Les valeurs au cœur de l’organisation associative, une construction collective du sens

Les valeurs au cœur de l’organisation associative, une construction collective
du sens

Cette première partie concerne la présentation des principes fondateurs des associations. Après avoir défini l’importance des valeurs partagées, nous verrons que l’activité associative repose sur la « construction collective de sens », selon la conception de Rousseau (2007).

Le rôle central des valeurs du projet associatif

Les organisations associatives reposent sur un ensemble de principes communs faisant écho à la configuration « missionnaire » étudiée par Mintzberg (1986). Nous pouvons analyser le mode de fonctionnement des associations suivant leurs caractéristiques structurelles, à travers la grille de lecture développée par l’auteur et reprise par Pichault et Nizet (2000).

Primauté de la mission visant le renforcement de la cohésion sociale
Tout d’abord, l’organisation missionnaire se caractérise par l’importance des buts de mission tournés vers les usagers relativement aux buts de système. Selon Rousseau (2007), l’association n’est pas à la recherche de la maximisation du profit, elle est conçue autour d’un projet collectif, lui-même construit sur un socle de valeurs éthiques. Son but premier est de produire de la richesse sociale se traduisant concrètement par la création de lien social en plaçant l’initiative des individus au centre de son action. Cette fonction de base à l’égard de la société est plus importante que la croissance ou l’efficience de l’organisation elle-même. Mintzberg (1986) précise que la capacité des buts de mission à mobiliser les membres de l’organisation est plus importante que leur opérationnalité car ils sont difficilement mesurables et évaluables.

Division du travail et mode de coordination par les valeurs partagées
Selon Mintzberg (1986), l’organisation doit diviser et coordonner les tâches entre lesindividus pour atteindre un but commun. Le fonctionnement des associations, dont l’intérêt n’est pas financier, repose sur une idéologie et des valeurs partagées qui motivent l’action collective et définissent les normes qui standardisent les comportements (Rousseau, 2007). Généralement diffusées dans l’organisation par les analystes des normes via différents canaux de communication, les opérateurs sont censés y adhérer (Pichault et Nizet, 2000). L’organe chargé de garantir l’intérêt général et le projet social de l’association est le Conseil d’Administration (CA) dont les membres sont exclusivement bénévoles. Il est possible de distinguer deux types de bénévolat : le bénévolat d’activité, ceux qui participent aux actions quotidiennes et tangibles, et le bénévolat de gestion, c’est-à-dire les administrateurs élus.

Dans la mesure où les acteurs adhèrent aux valeurs et buts de l’organisation, ils disposent d’une certaine autonomie et capacité d’initiative dans la conception et la réalisation de leur travail (Mintzberg, 1986). De plus, chacun réalise destâches assez variéesfavorisant le développement d’une certaine polyvalence. Ainsi, la division du travail des opérateurs est faible dans l’organisation missionnaire, tant sur la dimension verticale que la dimension horizontale. Dans ce contexte, Rousseau (2005) explique que les opérateurs discutent, échangent des idées, des opinions et organisent ensemble des activités, faisant alors apparaître un mode de coordination complémentaire : l’ajustement mutuel (Pichault et Nizet, 2000).

Gouvernance démocratique reflétant les valeurs de l’association
La loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’ESS oblige les organisations solidaires, dont les associations, à respecter les principes de gouvernance démocratique. Le pouvoir de vote n’est pas lié au capital et le principe « une personne égale une voix » s’applique. La distribution du pouvoir donne à tous les membres le pouvoir d’élire directement le CA et d’apprécier leur gestion dans un cadre participatif via l’Assemblée Générale (AG), organe souverain de l’association.

Selon Huet et Neiter (2016), ce régime peut se traduire par une limitation des pouvoirs des dirigeants. Néanmoins, il n’est pas synonyme de participation de tous les associés à chaque prise de décision. Selon Mintzberg (dans Pichault et Nizet, 2000), la direction accompagnée par les analystes des normes qui sont les dirigeants élus par leurs pairs, pèsent sur les décisions stratégiques « en particulier celles qui impliquent le maintien ou la modification des missions de l’organisation ». Les autres acteurs exercent peu d’influence sur ces décisions mais peuvent influencer de manière non négligeable des décisions d’importance moindre du moment qu’ils adhèrent aux valeurs et ont intériorisé les missions de l’association. Les auteurs parlent de décentralisation conditionnelle du pouvoir dansla configuration missionnaire. Ainsi, les valeurs du projet qui fondent l’action sont censées guider les choix de l’organisation.

Une action organisée pour produire du sens

Les éléments que nous venons de voir se rattachent aux études de Rousseau (2002 ; 2005 ; 2007) sur ce type de structure caractérisée par la prédominance des valeurs, qu’il nomme organisation « militante ». L’auteur définit son fonctionnement selon un triptyque : mythe, rites (ou geste social) et militants (ou tribu). Le mythe correspond à la mission ou l’intention poursuivie par les militants qui aspirent à un idéal sociétal. Ce projet porteur de valeurs fonde les décisions et l’action, c’est-à-dire les rites militants. L’organisation associative dont le développement et la longévité dépend de la cohérence entre les trois sommets de ce triangle doit envisager des ajustements si la puissance du mythe fondateur, la tribu et les pratiques sont affectées par des transformations ou des crises (Rousseau, 2007). L’auteur précise que les valeurs unissent et fédèrent un collectif seulement si les acteurs donnent du sens au mythe, c’est-à-dire qu’ils se sentent impliqués dans le projet et se reconnaissent par la pratique de gestes rituels. Mintzberg (1986) explique que le mécanisme de coordination dominant par standardisation des valeurs est efficace quand il conduit les travailleurs à adhérer aux buts de l’organisation et à s’engager dans son fonctionnement.

Selon Rousseau (2002), ce sont les différentes représentations individuelles des acteurs regroupés autour d’une mission commune qui modulent l’orientation collective du sens de l’action. Cette identité collective propre à l’organisation forme le sens du projet et se révèle dans les pratiques permettant ainsi de faire vivre au quotidien les valeurs affichées. La pratique de l’activité impacte ensuite les représentations des acteurs qui façonnent directement l’action dans laquelle ils sont impliqués. Les militants sont motivés à agir quand le mythe fondateur est partagé collectivement pour créer un sens commun, sans omettre l’individualité de chacun qui agit en fonction des valeurs qui lui sont propres. Certains principes d’action individuels des participants rassemblés pour former la tribu sont intimement privés, tandis que la mise en commun de trois notions se présente comme « un moteur de l’action collective » (Rousseau 2007). L’auteur cite le mérite lié à l’action en raison de sa difficulté, la valorisation de l’image par le don de soi et l’innovation qui donne aux actes une dimension transgressive par rapport aux normes sociales établies. Ainsi, il explique que la construction collective de sens est au cœur du projet de ce type d’organisation et s’articule autour d’une multitude d’idées et de sens individuels.

La théorie du « sensemaking » est mobilisée par Weick dès 1979 pour expliquer « le processus rétrospectif par lequel, un individu ou un collectif, construit, partage et véhicule des représentations signifiantes a posteriori, pour comprendre et expliquer, parfois justifier ou légitimer, des circonstances, des faits, des évènements ou des décisions du passé » (Lesca, 2002). Alors que l’auteur considère la construction de l’identité une fois l’action réalisée (Maurel, 2010), Rousseau (2007) explique que le sens peut aussi être projectif, c’est-à-dire se construire avant, pendant et après l’action.

Dans ce processus de construction sociale du projet, « l’agent associatif mène une action délibérée et organisée » (Rousseau, 2007). Ainsi, lorsque l’auteur définit la gestion comme un « agencement de moyens qui sont spécifiquement organisés en fonction d’un but », nous pouvons aisément comprendre que l’organisation militante appelle une certaine « forme de gestion de l’action collective » (Nieul, 2005). Le manager doit gérer le projet et la production de sens au même titre que les activités support constituant les moyens à sa mise en œuvre, tels que la gouvernance, la comptabilité, le budget ou encore les formalités administratives.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 – REVUE DE LITTERATURE
I. Les valeurs au cœur de l’organisation associative, une construction collective du sens
1. Le rôle central des valeurs du projet associatif
A. Primauté de la mission visant le renforcement de la cohésion sociale
B. Division du travail et mode de coordination par les valeurs partagées
C. Gouvernance démocratique reflétant les valeurs de l’association
2. Une action organisée pour produire du sens
II. La mise en œuvre de la gestion de l’activité associative
1. Une gestion informelle inspirée des valeurs au départ
2. La transformation des pratiques associée au développement de l’organisation
A. Un contexte en mutation
B. L’adaptation des pratiques de gestion
3. Les effets des dispositifs de gestion sur la construction collective du sens
A. Les pratiques de GRH comme enjeu de tension pour les rapports de pouvoir
B. La légitimité dans le modèle valoriel de GRH, entre unité et diversité
a. La pression de la cohésion autour du projet collectif : unité
b. Les divergences liées aux logiques d’actions qui traversent l’organisation diversité
C. La responsabilisation dans le modèle individualisant de GRH, entre autonomie et contrôle
III. Problématique
PARTIE 2 – CHAMP D’ETUDE ET METHODOLOGIE D’ENQUÊTE
I. Méthodologie
1. Choix de la méthode
A. Choix de l’objet d’étude et démarche de recherche
B. Présentation des acteurs et méthode d’échantillonnage
2. Réalisation de l’enquête
3. Mode d’analyse des données
II. Présentation du terrain
1. Présentation et histoire de Le Bourdon
A. Contexte de création et valeurs fondatrices
B. Processus historique de développement
2. Présentation de l’antenne régionale Le Bourdon Sud
3. Budget et financement
PARTIE 3 – PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
I. Contextualisation
1. Gouvernance et fonctionnement organisationnel
A. Les buts poursuivis pour maximiser l’impact social
B. L’organisation du travail pour tendre vers l’objectif
C. L’évolution de la gouvernance
a. Tendre vers un modèle horizontal basé sur une codirection générale
b. Impliquer les différentes parties prenantes au sein de la gouvernance associative
c. Mettre en place une gouvernance participative au niveau local
2. La gestion des ressources humaines
A. Développement de la fonction ressources humaines
B. Les critères de la gestion des ressources humaines
C. La formalisation des instruments de gestion des ressources humaines
D. Le degré de centralisation des pratiques de gestion des ressources humaines
II. Analyse
1. Des logiques divergentes
A. La relation entre la direction et les antennes régionales
B. Les conflits au sein de la gouvernance statutaire
C. La gestion des individualités au sein de l’antenne marseillaise
2. Une prise d’initiative limitée par le contrôle d’une activité associative complexe
A. Les effets ambivalents de la responsabilisation sur la marge de liberté des opérateurs
a. Les outils de gestion communs pour définir les normes
b. L’autonomie limitée par le reporting d’activité
c. La difficulté de déléguer
B. La charge mentale induite par la responsabilisation du modèle de gestion des ressources humaines
3. Une organisation du travail sous tension
A. La redéfinition des rôles face au développement de l’activité gestionnaire
B. Le positionnement complexe des bénévoles
PARTIE 4 – DISCUSSION
I. Intérêt de la recherche et leviers d’action possible
1. Apports de la recherche
2. Perspectives
II. Frontières de l’étude
CONCLUSION

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