Développement technologique et innovation en périphérie

L’optimisation des efforts investis pour la recherche et le soutien à l’innovation constitue un enjeu de la première importance pour les gouvernements des pays industrialisés, qui se soucient d’assurer le développement économique et la prospérité de leurs sociétés face à un environnement mondial extrêmement compétitif, dans un contexte combinant des défis colossaux reliés à la mondialisation de l’économie, à la complexification de la technologie et à l’ampleur des attentes collectives pour la recherche de solutions scientifiques à la crise climatique actuelle.

Pour faire à ces défis, dans une volonté de fertilisation de l’innovation dans les entreprises, le Québec s’est doté depuis les années quatre-vingt d’un instrument original de soutien au transfert technologique, soit les Centres Collégiaux de Transfert technologique ou CCTT. De fait, ces organisations se sont vues confier au fil des années la mission d’accompagner les organismes et les entreprises, particulièrement les PME, dans leur démarche d’innovation et de création de nouveaux savoirs. Ce type d’implication favorise la mise en œuvre d’un mode de partage et de mise en commun des coûts de la recherche dans une perspective relative au concept d’innovation ouverte. Une telle approche permet aux entreprises disposants de moyens limités en matière de recherche et développement de réaliser une mise en commun cohérente de leurs ressources, afin de réduire les coûts collectifs de l’innovation, source de prospérité économique pour les sociétés.

La contribution significative des organisations semblables aux CCTT, qui fournissent des services de soutien à l’innovation et favorisent ainsi l’accroissement des investissements en R et D qui conduisent à un impact significatif sur le développement économique des collectivités, a déjà été étudiée et démontrée, selon la littérature, en Europe et ailleurs dans le monde (Albors-Garrigós, Rincon-Diaz, & Igartua-Lopez, 2014; Arnold et al., 2007, p. 183; Modrego-Rico, Barge-Gil, & Núñez Sánchez, 2005; Vivas, 2016).

Au Québec, le fonctionnement des CCTT en particulier a déjà été examiné par Trépanier en 2003, sous l’angle de leur impact sur le développement de leurs clients. À l’époque, 23 centres existaient sur le territoire québécois, on en compte maintenant 59. Cette étude avait permis de mieux connaître ces organisations dotées d’un rôle relativement unique dans le paysage du soutien technologique aux entreprises. Elle avait également constaté comment les CCTT se démarquaient tant par la clientèle desservie, c’est-à-dire les PME de faible et de moyenne intensité technologique, que par le caractère adapté des solutions développées et des mécanismes de transfert mis en œuvre dans le cadre de leurs projets (Trépanier, Ippersiel, Martineau, & Szczepanik, 2003, p. 41).

Cependant, de nos jours, l’environnement géoéconomique et technologique est en mutation, et les CCTT ainsi que leurs clients se sont adaptés pour faire face à ce nouveau contexte. En effet, dans un tel environnement en évolution les organisations telles que les CCTT sont appelées à jouer un rôle de premier plan grâce à leur implication active dans les processus d’innovation de leurs clients. Il s’avère donc primordial de comprendre la transformation du champ d’action des CCTT. De plus, l’étude de l’adaptation individuelle de ces organisations à leur contexte territorial particulier peut renseigner sur la pertinence même du concept de système régional d’innovation dans le contexte territorial particulier du Québec.

Ce concept de système régional d’innovation constitue un cadre d’analyse généralement utilisé pour comprendre l’action des organisations telles que les CCTT. Plusieurs gouvernements et instances politiques, tels que l’OCDE et la Communauté européenne, ont adopté ce cadre conceptuel afin de mieux anticiper et stimuler le développement économique des territoires par l’innovation. Ce cadre leur permet de mettre en œuvre des politiques publiques adaptées qui visent à accroître l’innovation par l’intégration et la collaboration entre les acteurs dans un contexte régional.

LES SYSTÈMES RÉGIONAUX D’INNOVATION

Le premier concept mobilisé ici pour comprendre la performance des organisations et de leurs territoires hôtes en innovation sera donc celui des systèmes régionaux d’innovation. Cette notion s’est imposée au fil du temps comme un cadre d’analyse pertinent pour comprendre les mécanismes de l’innovation à l’œuvre dans une zone géographique donnée et conséquemment élaborer des politiques publiques qui visent à stimuler la capacité d’innovation d’un territoire. Le concept de système régional d’innovation appréhende les milieux et les interactions entre leurs acteurs comme une fonction de créativité plus circulaire que linéaire(Proulx, 2012b, p. 3), qui caractérise les régions fortement innovatrices.

Les parties prenantes de ces systèmes comprennent les acteurs (publics et privés) d’une région, dont les activités couvrent le développement, la diffusion, la production et la promotion de l’innovation et qui interagissent régulièrement afin d’améliorer la performance en innovation collective de cette région (Schramm, 2017, p. 93; Uyarra, 2010b, p. 4). Selon cette idée, la performance en innovation d’une économie serait fondamentalement tributaire de la capacité d’innovation des firmes privées et des organismes publics ainsi que de la manière dont elles interagissent. En effet, les interactions parmi les différents acteurs régionaux généreraient des flux locaux de savoir qui contribuent à rendre accessibles et à intégrer des connaissances puisées à l’extérieur de leur région.

Cependant, la réalité et l’applicabilité même du concept dans le contexte de l’innovation technologique peuvent être remises en doute dans la conjoncture québécoise, en raison de la configuration géoéconomique et de la polarisation centre périphérie. D’ailleurs, une étude sur l’utilisation des services à forte intensité de connaissances dans les PME manufacturières a déjà mis en évidence le peu de relation entre la proximité géographique (Doloreux & Shearmur, 2012, p. 32) et le recours au SFIC pour ce type d’entreprise. Dans ce cas, la distance peut être compensée par le recours aux outils technologiques et la compétence des intervenants s’avère un meilleur critère de sélection pour un fournisseur de services par les PME manufacturières que la proximité géographique.

Dans le même ordre d’idées, d’autres travaux ont soulevé l’occurrence et l’intérêt des flux de connaissance extra régionaux (Uyarra, 2010b, p. 14) et mis en garde contre la tentation d’une certaine insularité inhérente au concept de système régional d’innovation qui suscite des politiques publiques mettant l’accent sur le développement de la coopération intra régionale. En effet, il faut considérer que les collaborations extra régionales s’avèrent également importantes dans le contexte de l’accélération de la technologie et de la compétition mondiale.

En comparaison, le concept de business ecosystem établit son point focal sur la notion de complémentarité des acteurs dans un secteur technologique précis. Il s’appuie sur des réseaux sans frontières contrairement à la notion plus balisée du système régional d’innovation fondée sur la collaboration des acteurs dans un espace géographique, qui suscite des politiques visant à construire un réseau de collaboration indépendant de la fonction spécifique de cette dernière, des buts poursuivis par les acteurs économiques et de la configuration économique sectorielle particulière d’une région donnée. De plus, si la notion de système régional de l’innovation implique que les interactions entre les acteurs soient facilitées et intensifiées par la proximité et par la présence d’une infrastructure locale de soutien et de recherche, le concept de business ecosystem prédit une interaction basée sur la complémentarité des expertises et la collaboration facilitée par les outils technologiques. Ces derniers doivent ici être compris comme le facteur qui permet le développement et le fonctionnement de tels systèmes de coopération distribués géographiquement. Enfin, si certaines études mentionnent l’influence de la proximité géographique sur la distribution de la clientèle des organismes tels que les CCTT, elles relèvent aussi une cooccurrence simultanée de la proximité sectorielle (Amparo, Juan, & Francisco, 2012, p. 1420) des clients des organisations étudiées. Dans le cas des CCTT localisés en région périphérique cependant, les proximités géographiques et sectorielles peuvent se révéler plus difficiles à obtenir simultanément, ce qui peut créer une difficulté pour l’accomplissement de leur mission, a fortiori si ceux-ci limitent leur action à leur environnement immédiat.

Selon cette logique, on peut se demander si une extension du concept des systèmes régionaux d’innovation intégrant un niveau de collaboration systémique extra régional, favorisé par les politiques publiques peut amener un meilleur équilibre entre les deux axes d’interactions, et améliorer les retombées économiques des organisations telles que les CCTT.

Il faut cependant comprendre comment les organisations telles que les CCTT peuvent, en théorie, s’intégrer et agir dans un système d’innovation donné.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LE CONTEXTE QUÉBÉCOIS DE L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE
CHAPITRE 2 CADRE CONCEPTUEL
2,1 LES SYSTÈMES RÉGIONAUX D’INNOVATION
2,2 LES MODES DE TRANSFERT DE LA CONNAISSANCE
2,3 Les « business ecosystems »
2,4 L’importance de l’interaction et de la collaboration
2,5 Les Technology Institutes ailleurs dans le monde
2.6 Typologies des organisations œuvrant en transfert technologique et soutien à l’innovation
CHAPITRE 3 LES CCTT, L’ÉTAT DE LA CONNAISSANCE
3,1 Rôle et mission spécifique des CCTT
3,2 Le sommaire des résultats des CCTT
3,3 Les pratiques de transfert des CCTT en 2003
3,4 Le rôle actuel des Centres Collégiaux de Transfert technologique
3,5 Les méthodes d’évaluation des performances des instituts de recherche
3,6 Les méthodes d’évaluation de la performance globale des CCTT
3,7 Les performances individuelles
CHAPITRE 4 HYPOTHÈSES DE RECHERCHES
CHAPITRE 5 MÉTHODOLOGIE
5,1 La performance en recherche des CCTT
5,2 Sélection des indicateurs économiques et de l’innovation intrinsèque des régions
5,3 Les caractéristiques organisationnelles
5,4 Les résultats relatifs à l’impact économique et d’innovation effectif des CCTT
CHAPITRE 6 LES DONNÉES RECUEILLIES POUR CETTE ÉTUDE
CHAPITRE 7 analyse et vérification des hypothèses
7,1 Hypothèse H1 — Les CCTT localisés dans une région plus dynamique économiquement sont plus performants en recherche
7.1.1 VALIDATION DE L’HYPOTHÈSE
7,2 Hypothèse H2 — Les caractéristiques organisationnelles intrinsèques des CCTT affecteNT leur performance en recherche (facteurs endogènes)
7.2.1 La proportion de projets de recherche appliquÉe
7.2.2 La quantitÉ de collaborateurs
7.2.3 L’âge des CCTT
7.2.4 La quantitÉ de personnel scientifique
7.2.5 Le nombre de collaborateurs DÉTenteurs d’un PhD
7.2.6 La quantitÉ de PME chez les clients des CCTT
7.2.7 La proportion de PME chez les clients des CCTT
7.2.8 Le financement privÉ
7.2.9 Validation de l’hypothÈse
7,3 H3- Les CCTT plus performants en recherche produisent plus d’impact économique
7.3.1 Les projets de recherche appliquÉe
7.3.2 Les projets d’aide technique
7.3.3 Le revenu total pour tous les types de projets
7.3.4 Les investissements
7.3.5 Les publications
7.3.6 Validation de l’hypothÈse
7,4 H4- Les caractéristiques organisationnelles intrinsèques des CCTT influence leur impact économique
7.4.1 La proportion de projets de recherche appliquÉe
7.4.2 La quantitÉ totale de collaborateurs
7.4.3 L’âge des CCTT
7.4.4 La quantitÉ de personnel scientifique
7.4.5 La quantitÉ de collaborateurs dÉtenant un PhD
7.4.6 La proportion de PME, la quantitÉ de PME et la part de financement privÉ
7.4.7 Validation de l’hypothÈse
7,5 H5 — Les CCTT localisés dans une région plus dynamique économiquement PRODUISent plus d’impact économique
7.5.1 Validation de l’hypothÈse
7,6 H6 — Les CCTT localisés en région éloignée sont plus actifs à l’extérieur de leur réseau régional (présence et interaction dans leur écosystème d’affaires)
7,7 H7- Le niveau d’activité des CCTT à l’extérieur de leur réseau régional est lié à leur performance en recherche
7.7.1 Validation de l’hypothÈse
7,8 H8 — Le niveau d’activité des CCTT à l’extérieur de leur réseau régional est lié à leur impact économique et en innovation
CHAPITRE 8 ANALYSE TYPOLOGIQUE DES CCTT
CHAPITRE 9 interprÉtation et discussion des résultats
CHAPITRE 10 LIMITATIONS DE L’ÉTUDE
CONCLUSION

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