDRE
CHAPITRE 3 MICROPSYCHANAL YSE
3.1 DEFINITIONS
3.2 ÇA, MOI, SURMOI ET IMAGE
3.2.1 ÇA
3.2.2 SURMOI
3.2.3 MOI
3.2.4 IMAGE
CHAPITRE 4 LES TROIS ACTIVITES CARDINALES DE L’HOMME
4.1 REVE
4.2 AGRESSIVITE
4.3 SEXUALITE
CHAPITRE 5 LE VIDE
5.1 L’ETRE HUMAIN NE VA NULLE PART
5.2 PULSION DE MORT
5.3 LE SUICIDE
CHAPITRE 6 CONCLUSION

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