Implantation et développement de l’enseignement supérieur en abitibi-témiscamingue

L’enseignement supérieur élitiste et de masse 

Pour les futurs historiens des systèmes d’enseignement supérieur en Europe occidentale et au Québec, les années 1970 demeureront celle!! où ces systèmes ont été confrontés au phénomène de l’enseignement supérieur de masse quelque deux ou trois décades après les États-Unis et l’Union soviétique. Il s’agit là d ‘une évolution importante, peu importe l’interprétation qu’on lui donne et la variété des concepts qu’elle recouvre quant à sa mission, sa forme institutionnelle, ses relations avec le marché et le pouvoir politique. La dimension statistique est quant à elle primordiale quand on oppose enseignement supérieur élitiste et enseignement supérieur de masse .

Cest en Europe qu’est né le concept d’enseignement supérieur de masse mais ce sont les États-Unis qui ont donné le premier exemple concret de ses possibilités : les causes en remontent au Ise siècle avec l’avènement de l’enseignement élémentaire offert à tous et Cependant, selon Martin Trow, l’enseignement supérieur destiné à l’élite continue d’exister malgré la place importante que prend son homologue dit de masse. À la diversité des intérêts et des fonctions sociales doit correspondre la diversité de l’enseignement supérieur. En même temps, les institutions d’enseignement supérieur doivent tenir compte des innovations technologiques et de la croissance économique, le corps étudiant tendant à refléter les valeurs et les préoccupations de sa génération et non celles de ses aînés.

La démocratisation et l’accessibilité 

Au Québec, en 1979, la Commission d’étude sur les universités pose ainsi le problème de la démocratisation des connaissances : « À ce propos, on a coutume de dire que tout savoir confère un pouvoir à celui qui le possède, ce qui voudrait dire que ceux qui en possèdent plus sont en situation de supériorité par rapport à ceux qui en ont moins et qu’il en résulte une inégalité, que ce soit entre les hommes, les groupes ou les états. Comme nous postulons que toute inégalité n’est pas inscrite dans la nature même des choses, nous sommes obligés d’expliquer les disparités entre les individus et les groupes par l’inégalité des chances d’accès aux ressources les plus importantes, dont les connaissances. » <<C’est en ce sens que l’accès à l’université devient un problème social puisque cet accès permet aux individus et aux groupes de profiter de la culture et de la science et d’acquérir un ensemble de connaissances qui auront une incidence sociale, politique et économique. Une regwn qui n’a pas sa part de diplômés universitaires est une région gravement défavorisée dans une société comme la nôtre. » .

Pour les besoins de notre recherche, nous avons décidé de lier cette notion à celle d’accessibilité encore que cette dernière doive, elle aussi, être explicitée et nuancée.

Le terme accessibilité est devenu d’usage courant dans les discussions sur les politiques d’éducation dans les années 1960. L’utilisation de ce terme marque le changement d’attitude en regard du droit à l’éducation qu’on remarque après la deuxième guerre mondiale. Cette nouvelle attitude fut officialisée par l’O.N.U. dans l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par son Assemblée générale le 10 décembre 1948. Cette déclaration spécifie que toute personne a droit à l’éducation, que l’enseignement technique et professionnel sera mis à la disposition générale et que l’enseignement supérieur deviendra accessible à tous sur la base du mérite . Notre définition opérationnelle de l’accessibilité à l’enseignement supérieur sera donc la suivante : « … possibilité pour quiconque a les aptitudes nécessaires d’accéder aux études universitaires ».

Selon Paul Anisef (1985) il existe deux façons principales de définir l’accès: « 1) examiner la probabilité moyenne pour l’ensemble de la population et 2) insister plutôt sur les variations entre les divers groupes de personnes possédant des caractéristiques communes (sexe, langue, état socio-économique) suivant une optique de stratification sociale >>. C’est de la première approche que s’inspirera notre démarche pour évaluer l’atteinte de l’objectif d’accessibilité à l’enseignement supérieur.

L’enseignement supérieur
Au Québec, il existe deux niveaux d ‘enseignement supérieur : l’enseignement collégial et l’enseignement universitaire. Dans notre recherche, ce terme désigne l’enseignement universitaire.

L’Université régionale
C’est l’université située hors des grandes agglomérations urbaines et dont les activités d’enseignement et de recherche s’exercent auprès de collectivités souvent petites et dispersées sur des territoires parfois très étendus .

La région périphérique
C’est une région à population limitée et de faible densité loin d’un grand centre urbain. On appelait ainsi en 1970, la région du Nord-Ouest comprenant les comtés d’Abitibi-Est, Abitibi-Ouest, Rouyn-Noranda et Témiscamingue, aujourd’hui région administrative 08 ainsi que les municipalités de Matagami, Lebel-sur-Quévillon et Chibougamau faisant aujourd’hui partie de la région 10.

Les demandes accrues de la société et l’explosion des connaissances 

À partir des années 60, la société occidentale remet en question le rôle de l’université. Cette remise en question est très visible à travers les contestations étudiantes de la fin des années 60, lesquelles atteignirent un sommet en Europe et même aux États-Unis en 1968. Les étudiants réclamaient la démocratisation des structures et la participation étudiante aux instances décisionnelles.

Et pourtant, le système universitaire américain était à cette époque, engagé depuis longtemps dans une expansion massive et offrait dans l’ensemble d ‘excellentes conditions de travail et d’étude. Ce n ‘est pas à ces conditions que la jeunesse américaine en voulait réellement mais au rôle de l’université comme agent de pouvoir. Les étudiants avaient pris conscience des problèmes de l’université liés au rôle de la connaissance dans le fonctionnement de la société, dans sa hiérarchisation et dans son système de pouvoir. Ils succédaient à une génération conservatrice (après-guerre) qui ne s’était pas ou peu posé de questions sur le rôle de l’université et l’utilisation du savoir, mais ils constataient d’une part que le diplôme universitaire ne leur assurait pas à coup sûr un avenir intéressant et d’autre part, ils ne voulaient pas aller se battre au Vietnam. Cette guerre les amena à mettre en cause les liens de l’université et de l’establishment politico-militaire.

En France, la situation était différente puisque le nombre d’étudiants avait triplé en dix ans et que l’organisation ancienne très centralisée avait de la difficulté à composer avec cette expansion. Un grand nombre d’étudiants devaient vivre dans des conditions peu acceptables pendant leurs études universitaires sans compter un nombre important de jeunes gens qui auraient voulu faire des études supérieures et qui n’y avaient pas accès. Parallèlement, des intérêts personnels étaient en jeu : en France, les maîtres assistants voulaient une meilleure adéquation entre leur statut et les responsabilités qu’ils détenaient, c’est-à-dire une véritable participation au pouvoir. Beaucoup d’ouvrages ont été consacrés aux contestations étudiantes et on peut certainement en conclure que le mouvement étudiant n’était pas seulement une crise de l’université mais une remise en question de son rôle dans la société.

Dans le public, que ce soit ici ou dans le reste du monde occidental, on ne considérait plus l’université comme une sorte de tour d’ivoire, centre privilégié de connaissances auquel seulement une élite avait accès. Dans la plupart des pays, l’université était perçue comme un agent de développement socio-économique. Auparavant, elle avait été un lieu de reproduction de l’héritage socioculturel et de consolidation d’une élite dirigeante. Mais le progrès de la connaissance scientifique et son rôle dans le développement socio-économique faisaient de l’université un lieu de pouvoir politique et un agent de développement socio-économique, parce qu’elle était un centre de production et de diffusion de la connaissance scientifique. Cela était particulièrement vrai aux États-Unis où les universités possédaient (comme aujourd’hui) d’importants centres de recherche.

Dans les autres pays du monde occidental où la recherche technologique n’était pas concentrée dans les universités, l’impact considérable des connaissances scientifiques sur le développement de la technologie faisait quand même percevoir l’université comme un agent de développement socio-économique important. En Europe comme au Québec, les citoyens des régions rurales et semi-urbaines réclamaient la décentralisation pour un plus grand pouvoir sur les décisions affectant le développement socio-économique de leur milieu de vie. Ils firent des pressions auprès de leurs élus politiques pour obtenir dans chaque région une institution d’enseignement supérieur. Ils étaient convaincus qu’il en résulterait une hausse de la scolarité générale et une nette amélioration de la formation professionnelle. Un tel apport au réservoir des ressources humaines devrait, croyaientils, avoir un impact positif sur le développement socio-économique de la région. De plus, chaque nouvelle institution amènerait avec elle des retombées économiques directes sous forme de dépenses par le personnel en place sans compter les effets multiplicateurs des dollars dépensés.

Au Québec, la décentralisation était souhaitée aussi pour des raisons politiques. L’idée était très populaire dans les régions puisqu’elle aurait permis de donner des postes dans les nouvelles universités aux jeunes Québécois qui étaient allés étudier à l’étranger et qui étaient revenus titulaires de Ph.D.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I LA PROBLÉMATIQUE
Le contexte
L’objet et les limites de la recherche : implantation et
développement de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
CHAPITRE II LE CADRE D’ANALYSE ET LA MÉTHODOLOGIE
Le modèle d’analyse
Le choix de la méthodologie
CHAPITRE III LE PORTRAIT SOCiü-ÉCONOMIQUE DE L’ABITIBI TÉMISCAMINGUE ET  L’ENSEIGNEMENT POST-SECONDAIRE AVANT L’IMPLANTATION
Le portrait socio-économique de l’Abitibi-Témiscamingue
L’enseignement post-secondaire en Abitibi-Témiscamingue avant 1970
CHAPITRE IV L’IMPLANTATION DE L’UQAT ET LES CARACTÉRISTIQUES DE L’UNIVERSITÉ 1970-1990
Les débuts de l’enseignement universitaire en 1970
La « crise» de 1971 et la réorganisation
Le développement sous les différents statuts juridiques de 1972 à 1983
La population étudiante
Le corps professoral
L’organisation de l’enseignement et les programmes
Les infrastructures de la recherche
Les services à la collectivité
CHAPITRE V LA FORMULATION ET LA REFORMULA TION DES OBJECTIFS
Les objectirs généraux de l’Université du Québec
les objectifs de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et
leur évolution
CHAPITRE VI L’ÉVALUATION DE L’ATTEINTE DES OBJECTIFS
CHAPITRE VII L’UQAT ET LES AUTRES CONSTITUANTES EN RÉGION
L’université du Québec à Chicoutimi
L’université du Québec à Rimouski
L’université du Québec à Trois-Rivières
CHAPITRE VIII L’UQAT ET DEUX UNIVERSITÉS NORDIQUES
L’Université de Tromsô, 1972-1980
L’Université de Norrland
CONCLUSION

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