PRINCIPALES STRUCTURES DE VARIABILITE DE LA SURFACE DE LA MER

Le changement climatique est un grand défi du XXIème siècle. Ce changement se manifeste par un réchauffement global, continu et sans équivoque (GIEC, 2013). Les gaz à effet de serre, d’origine anthropique, deviennent de plus en plus probables comme principal facteur de ce réchauffement. Sous les effets du changement climatique, les océans se réchauffent ; leur niveau augmente et leurs caractéristiques physiques changent, impactant la géochimie et la biologie océaniques (Levitus et al. 2000 ; Doney et al. 2012).

L’océan mondial stocke en effet près de 93 % de la chaleur excédentaire observée durant les six dernières décennies (Levitus et al. 2012). Ce réchauffement affecte particulièrement la couche superficielle de l’océan (0-75 m) où l’on a enregistré une croissance de 0.11°C/décennie entre 1971 et 2010, soit 0.44 °C en moins de 40 ans (GIEC, 2013, a). Les conséquences sur l’écosystème marin sont multiples (Brierley and Kingsford, 2009). Entre autres, le réchauffement des eaux superficielles provoque les modifications des propriétés physiques et biogéochimiques de l’habitat marin (Richardson and Schoeman, 2004 ; Riebesell et al., 2009). Dès lors, des changements au niveau des populations se produisent, en raison de l’intolérance physiologique des organismes marins aux nouveaux environnements avec les patterns de dispersion et les interactions inter espèces modifiés (Doney, et al., op.cit.).

A l’échelle globale, de nombreuses études (Gregg et al. 2003 ; Antoine et al. 2005 ; Behrenfeld et al. 2006 ; Boyce et al. 2010), révèlent une baisse significative de la production primaire net de l’océan (PPN). Cette baisse est associée à la hausse de la température de la surface de la mer (Behrenfeld, 2006). L’une des principales causes, est que le réchauffement intensifie la stratification, limitant ainsi l’enrichissement de la zone euphotique en nutriments. Les projections futures indiquent des réductions de 2 à 20 % de PPN d’ici à l’horizon 2100 (Steinacher et al. 2010). A plus ou moins long terme, la baisse de la PPN se traduirait par une perte significative de rendement de la pêche notamment dans les zones tropicales (Sumaila et al. 2001 ; Brander, 2007, 2010 ; Hollowed et al. 2013).

Ces tendances sont variables suivant les régions, les espèces de phytoplancton et aussi en fonction des types de climat et de leurs variations (Gregg and al. 2003 ; Rousseaux and Gregg, 2013). Dans beaucoup de pays en développement, l’évolution des propriétés des eaux marines et en particulier des paramètres clés, telles que la température de la surface de la mer et la production primaire ainsi que l’impact sur les pêcheries locales demeurent généralement très mal connues.

Le Golfe de Tadjourah en République de Djibouti, fait partie de ces rares zones qui, en dépit de leur importance, restent encore inexplorées. Cette mer épicontinentale est presque entièrement bordée par la République de Djibouti et est ouverte à l’est sur le Golfe d’Aden dont il est le prolongement. A l’ouest, elle pénètre profondément dans le continent au niveau de la Corne de l’Afrique (Bonatti et al. 2015). Elle est traversée d’est en ouest par un grand fossé d’effondrement (Rift de Tadjourah) qui se prolonge par la Baie de Ghoubet-al-Kharab .

Modeste par sa superficie (≈4500 km²), le Golfe de Tadjourah est riche d’intérêt, tant du point de vue océanographique, climatique, écologique et/ou économique. Sa position géographique le place en effet au croisement des eaux sortant de la Mer Rouge et des eaux de l’Océan Indien, conduisant à une zone de mélange qui réunit à la fois les caractéristiques de ces deux grandes régions biogéographiques. En outre, entourée par des terres arides et bordée à l’ouest par la dépression de l’Afar, l’une des régions la plus chaude au monde, l’aire marine subit aussi les effets du climat aride et chaud. Enfin, c’est une zone de pêche par excellence qui fournit presque la totalité de la production locale en poissons. Cependant, du fait de son retranchement, le Golfe de Tadjourah n’a pas bénéficié d’échantillonnages océanographiques systématiques. Les connaissances sur son environnement marin demeurent très fragmentaires et beaucoup de processus demeurent encore mal compris.

Aujourd’hui, la raréfaction de certains stocks pêchés, les fluctuations prononcées de la production des pêches et une demande sociétale de plus en plus croissante, font sentir le besoin d’acquérir les connaissances sur les facteurs environnementaux et d’en étudier l’impact sur la pêche. En effet, les gestionnaires de pêches sont souvent confrontés à l’irrégularité de la production, parfois drastique, d’une année à l’autre. D’après les pêcheurs, ces fluctuations sont liées aux variations de l’abondance des petits pélagiques notamment les sardines (Sardinella sp.) et les selars (Atule mate), exclusivement exploités comme appâts. Or, dans ses travaux, Bouhlel (1988) qui a décrit ces espèces, a observé une saisonnalité très marquée et une chronologie dans l’apparition des espèces pélagiques et semi pélagiques. Ces espèces colonisent le Golfe de Tadjourah durant la saison chaude (avril-septembre). Selon l’auteur, elles seraient attirées par le bloom phytoplanctonique de la période estivale. La baisse de l’activité planctonique en hiver entrainerait le départ vers d’autres régions de la majorité des stocks de grands pélagiques qui lui sont associés. Ces observations montrent que la dynamique et l’abondance des stocks de poissons exploités sont associées, directement ou indirectement, aux facteurs environnementaux.

Il est bien connu depuis longtemps que les espèces pélagiques sont sensibles aux variations des conditions de leur environnement (Cushing 1982 et 1996, Cury et Roy, 1989 ; Polovina, 1996 ; Lehodey et al., 1997; Ravier and Fromentin, 2004 ; Corbineau et al., 2008). Leur abondance reste tributaire du succès de recrutement lié à la quantité de nourriture disponible (phytoplancton) dans le milieu, elle-même dépendante des facteurs environnementaux (Cushing, 1971 ; Faure et al., 2000). Ces facteurs peuvent agir également sur les comportements migratoires et sur la reproduction de certaines espèces (préférendums thermiques). Cependant, dans le cas des pêcheries du Golfe de Tadjourah, aucune donnée quantifiable pouvant établir un lien entre les changements de l’habitat marin et la pêche n’est disponible. Les informations rapportées par les pêcheurs et celles émanant des études descriptives actuellement disponibles demeurent peu précises.

Ce constat se dégage d’un atelier sur l’environnement et les ressources tenu en octobre 2011 et qui réunissait différents acteurs : chercheurs, gestionnaires de pêche et décideurs. On ne sait pas comment varient les conditions de l’habitat marin, leurs échelles de variabilité et, encore moins les mécanismes qui les régissent. Cette absence de connaissance constitue aujourd’hui un obstacle majeur à la prise en compte des facteurs environnementaux dans la gestion rationnelle des ressources halieutiques et aussi à l’élaboration des stratégies d’adaptation au changement climatique, initiées dans le cadre de la convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique. Les paramètres physiques et biologiques de l’habitat marin et leur suivi s’avèrent capitaux, tant ces paramètres devraient être amenés à évoluer face à l’augmentation des températures attendue au cours des prochaines décennies.

La zone d’étude est représentée par le Golfe de Tadjourah (ci-après, GdT). Du point de vue climatique et océanographique, cette zone s’inscrit dans une vaste région soumise au régime de la mousson de l’Océan Indien, qui s’étend du nord-ouest de l’Océan Indien jusqu’au sud de la Mer Rouge au sud de 20°N . L’objectif de ce premier chapitre est de présenter une revue de connaissances climatiques et océanographiques sur cette région. Le Golfe d’Aden (ci-après, GdA), qui comprend le GdT, occupe la majeure partie de cette région. Par conséquent, la première section du chapitre porte sur les caractéristiques du GdA et ses interactions avec la Mer Rouge et la Mer d’Arabie. Le but ici n’est pas de faire une synthèse exhaustive mais plutôt de donner, à la lumière des connaissances actuellement disponibles, un aperçu général du contexte climatique et océanographique dans lequel s’inscrit la présente étude. Dans la seconde section, de façon plus spécifique, nous dresserons un état des connaissances actuellement disponibles sur le GdT qui fait l’objet de notre étude.

Le GdA est le prolongement nord-ouest de l’Océan Indien et qui sépare l’Arabie de la Corne de l’Afrique. Il est approximativement limité entre les latitudes 10°N-12°N et les longitudes 43°E-51°E. A son extrémité nord-ouest, il est connecté à la Mer Rouge par le détroit de Bab-al-Mandeb et ouvert à l’est sur la Mer d’Arabie. Du côté continental, il est entièrement bordé au nord par le Yémen, à l’ouest par Djibouti et au sud par la Somalie .

La circulation atmosphérique est essentiellement gouvernée par la renverse saisonnière des vents de moussons de l’Océan (Schott and McCreary, 2001). Ainsi, durant l’hiver boréal, le continent eurasiatique devenant plus froid que l’océan, une zone de haute pression se forme au-dessus du subcontinent indien (Schott et al. 2009). Celle-ci contraste avec la zone de basse pression localisée au sud de l’Océan Indien au-dessus de Madagascar où se situe la zone de convergence intertropicale (ZCIT). Les vents soufflent alors du continent vers l’océan suivant une direction nord est/sud-ouest. Ce sont les vents de mousson du nord-est (MNE). Durant l’été boréal, la situation s’inverse. Le continent devenant plus chaud et l’océan plus froid, la ZCIT migre vers le nord et les vents prennent une direction sud-ouest/nord-est : ce sont les vents de mousson du sud-ouest (MSO). Dans le GdA, l’inversion entre les deux saisons varie d’une année à l’autre et même entre l’est et l’ouest du golfe (Fieux, 2010). Cette forte variabilité spatiale et interannuelle rend difficile la délimitation de deux saisons ainsi que les périodes de transition. Piechura et Sobaih (1986) ont délimité la saison de la MSO aux mois de juillet-aout et la saison de la MNE de novembre à février. Ils ont classé les autres mois durant lesquels les vents sont faibles dans les saisons de transition (l’inter-mousson). Al Saafani et Shenoi (2007) ont observé que les vents du sud-ouest s’établissaient dès le mois de juin et se renforçaient davantage entre juillet et aout, atteignant une vitesse moyenne de 8 m/s à l’est du GdA, tandis qu’en septembre, les vents étaient faibles (< 2 m/s) et soufflaient de différentes directions. A partir des observations satellites de QuikSCAT, ces auteurs ont situé la MSO de juin à septembre et la MNE de novembre à mars. Ils ont considéré les mois d’avril, mai et octobre comme les périodes de transition .

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1 Introduction
1.2 Caractéristiques du Golfe d’Aden
1.2.1 Conditions climatiques
1.2.1.1 Circulation atmosphérique
1.2.1.3 Température de l’air, humidité relative et bilans de chaleur
1.2.2 Conditions océanographiques du GdA
1.2.2.1 Circulation de surface, de subsurface et hydrographie
1.2.2.2 Structure thermohaline
1.2.2.3 Structures biogéochimiques de surface et de subsurface
1.3 Echanges d’eau du Golfe d’Aden avec la Mer Rouge et la Mer d’Arabie
1.4 Etat de l’art dans le Golfe de Tadjourah
1.4.1 Présentation de la zone d’étude
1.4.1.1Milieu physique
1.4.1.3 Les conditions de l’environnement marin
CHAPITRE 2 : PRINCIPALES STRUCTURES DE VARIABILITE DE LA SURFACE DE LA MER
2.1 Introduction
2.2 Méthodologie
2.2.1 Données utilisées
2.2.2.1 Délimitation de la zone d’étude et prétraitement de données
2.2.2.4 Comparaison de données satellites versus les données in situ
2.3.1 Variabilité temporelle
2.3.1.1 Analyse descriptive simple des séries temporelles de la SST et de la CHL-a
2.3.1.3 Analyse des résultats de décomposition par la méthode SSA
2.3.1.5 Analyse des tendances long terme (2000-2009)
2.3.2 Variabilité spatiale
2.3.2.2 Climatologie mensuelle des champs SST et CHL-a
2.3.2.3 Résultats de l’analyse EOF
2.3.2.4 Variabilité intra-saisonnière
2.3.2.5 Résultats de l’analyse EOF des champs SST et CHL-a à l’échelle sous-régionale
2.3.7 Analyse de la relation entre SST et CHL-a
2.3.7.1 Analyse spectrale singulière multivariée (M-SSA)
2.3.7.2 Analyse des modes couplés par la méthode SVD
2.4 Discussion
CHAPITRE 3 : LES EFFETS DES INTERACTIONS AIR – MER SUR LES STRUCTURES DE VARIABILITE DE LA SURFACE DE LA MER
3.1 Introduction
3.2 Données utilisées
3.2.1 Choix de paramètres météorologiques
3.2.2 Données satellites
3.2.2.2 données atmosphériques in situ
3.2.2.3 Données de ré-analyse ECMWF
3.3 Méthodes d’analyse
3.4 Résultats
3.4.1 Evolution annuelle des conditions météorologiques au-dessus du Golfe de Tadjourah
3.3.1 Analyse de la variabilité temporelle de paramètres atmosphériques
3.3.4 Analyse M-SSA
2.3.6 Flux net annuel de chaleur à la surface de la mer
3.5 Discussions
CONCLUSION GENERALE

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