La politique inclusive dans le secteur du handicap

Pour Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées « La prise en compte du handicap dans les établissements spécialisés après-guerre a généré un système à part et cette vision est restée »  . Nous percevons une dénonciation d’un modèle jugé passéiste à qui l’on reproche de ne pas avoir su évoluer au cours des dernières décennies.

Evolution conjointe de l’approche du handicap et des politiques sociales associées

Afin de mieux comprendre les enjeux des politiques du handicap, il convient de faire un détour historique pour revenir à l’émergence même de cette notion dans l’espace public. Les politiques du handicap sont des politiques catégorielles, c’est-à-dire basées sur une approche des individus sous forme d’une « catégorie d’action publique » (BAUDOT et al.,2013). Elles se sont structurées au 20ème siècle alors même que la première définition légale du handicap n’apparait qu’en 2005 telle que:« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. ».

Si la catégorie « Handicap », en faisant fi du genre, de l’âge ou encore du lieu de vie, annihile à elle seule toute forme identitaire autre, il n’en demeure pas moins que cette catégorisation a permis l’émergence de la question du handicap comme une responsabilité collective et a légitimé une action publique spécifique.

Les prémices politiques

La première moitié du XXe siècle marque le passage d’une politique du handicap basée sur l’assistanat à une reconnaissance d’un droit à réparation. Ce changement se situe dans un premier temps autour de la question du handicap physique car il est intimement lié à « l’infirmité » entrainant des incapacités de travailler (1898 : première loi sur les accidents de travail). Les deux guerres et l’arrivée massive des mutilés de guerre engagent le législateur à prendre des mesures favorisant l’accès à l’emploi.

Le handicap intellectuel n’est pas mis de côté par les politiques publiques. Les premières recherches liées à l’éducation spéciale démontrent qu’il est possible d’éduquer ces enfants différents. C’est en 1909, que les premières classes de perfectionnement sont créées dans quelques écoles par le ministère de l’Instruction Publique pour les enfants alors qualifiés d’ »anormaux d’école ». La politique sociale vise alors à leur permettre de subsister et éviter ainsi de tomber dans la délinquance. La naissance de l’éducation spéciale marque le début d’une triple évolution que sont la spécialisation des lieux de prise en charge, la catégorisation des populations et des individus et enfin la mise en place des traitements adaptés.

Emergence et construction d’une catégorie d’action sociale

C’est après la seconde guerre que va s’élaborer une politique d’action sociale ambitieuse qui commence par la protection de l’enfance puis qui invente le champ du handicap (Loi de 1948, décret de 1956 en attendant la grande loi de 1975). La notion d’inadaptation apparaît puis le terme de handicap (sans pour autant le définir) dans la loi de 1957 relative à l’emploi des travailleurs handicapés. Dès 1971, la déclaration des droits du déficient mental par l’ONU dans son article premier stipule que « le déficient mental doit, dans toute la mesure du possible, jouir des mêmes droits que les autres êtres humains ».

La loi n°75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées reconnaît les droits à l’éducation, au logement et au travail pour les personnes en situation de handicap. Elle consacre ainsi, dans l’espace public, la question du handicap comme une question de société, actant par-là même la création des établissements et services spécialisés comme lieux de prise en charge et de compensation du handicap.

En 1980, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose une première définition du handicap : « est handicapé un sujet dont l’intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge, d’une maladie ou d’un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l’école ou à occuper un emploi s’en trouvent compromises ».

Vers un modèle social du handicap

A la lumière des recherches des sociologues sur le stigmate (Goffman, 1975), sur l’environnement (Olivier, 1996) ou encore sur l’institutionnalisation du handicap (Bodin, 2018), la conception même du handicap évolue vers une définition sociale consistant à l’envisager comme une résultante d’inadaptations de l’environnement et de discriminations exercées par la société. « Dans une perspective systémique du fonctionnement humain, la CIF s’efforce de concevoir le handicap, non comme une maladie ou un problème uniquement individuel, mais comme le résultat d’une interaction entre différents facteurs, notamment corporels, sociaux et contextuels, c’est-à-dire des facteurs personnels et environnementaux. L’environnement est un facilitateur ou au contraire un obstacle à la réalisation des activités quotidiennes et à la participation des personnes à la vie en société » . Dès lors, la personne handicapée devient une personne en situation de handicap et le droit à la compensation remplace le droit à la réparation. Pour le législateur, il s’agit de mettre en œuvre des modalités de « compensation pour réduire et surmonter les incapacités fonctionnelles des personnes elles-mêmes ».

Cette révolution paradigmatique du handicap a fait émerger cette question de manière transversale dans les politiques publiques puisque, depuis la circulaire du premier ministre de juillet 2014, le « handicap » devient objet politique et doit être intégré à chaque loi. Pour Sophie Cluzel, « Si l’on veut que la personne soit citoyenne avant tout, elle doit entrer dans le droit commun. On a bien vu qu’avec une politique du handicap à part depuis 1975, les résultats ne sont pas bons. Il faut irriguer toutes les politiques publiques » .

Les politiques de désinstitutionalisation

La loi n°75-534 du 30 juin 1975 marque une volonté du législateur significativement orientée vers la construction de murs. Des murs qui protègent mais aussi finalement des murs qui excluent. Les lois n°2002-2 du 2 janvier 2002 et n°2005-102 du 11 février 2005 amorcent un changement de conception de la personne en situation de handicap avec la volonté de rendre le plein exercice de leur citoyenneté aux personnes dans le cadre de leur prise en charge.

Si du point de vue national les évolutions législatives maintiennent les dispositifs en offrant en leur sein des droits plus étendus aux personnes, sur le plan supra national, le constat est autre. La convention internationale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006 et ratifiée par la France, a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les Droits de l’Homme et libertés fondamentales pour les personnes handicapées et de garantir leur dignité. Sur le plan européen également, les politiques tendent à évoluer du point de vue de l’égalité des droits et des chances des personnes en situation de handicap. Dans un document d’orientation nommé « Europe 2020 » sont exposées les “Lignes Directrices Européennes communes sur la transition des soins en institution vers les soins de proximité” visant à aider les Etats membres à mener à bien des réformes structurelles en faveur d’une croissance inclusive. La politique inclusive marque la volonté de permettre à chaque personne handicapée de décider de ses choix, de “s’autodéterminer”, dans un environnement valorisant ses capacités et la promotion de sa pleine citoyenneté.

Au travers de ce bref historique, nous pouvons percevoir le glissement d’une politique publique qui a dans un premier temps porté assistance, qui a ensuite promu une volonté d’intégration et qui aujourd’hui souhaite tendre vers l’inclusion. La construction d’une catégorie d’action sociale « handicap » a favorisé le développement de réponses adaptées et spécialisées en même temps qu’elle a produit et entretenu une forme de stigmate pour ces populations. Le basculement vers la vision sociale du handicap a poussé la réflexion sur l’adaptation de l’environnement lui-même. « En redéfinissant le handicap à partir des obstacles qui empêchent les individus d’aimer, de circuler, de travailler et d’apprendre, le « disability rights movement » a déplacé la question d’une incapacité individuelle à une prise en considération collective » . Le mouvement de désinstitutionalisation est lié à la volonté de promouvoir une politique inclusive. Cependant, politiques publiques et acteurs ont, nous allons le voir, co-construit un secteur pensé avec des codes, des institutions et des cadres que ces mêmes acteurs doivent aujourd’hui déconstruire et repenser.

Si pour l’Unapei, cela n’est pas significatif du déclin du secteur médico-social, ni de l’extinction des établissements, et que cela “constitue bien une évolution positive d’une société ouverte qui prône le vivre ensemble”  , nous allons voir comment cette évolution vient bousculer tout un secteur. Mais, avant cela, il nous semble nécessaire de revenir sur la manière dont s’est structuré le secteur du handicap.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DES TERRAINS ET METHODOLOGIE
1. De la définition d’un sujet à son évolution
2. Méthodologie de recueil des données
3. Présentation des terrains d’étude
DEUXIEME PARTIE : LA POLITIQUE INCLUSIVE DANS LE SECTEUR DU HANDICAP : EVOLUTION OU REVOLUTION ?
1. Evolution conjointe de l’approche du handicap et des politiques sociales associées de l’assistance à l’inclusion
1. 1. Les prémices politiques
1. 2. Emergence et construction d’une catégorie d’action sociale
1. 3. Vers un modèle social du handicap
1. 4. Les politiques de désinstitutionalisation
2. Le champ organisationnel du secteur du handicap : histoire et enjeux
2. 1. De la logique domestique à la logique de mouvement : la genèse des associations parentales
2. 2. Reconnaissance d’utilité publique : un combat gagné ?
2. 3. De la professionnalisation à la standardisation
3. Les évolutions des relations entre associations et puissance publique dans le secteur
du handicap
3. 1. Le fait associatif dans le secteur du handicap
3. 2. Utilité sociale et encastrement politique : le point de vue des acteurs
Conclusion intermédiaire
TROISIEME PARTIE : LES EFFETS DE LA CONTRACTUALISATION DANS LE SECTEUR DU HANDICAP
1. Les CPOM : Origine et péché originel
1.1. De la réforme de l’Etat
1.2. Perspectives législatives des CPOM
1.3. Le CPOM en pratique
1.3.a) Le cadre juridique
1.3.b) La durée du contrat
1.3.c) Simplification budgétaire et affectation des résultats
1.3.d) La trajectoire budgétaire
1.3.e) Le dialogue de gestion
2. Enjeux de dialogue, enjeux de transparence, enjeux de rendu compte
2.1. Rendre compte et pratiques d’accountability
2.2. La production du chiffre dans le secteur associatif
2.3. Dialogue de gestion et communication publique
3. La conduite des CPOM dans le Département du Nord
3.1. Les premiers CPOM 2016-2018
3.2. Les CPOM 2019-2021
3.2.a) Points de repères
3.2.b) Le bilan des CPOM 2016-2018
3.2.c) La déclinaison des grandes orientations stratégiques 2019-2021
3.2.d) Les enjeux de transformation de l’offre
4. Appropriation des CPOM par les acteurs
4.1. Un outil au bénéfice de la recomposition de l’offre
4.2. Un outil stratégique au service du pilotage de l’activité
4.3. Un outil porteur de dynamiques d’innovations
Conclusion intermédiaire
QUATRIEME PARTIE : LES EFFETS CROISES DES POLITIQUES INCLUSIVES ET DE LA CONTRACTUALISATION SUR LES METIERS ET LES ORGANISATIONS
1. La politique inclusive en question
1.1. Vers un abolissement du handicap ?
1.2. Qui prend le risque ?
1.3. Faut-il s’adapter ?
2. Inclusion, CPOM, Performance : quels enjeux pour les organisations de travail ?
2.1. Vers des plateformes de service
2.2. Evolutions des compétences, émergence de nouveaux métiers
2.3. Accompagnement au changement des équipes et résistances
3. Quels modèles associatifs pour demain ?
3.1. De l’entreprenariat associatif au modèle marchand ?
3.2. Quelle voie pour le militantisme ?
CONCLUSION

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