Les limites de la méthode de recours aux indicateurs au niveau éthique et moral

Les limites de la méthode de recours aux indicateurs 

La limite la plus importante de la méthode réside en un problème au niveau de la loi : la règle prescrite de la scission entre le recueil de l’information par un fonctionnaire de contact auprès d’un indicateur et la gestion de l’information par l’enquêteur, qui est également fonctionnaire de contact, est parfois non appliquée dans les zones de police locales. En effet, l’on peut lire dans l’arrêté royal du 6 janvier 2011, article 15, que « l’information récoltée par le fonctionnaire de contact auprès d’un indicateur n’est pas traitée par des enquêteurs étant intervenus dans le cadre de la gestion de l’indicateur, sauf accord préalable du magistrat méthodes particulières de recherches». Même s’il s’agit de la meilleure façon de procéder, les intervenants des zones de Margende, Ranteigne, Corteau, Bazin et Forge admettent ne pas toujours savoir respecter cette règle. Cependant, c’est une garantie qui doit être mise en place pour éviter toute sorte de dérives et de conflits d’intérêt liés au fait d’exploiter ses propres informations. La gestion des indicateurs et de l’information provenant de ceux-ci serait ainsi un métier à part entière, comme le prouve l’existence des fonctionnaires de contact SIC, c’est-à-dire des membres de la Section d’Information Criminelle, qui sont spécialisés dans la collecte d’informations dans le milieu criminel.

En outre, comme l’indiquent les résultats, le problème est dû au fait qu’il existe la double casquette enquêteur-fonctionnaire de contact. Or, le point 5 du rapport au Roi accompagnant l’arrêté royal du 6 janvier 2011 stipule que « les missions des fonctionnaires de contact et celles des enquêteurs doivent rester distinctes. Il n’est pas indiqué qu’au sein d’une même affaire, une même personne intervienne en tant que fonctionnaire de contact d’une part et en tant qu’enquêteur d’autre part. La combinaison de ces deux missions rend quasiment impossible l’exécution du fondement de chacune de ces missions ». Par conséquent, le véritable problème est que le système exige que les fonctionnaires de contact soient enquêteurs.

Les résultats montrent de plus qu’une deuxième limite importante relève du fait que toutes les informations rapportées par les indicateurs ne peuvent être exploitées, soit car il y a trop d’informations provenant d’indicateurs, rendant la charge de travail trop élevée, soit car l’information est trop sensible et risque de mettre l’indicateur en danger. En effet, comme indiqué dans le point 5 du rapport au Roi accompagnant l’arrêté royal du 6 janvier 2011, « le fonctionnaire de contact est toujours tenu de préserver toutes les informations qui pourraient compromettre la protection de l’identité de son indicateur ». Ensuite, il est intéressant de remarquer que l’expression « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » a été répétée à deux reprises lors des entretiens. Cette expression entend montrer que pour obtenir des résultats au niveau des enquêtes, il y a toujours des risques inévitables en contrepartie, notamment le fait de travailler avec des personnes qui « ne sont pas des anges de miséricorde », c’està-dire les indicateurs, afin d’obtenir des informations essentielles au travail d’enquêteur. En outre, cette expression est utilisée pour indiquer qu’il faudra bien à un moment donné que le fonctionnaire de contact, pour récolter des informations sur un phénomène défini, divulgue certains renseignements à l’indicateur pour l’orienter. Dans son article, Beernaert (2003) se demande si la seule efficacité de la méthode peut la justifier, étant donné que les indicateurs présentent des informations à la fiabilité douteuse. L’on pourrait donc se questionner sur la fiabilité des preuves récoltées dans un procès grâce, en partie, à un indicateur. À ce propos, certains intervenants de cette recherche indiquent que les informations fournies par les indicateurs ne sont pas des éléments aussi concrets que les éléments rapportés par une écoute téléphonique ou une observation par exemple, et n’ont donc pas valeur de preuve. Par conséquent, les informations fournies par les indicateurs doivent toujours être vérifiées et confirmées, ce qui diminue ainsi le risque de désinformation. Ces informations servent à guider et orienter l’enquête, mais ne servent pas comme preuve en tant que telles dans un procès. Le même auteur cité ci-dessus mentionne dans son article le caractère intéressé de l’indicateur, qui fournit des informations avec un intérêt derrière, cherchant une récompense, ce qui le rend peu fiable (Beernaert, 2003). Or, « l’indicateur est évalué annuellement de façon globale afin de déterminer sa fiabilité et d’évaluer le risque lié à sa qualité de source d’information », indique l’article 11 de l’arrêté royal de 2011. De plus, les indicateurs ont tendance à minimiser leur implication ou participation dans les faits dénoncés à la police (Beernaert, 2003), idée que les intervenants expriment concernant le fait de ne pas savoir ce que font les indicateurs pour obtenir des informations, voire surtout de ne pas vouloir le savoir.

Les dangers d’orienter l’indicateur en lui donnant quelques informations sur l’enquête en cours afin de récolter des informations précises sur un phénomène particulier ont été indiqués par les intervenants, rendant cette pratique la plus rare possible et dans des cas où cela est nécessaire pour le dossier. En effet, le Code de déontologie applicable pour la méthode stipule que « les fonctionnaires de contact veilleront, dans le cadre de leurs contacts avec les indicateurs, à ne pas leur fournir des informations sur des enquêtes en cours ». En outre, lorsqu’ils sont sollicités par les fonctionnaires de contact, les indicateurs peuvent être tentés de donner des informations que la police cherche à leur faire dire, les rendant moins fiables (De Smet, 1997 ; Palazzo, 1986 ; Bovenkerk, 1996, cités dans Beernaert, 2003). Comme souligné par un intervenant « tout le monde ment », notamment le témoin et l’indicateur et comme mentionné dans l’article de Beernaert (2003), aucun témoin n’est vraiment à 100% fiable, ce qui place la crédibilité de l’indicateur au même point que les témoins.

Les limites de la méthode de recours aux indicateurs au niveau éthique et moral 

Si l’un des objectifs de cette recherche était de mettre en lumière les problèmes qui se posent au niveau de l’éthique et de la morale pour la méthode de recours aux indicateurs, et que l’hypothèse était que cette technique soulève certains problèmes éthiques et certaines limites morales, il s’avère que les problèmes touchant à l’éthique et la morale sont difficiles à démontrer alors que les problèmes qui touchent la méthode en général sont nombreux, et ont été cités précédemment. En effet, les intervenants ont soulevé de nombreux problèmes au niveau de la méthode, mais pas beaucoup de problèmes éthiques.

D’abord, la principale considération éthique à prendre en compte est la suivante : la protection de l’anonymat de l’indicateur est la priorité. Ceci est effectivement indiqué dans l’article 12 de l’arrêté royal de 2011, qui mentionne que « les différentes personnes impliquées dans le recours aux indicateurs mettent tout en œuvre afin de protéger l’identité de l’indicateur ». Ensuite, l’honnêteté et la confiance sont des principes moraux importants. Comme le mentionne le Code de déontologie, « le travail avec les indicateurs doit s’effectuer de façon collégiale, dans un esprit d’ouverture et de loyauté envers le gestionnaire des indicateurs ». En conclusion, les règles principales à respecter pour le bon fonctionnement de la méthode se retrouvent dans le Code de déontologie applicable à la méthode et dans l’éthique policière. Concernant la morale, celle des fonctionnaires de contact étant différente de celle des indicateurs, les barrières légales sont préférables aux barrières morales: en effet, les limites morales peuvent être franchies avant que les limites légales ne le soient (John Kleinig, 1996, cité dans Harfield, 2012).

Dans la littérature, notamment dans l’article de Harfield (2012), nous pouvons constater que l’éthique est importante à prendre en compte pour la méthode de recherche de recours aux indicateurs, alors qu’en interrogant les professionnels qui interviennent dans la méthode à différents niveaux, ils ne voient pas en quoi l’éthique intervient à partir du moment où la loi autorise la méthode. L’article d’Harfield (2012) mentionne en effet que l’utilisation des indicateurs est moralement problématique. Or, à l’unanimité, les intervenants interrogés lors de cette étude estiment qu’il n’y a pas de problème à travailler avec des indicateurs. D’autres auteurs cités dans la littérature scientifique rejoignent ce que les intervenants interrogés estiment, à savoir qu’il n’y a rien d’immoral concernant cette méthode, et estiment qu’il n’est pas immoral d’inciter une personne à dénoncer un ou des auteurs d’infractions ou encore une organisation criminelle (Beernaert, 2003). Tant que les personnes impliquées dans la méthode respectent les règles prescrites, il n’y a aucun problème éthique ou moral à utiliser la méthode de recherche de recours aux indicateurs. Lors des entretiens, les intervenants ne font qu’émettre des hypothèses où la méthode pourrait devenir immorale.

Si quelques intervenants ne sont pas d’accord de parler de délation concernant la méthode particulière de recherche des indicateurs et n’associent pas toujours un délateur à un indicateur, l’article de Beernaert (2003), cité à plusieurs reprises dans cette recherche, mentionne que la méthode est « une forme de délation moralement condamnable » (p. 85). Plusieurs auteurs estiment en effet que la méthode incite à la délation, qui est considérée comme méprisable et honteuse (Mazzuca, 1984 & Prakken, 1996, cités dans Beernaert, 2003) alors que, selon les intervenants, il ne s’agit pas toujours de délation, l’indicateur n’y gagnant pas toujours un intérêt et n’ayant pas toujours un motif méprisable. Néanmoins, un intervenant admet que la délation est moralement condamnable et peu acceptable, mais il n’y a pas ou peu de publicité de la méthode, n’influençant donc pas la population. Selon d’autres auteurs, il n’y a pas lieu de parler de trahison ou délation concernant les indicateurs et informateurs (Caselli & Perduca, 1982 ; Salvini & Kaptein, 1998, cités dans Beernaert, 2003).

Table des matières

INTRODUCTION
CORPUS THÉORIQUE
QUESTION DE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE
Participants
Outil de récolte
Procédure
Aspects éthiques
Stratégie d’analyse
RÉSULTATS
Les avantages de la méthode de recours aux indicateurs
Les limites de la méthode de recours aux indicateurs
Les limites de la méthode de recours aux indicateurs au niveau éthique et moral
DISCUSSION
Les avantages de la méthode de recours aux indicateurs
Les limites de la méthode de recours aux indicateurs
Les limites de la méthode de recours aux indicateurs au niveau éthique et moral
Forces et limites de la recherche
Piste d’amélioration
CONCLUSION

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