Le Front Populaire : une attention particulière aux loisirs et à la jeunesse

Un contexte socio-politique favorable à l’éducation populaire

En France, les années 1930 sont marquées par le traumatisme de la première Guerre Mondiale ainsi que les conséquences de la crise de 1929, laissant la population dans la misère matérielle mais aussi intellectuelle avec un travail épuisant, de faibles ressources et très peu de divertissements. La menace d’une nouvelle guerre se fait ressentir avec une montée en puissance de ligues fascistes et antisémites, notamment dans les pays européens voisins. Ce contexte provoque un sursaut du peuple français qui s’engage politiquement dans le sens inverse, ce qui favorise l’arrivée au pouvoir du Front Populaire en 1936.

Même s’il est de courte durée (seulement un an), le Front Populaire est une expérience productrice d’avancées sociales historiques avec la mise en place d’un ensemble de mesures. Il va notamment réformer l’organisation du travail en augmentant les salaires, instaurant une durée de travail limitée à 40 heures par semaine et les premiers congés payés. Il donne du temps libre à tous les travailleurs et met en place des aides et services pour utiliser ce temps libre. De plus, la création d’un soussecrétaire d’Etat au Sport et l’organisation des loisirs permet pour la première fois d’avoir un ministre dédié à ces questions, Léo Lagrange. Celui-ci va développer les équipements publics, les auberges de jeunesse, la pratique du sport et les billets de train à tarifs réduits. Cela va insuffler de nombreuses initiatives venant d’organisations culturelles pour permettre aux plus modestes d’accéder à des activités culturelles à des prix réduits (chorales, jeunesses musicales, fanfares, théâtre, cinéma, etc.). D’après De Montalembert et all. (2009, p.8) « La culture est aussi importante  que le pain et le logement, parce qu’elle aide les gens à se valoriser, à se sentir partie prenante d’un ensemble qui les dépasse mais dont ils sont membres. » .

D’après Arnaud (2018, p.53) , ces évolutions ont contribué à une véritable révolution culturelle. En  effet, comme l’a montré Bourdieu (1997) , être libre de son temps et ne pas être soumis aux  nécessités pratiques (conçues comme des nécessités économiques) sont des conditions nécessaires à la formation du rapport réflexif, du rapport distancié au monde comme des dispositions esthétique et scolastique. « C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’idée d’émancipation : la possibilité d’acquérir des dispositions affranchies des urgences pratiques et des problèmes à résoudre. » (Arnaud, 2018, p.53).

Une ambiance de fraternité et de solidarité flotte alors et des petits groupes de jeunes gens imaginent des utopies pour un monde meilleur, dont une figure phare pour l’éducation populaire : Jean Guéhenno. Il fut le promoteur et le militant de l’éducation populaire et a contribué fortement au développement des mouvements de jeunesse, notamment à travers son rôle de directeur de la publication de la revue Europe, une revue antifasciste et pacifique, ou encore en fondant l’hebdomadaire de gauche Vendredi, qui soutient le Front Populaire. Entre 1944 et 1945, il investit le rôle de directeur des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire au ministère de l’Éducation nationale.

Ce contexte politique nouveau va donner à l’éducation populaire des bases solides pour mieux se construire en s’intéressant en priorité à la question de la jeunesse. Les nouvelles réformes du Front Populaire et la création d’un Sous Secrétariat d’Etat au Sport et l’organisation des loisirs sont des éléments concrets que vont engendrer la création ou la relance de mouvements de jeunesse.

C’est le début du processus d’institutionnalisation des mouvements d’éducation populaire qui s’instaure, en premier lieu dans une volonté de reconnaissance et de construction d’un monde meilleur et pacifiste. De nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs font leur apparition et façonneront l’éducation populaire et son institutionnalisation.

De nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs 

Cette période d’entre-deux-guerres sera riche en apports et en expérimentations. En effet, la mise en place de dispositifs de formation novateurs, notamment avec des stages internés, feront leur apparition. C’est une pratique spécifique et reconnue dans l’éducation populaire, à travers la mise en place d’une vie collective des stagiaires. L’origine de cette pratique se trouve dans les camps scouts de cette période où une pédagogie qui se veut différenciée de l’école se développe : l’action est favorisée à la leçon. Dans une volonté d’éduquer en dehors de l’école, les Eclaireurs et Eclaireuses de France, plus particulièrement, visent les colonies de vacances. Les Eclaireurs et Eclaireuses de France ont pour objectif de contribuer au développement des jeunes en les aidant à réaliser pleinement leurs possibilités intellectuelles, physiques et sociales.

« Avec d’autres acteurs (…), ils inventent sous le Front populaire en 1937 les centres d’entraînement (futurs Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, CEMEA) pour former les moniteurs de colonies de vacances, avec le projet de transformer à terme les méthodes scolaires, puisque le public est constitué d’enseignants du premier degré. Les principes de l’Éducation nouvelle et les méthodes du scoutisme fusionnent et vont marquer durablement le champ de la formation en éducation populaire. » (Besse, 2016, p. 22). Ce mouvement d’éducation  laïque et de formation des encadrants met l’activité de l’enfant et sa socialisation dans le cadre de la vie collective au centre de leurs méthodes pédagogiques. C’est le début d’une éducation populaire qui s’autonomise par rapport à l’école et ses agents.

L’entre-deux-guerres est une période où de nombreux acteurs apparaissent ou prennent de l’importance, et façonnent l’éducation populaire dans des domaines variés tels que la culture, le sport ou encore les loisirs. Tous ces acteurs deviendront un soutien du Front Populaire et engageront un partenariat fructueux avec celui-ci dans l’idée de développer les loisirs, la démocratisation du savoir et le pacifisme.

On peut notamment prendre l’exemple d’une expérience originale d’éducation populaire qui fut des cours radiodiffusés du Centre confédéral d’éducation ouvrière (CCEO) de la Confédération Générale du Travail (CGT). Créés en 1933, l’objectif était à travers cet outil de démocratiser le savoir. Durant le Front populaire, à partir de 1937 la CCEO obtient la possibilité d’accéder à un média de masse et d’élargir son audience.

Dans le domaine du sport est créé la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) en 1934, dans la dynamique de l’arrivée du Front populaire. Cette fédération encourage la pratique d’un sport populaire dans le monde du travail et proclame son engagement pour lutter contre le fascisme. En 1936, la FSGT soutiendra la politique de Léo Lagrange, secrétaire d’Etat aux sports et aux loisirs. Dans le domaine des loisirs à destination de la jeunesse se met en place à partir de 1933 le Centre laïque des auberges de jeunesse (CLAJ). Léo Lagrange, investi dans ce mouvement, en sera élu président en 1938.

Le développement de ces nouveaux acteurs est notamment facilité par la Loi du 1er juillet 1901, convention par laquelle « deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. » (article 1er). Cela offre à l’éducation populaire et, au delà, à l’Economie Sociale naissantes un cadre juridique favorable. Par ailleurs, la période de l’entre-deux-guerres, « a fait émerger l’enfance et la jeunesse comme catégories sociales qu’il convenait de protéger et d’éduquer, ne serait-ce que pour assurer l’avenir. La Société des Nations (créée en 1920 et qui deviendra ensuite l’Organisation des Nations Unies en 1946) reconnaît à l’Enfance le droit à « une protection spéciale » dans la Déclaration de Genève en 1924. », d’après De Rosa (2018, p.24) .

Ainsi, le Front Populaire, bien qu’éphémère, a permis de grandes avancées sociales et de s’intéresser à la jeunesse. Cette dynamique d’entre-deux-guerres a fait émerger de nouveaux acteurs et de nouvelles pratiques dans l’éducation populaire qui deviendront des socles pour son développement dans le futur. Cet intérêt pour la jeunesse sera par la suite renforcé dans le contexte du gouvernement Pétain et de l’après-guerre. Les jeunes mouvements d’éducation populaire qui se créent à cette période vont s’allier pour intervenir dans l’espace public. C’est une avancée dans le processus d’institutionnalisation des associations d’éducation populaire.

Table des matières

Introduction
Partie 1 – Les prémices de l’institutionnalisation
I- Le Front Populaire : une attention particulière aux loisirs et à la jeunesse
A) Un contexte socio-politique favorable à l’éducation populaire
B) De nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs
II- L’éducation populaire pendant le gouvernement Pétain et à la Libération
A) L’intérêt de l’Etat pour les questions de jeunesse et d’éducation populaire
A.1. Une direction spécifique pour l’éducation populaire au sein du gouvernement
A.2. Des dispositifs en faveur de la jeunesse qui évoluent à la Libération
B) La résistance et les mouvements de jeunesse
Partie 2 – Les Trente Glorieuses
I- À partir des années 60’s : une nouvelle relation avec l’Etat
A) La politique d’André Malraux : des avancées pour l’éducation populaire ?
B) L’union des associations d’éducation populaire face à l’instrumentalisation de l’Etat
II- La professionnalisation des associations d’éducation populaire
A) De l’éducation populaire à l’animation socio-culturelle
A.1. Une législation en faveur de l’animation
A.2. L’hétérogénéité des diplômes
A.3. L’entrée dans le secteur social
B) Travail salarié et bénévolat
C) Le militantisme à l’épreuve de la professionnalisation
Partie 3 – La libéralisation de l’économie et le néo-libéralisme
I- Les politiques publiques néo-libérales impactant les associations
A) Mouvement de décentralisation des 1980’s et fonction médiatrice des associations
A.1. La politique de décentralisation
A.2. Les associations d’éducation populaire en tant que prestratrices de services
B) Les appels à projet et la mise en concurrence
II- Le concept de valeur et de performance
A) Le calcul de la valeur à travers l’évaluation et la comptabilité
B) Une administration pesante et une nouvelle organisation du travail
Conclusion 

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