Le commerce électronique de biens culturels

L’utilisation généralisée d’Internet depuis une quinzaine d’années s’est accompagnée d’une augmentation des ventes de biens et services en ligne (commerce électronique). En 2011, le chiffre d’affaires du commerce sur Internet s’est élevé à 256 milliards de dollars aux Etats-Unis , à 59,4 milliards d’euros au Royaume-Uni et à 38,7 milliards d’euros en France Les taux de croissance du commerce électronique se situent aujourd’hui entre 12% et 24% selon les pays et le commerce sur Internet représente désormais près de 7,9 % du commerce de détail en France et 12% au Royaume-Uni.

Le développement du commerce et des échanges en ligne font aujourd’hui régulièrement les titres de la presse. Dans ces derniers, Internet est tour à tour présenté comme un canal de distribution prometteur qui offre de nouvelles opportunités d’achat pour les consommateurs, des succès entrepreneuriaux aux méthodes de management efficaces, de perspectives nouvelles pour améliorer l’efficacité des administrations (administration électronique), etc. Mais, le succès d’Internet a des revers. Aux nouvelles opportunités d’achat sont opposées les fraudes sur les paiements, le vol des données sensibles, l’uniformatisation des goûts, la concurrence déloyale, etc. Ces questions, au cœur des préoccupations quotidiennes des consommateurs, des entreprises et des administrations, font désormais l’objet de nombreuses recherches académiques en sciences sociales et constituent un champ de recherches fécond et innovant en économie, l’économie d’Internet et du numérique.

Tout d’abord, les biens culturels à l’image des CD, DVD et livres ont très tôt été commercialisés sur Internet par des sites de commerce électronique pionniers tels qu’Amazon, eBay, etc. Le succès rapide de ces sites offraient aux consommateurs de nouveaux outils pour explorer de nouveaux produits, talents et genres (musicaux) et ce, très souvent, à des prix plus attractifs que dans le commerce traditionnel (Chevalier et Golsbee, 2003). Cette première révolution technologique qui a consacré Internet en tant que nouveau canal de distribution de biens physiques s’est également accompagnée du développement de réseaux de partage sur lesquels les biens culturels étaient échangés gratuitement (piratage). Cette première révolution technologique a donné naissance à un ensemble de recherches empiriques pour évaluer les effets économiques d’un nouveau canal de distribution sur les ventes dans les réseaux traditionnels (Balasubramanian, 1998), le piratage des œuvres culturelles (Peitz and Waelbroeck, 2006), le développement des communautés électroniques (Curien et al., 2001), etc.

Mais une deuxième révolution technologique est en passe aujourd’hui de modifier à nouveau en profondeur les logiques de consommation et de production des biens culturels : les œuvres numériques. Internet offre la possibilité de commercialiser directement des contenus culturels numériques qui deviennent des produits concurrents aux supports physiques traditionnels. Cette deuxième révolution technologique suscite de nouvelles interrogations et méfiances de la part des éditeurs et distributeurs qui voient dans cette dématérialisation, une réelle menace pesant sur leur modèle économique historique basé sur la vente de supports physiques. L’industrie de la musique, première à subir les changements provoqués par la première révolution technologique, est aujourd’hui très affectée par ces évolutions et reste encore aujourd’hui à la recherche d’un modèle économique capable de coexister avec une offre quasi gratuite sur internet. Selon l’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry), les ventes de musique préenregistrée ont baissé de 3% dans le monde en dépit de la croissance des ventes de musique légale en ligne. De même, l’industrie du film et de la vidéo n’est pas épargnée par cette révolution numérique. Le circuit traditionnel de la vidéo a dû faire face à l’arrivée de distributeurs en ligne tel qu’Amazon pour la vente de DVD, mais aussi d’un nouveau type de concurrents comme iTunes Video Store ou Netflix pour la vidéo à la demande, de Youtube ou Dailymotion pour les sites de partage et, dernièrement, des chaînes télévisées pour la télévision de rattrapage (arte+7, M6 replay). Enfin, le secteur du livre hier encore épargné par la révolution numérique, doit aujourd’hui s’organiser devant la numérisation de ses contenus et la distribution des livres numériques (e-books). L’arrivée des tablettes numériques multifonctions permettant la lecture d’e-books à l’instar de l’iPad d’Apple et du Kindle d’Amazon, remettent en question le rôle des maisons d’édition du livre en permettant à des auteurs de s’autoproduire et de commercialiser directement ses œuvres sur les plateformes. Les livres électroniques en constante croissance, représentent désormais 8,3% des ventes totales de livres aux Etats-Unis en 2010 (contre 3,2% en 2009) et Amazon annonçait dès 2011 vendre plus de livres électroniques sous format Kindle que de livres imprimés.

La deuxième raison qui explique le développement des études sur les biens culturels est relative à l’accès gratuit et public aux caractéristiques des produits et de vente sur les sites de commerce électronique. Il est désormais possible de suivre les ventes de milliers de produits, leurs prix, leurs évaluations par les consommateurs, etc. et ce sur des dizaines de mois. La disponibilité de ces données permet donc aux économistes de mesurer et de tester les prédictions de modèles microéconomiques sur de nombreux sujets tels que les stratégies de tarification des firmes sur les marchés (Ghose and Sundararajan, 2006), le fonctionnement des marchés électroniques (Ellison and Ellison, 2005), le rôle de la réputation (Resnick and Zeckhauser, 2002; Bajari and Hortacsu, 2004; Houser and Wooders, 2006), les externalités de réseau (Rochet et Tirole, 2006), le rôle de l’information dans la formation de la demande (Acquisti and Varian, 2005) et son impact sur les marchés (prix, qualité, diversité, concurrence entre firmes (open source), etc.). A titre d’illustration, les données accessibles sur Amazon permettent de constituer des données de panel sur des milliers de titres CD, DVD et livres sur les douze dernières années et disponibles sur plusieurs marchés (France, Etats-Unis, Japon, Allemagne, Chine, etc.).

Enfin, les études sur le commerce électronique de biens culturels font suite aux nombreux débats de société sur les impacts économiques de l’internet sur différentes industries culturelles à l’image de celle de la musique, du cinéma et de la vidéo et du livre. Les autorités publiques ont été contraintes d’intervenir sur les marchés pour promouvoir la diversité culturelle (loi sur le prix unique du livre électronique), préserver les droits d’auteur (loi Création et Internet), etc. Dans le contexte particulier du droit d’auteur, une institution exclusivement dédiée à la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) a été créée en France en 2009. L’Hadopi a pour missions de promouvoir le développement de l’offre légale et d’observer l’utilisation licite et illicite des œuvres sur Internet ; de protéger les œuvres à l’égard des atteintes aux droits qui leur sont attachés dans le cadre de la réponse graduée et de réguler l’usage des mesures techniques de protection.

Selon Chris Anderson (2005), l’essor du commerce en ligne s’accompagne d’une mutation économique des industries culturelles qui évolueraient d’une économie de produits « superstar » à une économie de produits de « niche ». En d’autre termes, comparativement aux marchés traditionnels caractérisés par des ventes élevées d’un très faible nombre de titres et des ventes très faibles d’un très grand nombre de produits dits « supertars », la distribution des ventes sur Internet tendrait à être moins concentrée autour de produits « superstars » et à être caractérisée par une « longue traîne » agrégeant un grand nombre de produits de niche, peu profitable individuellement mais profitable dans leur ensemble. Cette prédiction s’appuie sur des caractéristiques particulières d’Internet : la contrainte physique d’espace de stockage ne s’impose pas à la vente en ligne contrairement aux enseignes physiques et, de plus, l’utilisation de plus en plus courante d’outils de recherche sur Internet devrait faciliter l’exploration et la découverte de produits de niche, et donc rendre leur commercialisation profitable pour les distributeurs de contenus culturels. Cette prédiction s’appuie notamment sur une étude empirique de Brynjolfsson et al. (2003) qui montre qu’une proportion significative des ventes sur Amazon.com provient de produits de niche non disponibles dans les magasins traditionnels.

Table des matières

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION : LE COMMERCE ELECTRONIQUE DE BIENS CULTURELS
1.1 Objectifs de la thèse et contributions à la littérature
1.1.1 Théorie de la longue traîne et cannibalisation des ventes de produits culturels
1.1.2 La dispersion des prix sur Internet
1.2 Nos papiers de recherche
1.3 Références
CHAPITRE 2 : MARCHE INTERNET ET RESEAUX PHYSIQUES. UNE COMPARAISON DES VENTES DE LIVRES EN FRANCE
2.1. Introduction
2.2 Méthodologie et description des données
2.3 Comparaison des ventes dans les réseaux physiques et en ligne
2.3.1. Caractérisation de la distribution des ventes
2.3.2. Les marchés des livres en ligne et hors ligne sont-ils comparables ?
2.4 Interactions entre les catalogues de livre en ligne et des réseaux physiques semaine après semaine
2.5 Conclusion
2.6 Références
2.7 Annexe
CHAPITRE 3 : LES PLATEFORMES DE VENTES SUR INTERNET : UNE OPPORTUNITE POUR LES INDUSTRIES CULTURELLES ?
3.1 Introduction
3.2 Les meilleures ventes de livres, CD et DVD sur Amazon et Marketplace
3.2.1 Mesure des ventes
3.2.2 Taille et structure des marchés
3.2.3 Les meilleures ventes de produits sur Amazon et Marketplace
3.2.3.1 Des catalogues de produits différents
3.2.3.2 L’importance des titres du répertoire ancien
3.3 Les meilleures ventes de livres sur Amazon, Marketplace et les réseaux de distribution physique
3.4 Conclusion
3.5 Références
3.6 Annexe
CHAPITRE 4: SUPERSTARS AND OUTSIDERS IN ONLINE MARKETS, AN EMPIRICAL ANALYSIS OF ELECTRONIC BOOKS
4.1 Introduction
4.2 Related Literature
4.3 Data and methodology
4.3.1 Data collection
4.3.2 Descriptive statistics
4.4 Econometric Methodology and Results
4.4.1 Superstar Titles
4.4.2 Digital Outsiders
4.5 Conclusion
4.6 References

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