Une mainmise de la collectivité locale sur l’aménagement urbain

L’AMENAGEMENT URBAIN A MONTPELLIER

Introduction

 Comme à Strasbourg, il a été frappant de constater l’importance du recours spontané à des éléments contextuels pour rendre compte de l’élaboration d’Odysseum. On peut les distinguer en deux catégories : ceux qui renvoient au contexte montpelliérain et à l’action publique locale et ceux qui prennent sens en regard du projet lui-même et vont s’insérer dans le déroulement de l’action. Ce chapitre a pour objectif d’expliciter le contexte et les modalités de l’action publique locale. Trois aspects dominent les propos. Le premier concerne le pouvoir politique local, leitmotiv permanent sur lequel insistent tous les protagonistes. Le deuxième fait de la croissance économique et démographique une argumentation et un atout essentiels du projet. Le dernier inscrit Odysseum dans la continuité du projet de ville, du projet d’urbanisme et de leurs outils. Ces dimensions participent à structurer la situation de projet et l’élaboration d’Odysseum. Dans le respect de la posture de recherche, il importe alors de les examiner pour comprendre en quoi elles constituent des déterminations du processus d’élaboration. L’exposé procédera en trois temps. Il faudra d’abord expliciter les grands traits de l’action publique locale pour mettre à jour comment volontarisme politique et stratégie de compétitivité territoriale sont caractéristiques de la situation montpelliéraine. Cela conduira à examiner, successivement, la stabilité et le leadership du pouvoir politique, les fondements et les orientations du projet de ville puis les axes de développement économique parmi lesquels figure l’ambition de faire de Montpellier une destination touristique et de développer des activités de loisirs. Ensuite, l’analyse s’intéressera de plus près à la politique d’urbanisme, vecteur majeur du projet de ville. Après en avoir explicité les grandes lignes et exposé la politique foncière mise en place pour contribuer à la maîtrise de l’urbanisation, on s’arrêtera sur les opérations d’extension urbaine engagées depuis 1978 : Antigone et Port Marianne. Premier projet lancé par la municipalité Frêche, Antigone offre un support riche d’enseignements pour mettre à jour les modalités d’action urbaine qui se sont alors installées. Elles perdurent à la fin des années 1990 avec le grand projet d’aménagement de Port Marianne, décidé en 1988, et dont Odysseum est une composante. Enfin, on accordera une attention particulière à la SERM, opérateur privilégié de la mise en œuvre de la politique d’urbanisme. Véritable socle de la collectivité publique pour conduire le développement de son territoire, c’est une composante à part entière de l’organisation de l’action publique locale. La mission de direction de projet que la SERM va remplir dans le cadre d’Odysseum n’est pas indépendante des conditions plus générales dans lesquelles elle exerce son activité et des relations qu’elle entretient avec l’équipe  municipale. L’objectif sera ici de les examiner pour comprendre les pratiques observées dans le cas singulier d’Odysseum. Cette première étape du travail permettra d’éclairer ce qui, dans l’organisation de l’action publique locale, le projet de ville, la politique d’urbanisme et les pratiques d’aménagement, participe de la structuration des orientations et du déroulement d’Odysseum. Antérieurs et indépendants du cas étudié, ces différents points représentent en effet des éléments centraux de compréhension de la conception, du pilotage et de la situation de projet. Ils demandent, par conséquent, d’être explicités. Le choix des dimensions traitées dans ce chapitre est dicté par la posture méthodologique qui accorde la priorité aux éléments contextuels mis en avant par les acteurs eux-mêmes. Pour compléter les entretiens et conduire une analyse étoffée, il a été nécessaire de recourir à deux autres types de matériaux. Le premier se compose de documents techniques divers (cahiers des charges, plan du schéma d’urbanisation de l’Est…), de plaquettes de présentation d’opérations ou d’organismes, de dossiers ou d’articles de presse. Le second rassemble des données bibliographiques de seconde main parmi lesquelles un recours important au travail fort documenté de J. Dubois89. Portant sur l’étude comparée de deux opérations d’urbanisme, l’une à Aix en Provence et l’autre – Antigone – à Montpellier, il a tout particulièrement été mobilisé dans le cadre de ce chapitre pour les informations relatives au projet d’Antigone et à l’urbanisme à Montpellier. Les données empiriques utilisées pour traiter le cas de la SERM et ses relations avec la municipalité relèvent davantage de notre propre enquête et d’une étude réalisée antérieurement pour le compte du Club Ville et Aménagement.

Leadership territorial du pouvoir politique 

En 1977, Georges Frêche, candidat de l’Union de la gauche, gagne la mairie de Montpellier ; en 2001, avec plus de 56% des voix au second tour, il est reconduit pour un cinquième mandat dans ses fonctions de premier magistrat. Cela se traduit par une stabilité politique dont l’importance tient, en regard de la conduite d’Odysseum, dans le fait qu’elle s’accompagne d’une stabilité des orientations stratégiques pour le développement de la ville et de la structuration d’un leadership politique synonyme d’une forte capacité décisionnelle et opérationnelle. Souvent qualifié de « maire bâtisseur » et de « visionnaire » mais également de « féodal mégalomaniaque », G. Frêche est une personnalité haute en couleurs. On aime ou on déteste mais aucune place à la demi-mesure : « l’imperator de Montpellier », « il n’y a qu’une seule chose qui puisse arrêter G. Frêche, c’est la mer », « une formidable machine à idées », « un règne sans partage »… tels sont les qualificatifs que l’on rencontre dans la presse locale et nationale. Ils traduisent la volonté – « formidable » pour les uns ou « sans partage » pour les autres – de marquer l’espace et les esprits et ils décrivent G. Frêche comme un leader, incontesté pour les uns et autoritaire pour les autres. Tous les protagonistes d’Odysseum, depuis le directeur général de la SERM jusqu’au directeur immobilier d’Ikéa France en passant par le responsable d’un cabinet d’urbanisme commercial ne peuvent rendre compte d’Odysseum sans souligner spontanément et avec insistance la place fondamentale de G. Frêche. La stabilité politique et le « style Frêche » riment, à leurs yeux, avec lisibilité du contexte d’action et capacité à agir et sont évaluées comme des ressources de premier ordre pour la conduite du projet. Cette tendance, d’ailleurs largement véhiculée par les médias et partagée par les acteurs locaux, à surdéterminer l’action publique par la personnalité du leader montpelliérain détient sans doute sa part de vérité. Elle ne doit pas faire oublier que la mise en œuvre de cette politique volontariste s’accompagne de la structuration d’un dispositif pour orienter et maîtriser l’action publique locale. Il équivaut à mettre en place un système d’action municipal91 qui centralise les pouvoirs de décision dans les mains de G. Frêche. Cette capacité d’action s’appuie aussi sur la configuration territoriale montpelliéraine. Cette notion de « configuration territoriale », empruntée à E. Négrier (2001), permet d’intégrer les caractéristiques de la situation locale qui dépassent ce qu’il est communément appelé le « système Frêche » mais participent de l’explication de sa construction et, plus largement, de celle du leadership92. Dans le cadre de ce travail, l’objectif n’est pas de procéder à une analyse du leadership local mais d’en retenir les composantes significatives pour la suite du propos. L’attention est donc concentrée sur les aspects les plus directement liés à la capacité d’action de l’équipe dirigeante en matière de développement économique et d’urbanisme que l’enquête fait ressortir comme des déterminants importants d’Odysseum.

Une mainmise de la collectivité locale sur l’aménagement urbain

Dès la fin des années 1970, G. Frêche met en place un dispositif d’action qui centralise les pouvoirs de décision dans les mains du pouvoir politique local. C’est une caractéristique importante du gouvernement de la ville : G. Frêche est non seulement tout puissant au sein de la mairie mais il dirige et contrôle directement l’essentiel des organismes para-publics intervenant dans le champ de l’urbanisme. Il est également le dirigeant incontesté du District qui détient les prérogatives en matière de développement économique, de transport et d’assainissement sur le territoire des 15 communes qui s’y sont regroupées . Ce contrôle direct de la municipalité sur le District et les principales structures opérationnelles de l’urbanisme constitue le premier élément du système Frêche. Il assure au maire de Montpellier une mainmise importante sur les décisions et les actions entreprises dans les domaines de l’économique et de l’urbanisme (Dubois, 1997). Cette mainmise est renforcée par l’attribution des postes clés de la technostructure municipale ou districale et la distribution des mandats électifs entre les mains d’un petit groupe de fonctionnaires  et d’élus alignés sur la politique de G. Frêche (Négrier, 2001). Le même type de fonctionnement est constaté auprès des responsables de différents secteurs d’activités (culture, université…) hors technostructure. Se dégage ainsi « dans le gouvernement montpelliérain, une division très claire des responsabilités au sein des fidèles » (ibid. p. 72). Dernière précision d’importance, ce fonctionnement se traduit aussi par la garantie d’une majorité au sein du conseil municipal et districal, ultimes instances décisionnelles (ibid. p. 74). J. Dubois, dans son étude comparée du projet Sextius-Mirabeau à Aix en Provence et du projet Antigone, première opération d’urbanisme lancée par la municipalité montpelliéraine, montre ainsi que là où à « Aix en Provence […] on peut compter, au lendemain du concours, vingt-cinq partenaires pour la Ville. Encore ce décompte ne tient-il pas compte des différents services techniques de la Ville, de ses partenaires dans le capital de la SEMEVA ou du rôle particulier joué par tel et tel élu. A Montpellier, du fait de la volonté du maire de piloter directement l’opération, le nombre d’acteurs a été considérablement réduit. Le contrôle permanent exercé par le maire sur la Sem et sur l’architecte, à travers une petite équipe municipale, fait d’Antigone, au contraire, un projet très personnel » (Dubois, 1997, p. 104). Cette manière d’opérer, analysée sur la décennie quatre vingt, reste valide à la fin des années 1990 et il importe de retenir, qu’à Montpellier, intervention urbaine rime avec contrôle de la collectivité publique et organisation des actions autour d’un petit groupe de fidèles formant un comité restreint de décision. 

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