Vers une compréhension de l’image du corps

“ Non c’est toi … ” : une réflexion autour de la clinique de l’image du corps à travers un accompagnement en psychomotricité

De l’observation clinique vers l’accompagnement en psychomotricité Dès le début de mon stage je suis orientée vers un travail d’observation, la méthode d’observation des bébés d’Esther Bick est évoquée par ma maître de stage. Mais qu’est-ce-que l’observation ? Observer, dans la clinique, ce n’est pas seulement voir, en effet la méthode d’observation des bébés selon Esther Bick met notamment en avant plusieurs principes : la réceptivité, la non-interférence et le respect des habitudes et des rythmes familiaux (Bick, 2006). La réceptivité concerne la posture de l’observateur, c’est une posture d’écoute des émotions et des relations qui se jouent devant nous. La non-interférence consiste à rester en posture d’observateur et donc de ne pas intervenir dans la relation pour ne pas la modifier, ni l’influencer. Enfin, le respect des rythmes demande de prendre en compte l’espace et le lieu d’intervention en lien avec les rythmes biologiques de l’enfant, ses besoins ainsi que ceux de la famille. Dans le cadre du CAMSP, le rythme est imposé par le cadre de la séance avec un horaire et un lieu fixe d’une semaine à l’autre intégré dans le rythme de la semaine d’école d’O. et de travail de ses parents. Avec ses principes en tête, je suis les étapes de la méthode d’observation. Je commence à observer, je prends le temps d’écrire puis, comme une forme de supervision, j’échange mes réflexions avec la psychomotricienne. Ainsi, je me laisse guider par la scène que j’observe, j’essaie de saisir les éléments psychomoteurs bruts, les transitions, les expressions symptomatiques et surtout j’observe de quelle façon tous ces éléments se déroulent dans le jeu. Ensuite, je prends le temps d’écrire, de détailler avec le moins d’interprétation possible une ou plusieurs scènes que je viens d’observer. 17 Pour préciser, je parle parfois d’échanges avec la maman. Sa présence ne s’inscrit pas dans une prise en charge mère-enfant mais bien dans un choix institutionnel qui permet aux parents d’accompagner la séance de leur enfant au CAMSP. Ainsi, pour certaines raisons, la maman ne pouvant plus accompagner O. à un moment de l’année, le choix est fait de poursuivre les séances pour O. seule, la nouvelle accompagnatrice n’étant pas un parent. Je me propose alors de vous présenter ces scènes cliniques sous la forme de vignettes en suivant leur ordre chronologique. Première vignette, 3 ans et 2 mois « Dès son arrivée, O. saisit le bébé et refuse de retirer son manteau. Elle demande à jouer au bébé qui ne veut pas manger. La psychomotricienne met en place des morceaux de pâte à modeler dans une assiette, elle demande à O. de tenir le bébé, O. répond « non c’est toi ». La psychomotricienne approche une cuillère de la bouche du bébé, elle prend le bras du bébé et fait tomber les morceaux en disant « non ! » et le bébé jette la cuillère. O. retient sa respiration puis rigole quand la cuillère tombe et ses bras se tendent vers l’extérieur. La psychomotricienne demande alors à O. : « qu’est ce qu’il fait le bébé ? », O. répond « il a jeté, il ne veut pas manger ». » Deuxième vignette, même séance « La psychomotricienne fait glisser le petit chat en peluche sur le toboggan. Avec les descentes qui se succèdent, la psychomotricienne accompagne de sa voix : « attention, attention, il arriiive ! ». Spectatrice, O. serre les dents, elle s’enserre avec ses bras jusqu’à trembler, quand le petit chat arrive au sol, elle souffle fort, rigole, ses bras tombent de chaque côté de son corps. Elle dit « il a peur du toboggan petit chat ». La psychomotricienne demande à O. si elle veut monter sur le toboggan, elle répond « non » et recule de quelques pas. Elle propose à O. de tirer la ficelle à laquelle est attaché le petit chat pour le faire glisser sur le toboggan, O. dit « non c’est toi ». » 18 Avec ces observations, je note que la mise en situation des émotions et de l’excitation, avec le rejet de la nourriture et la descente du toboggan, suscite des réactions toniques importantes. O. se recrute toniquement et s’accroche à la respiration. Par l’expression de la peur liée à la descente du toboggan, dans ses refus et dans son langage, j’émets l’hypothèse d’une angoisse de chute. Avec la répétition de ce jeu, je remarque également qu’O. reste spectatrice et refuse d’essayer de prendre une place à l’intérieur de cette expérience, elle exprime sa volonté de laisser l’autre faire avec le « non c’est toi ». De plus, je note que la tonalité de son rire se transforme avec la répétition, il devient forcé, se mêle au relâchement de la tension. Ce rire me donne l’impression d’une décharge tonique. La régulation tonique est en tout ou rien : hypertonie et accrochage au tonus et à la respiration, puis décharge respiratoire et tonique accompagné du rire. Avec ces deux premières vignettes, j’introduis l’utilisation du bébé et du petit chat. Ces deux objets présents dans la salle de psychomotricité seront plusieurs fois réutilisés et je décrirai leur utilisation dans quelques vignettes à suivre.

Vers une compréhension de la construction de l’image du corps

 Nombreux sont les auteurs qui ont tenté de décrire la construction de l’image du corps. Depuis les apports de la phénoménologie en philosophie, en passant par ceux de la psychanalyse et de la neurophysiologie vers une conceptualisation dans le domaine de la psychomotricité. Les concepts de schéma corporel et d’image du corps trouvent de nombreuses définitions. Celles-ci intègrent plusieurs dimensions, plus ou moins articulées en fonction du champ de compétence de leur théoricien. 

Le schéma corporel, un fondement de l’image du corps

 Le schéma corporel constitue un fondement de l’image du corps. Le concept de schéma corporel se développe à partir des découvertes de la neurologie en lien avec le fonctionnement des zones cérébrales. La notion de schéma corporel englobe une connaissance des différentes parties du corps, nous parlons de somatognosies. De plus, la conscience des volumes et la conscience de leur emplacement dans l’espace, nous amène à parler de proprioception. Pierre Bonnier (1861 – 1918), neurologue français, est le premier à introduire la notion de schéma du corps en 1883. Suite à des travaux sur la fonction vestibulaire et le vertige, il précise que l’attitude d’un segment du corps représente « le lieu qu’il occupe dans l’espace, par rapport à celui des autres segments » (Bonnier, 1904, p.39). Sa définition implique une représentation topographique du corps permettant de le situer dans l’espace et de percevoir les limites du corps. À partir d’une conception neurologique, il définit ce modèle postural comme une référence dans le temps et l’espace du corps lui permettant de reconnaître les stimulations, de les localiser sur ce modèle (Descamps, 1986). 30 Henry Head (1861 – 1940), neurologue anglais, introduit en 1911 la notion de schéma postural du corps et « considère les données posturales comme la base du modèle postural du corps […] auquel sont confrontées toutes les perceptions nouvelles » (P. Schilder, 2009, p.41). Ainsi, H. Head confirme l’idée selon laquelle le schéma postural du corps sert de référence spatiale pour la conscience des modifications posturales qui le traverse, ce à quoi il ajoute une dimension temporelle qui intègre l’influence de nouvelles perceptions. Les apports de P. Bonnier et H. Head ont permis d’établir un premier consensus qui consiste à dire que le schéma corporel est une représentation du corps qui permet de reconnaître la position des segments corporels dans l’espace afin de s’y ajuster en permanence, de manière non consciente. (Morin, 2013). Ainsi peut-on dire que le schéma corporel correspond à une image tridimensionnelle du corps construit à partir des expériences corporelles et qui permet une adaptation dans l’espace. Julian de Ajuriaguerra (1911 – 1993), médecin espagnol, propose une vision intégrative du corps en relation. Il intègre la dimension neurologique du corps, comme base de la mise en mouvement et d’expression des variations du tonus, qu’il articule avec la dimension relationnelle de l’expérimentation. Le corps est le support et l’objet du mouvement exploratoire et de la relation au monde et aux autres. Le corps permet une action sur le monde et ce mouvement d’aller-vers participe en retour de sa construction. André Bullinger (1941 – 2015), ingénieur de formation et psychologue, intègre la construction du schéma corporel aux expériences sensori-motrices du jeune enfant. Cependant il distingue deux notions que sont l’organisme et le corps. La sensorimotricité correspond alors à la liaison entre les sensations et les mouvements. Il s’inscrit dans une perspective développementale qui intègre la réalité biologique de l’organisme, l’influence du milieu dans le remaniement des représentations psychiques du corps qui lui est soumis et s’y adapte ainsi que l’apport des relations humaines qui permettent une inscription affective des expériences sensori-motrices. 31 Actuellement, la définition de schéma corporel intègre la dimension biologique, en cela qu’il constitue le cadre de référence de nos actions, et la dimension environnementale. Donc le schéma corporel est un concept bio-psycho-social qui se construit à partir des perceptions et impressions corporelles. Il est le cadre de référence spatial de l’action et de la relation au monde et aux autres (Bullinger, 2004).

Table des matières

Introduction
I. Une rencontre en petite enfance
1) Un cadre de rencontre8
2) Une anamnèse dans un parcours de soin précoce
3) Dans la rencontre, un profil psychomoteur se dessine
4) De l’observation clinique vers l’accompagnement en psychomotricité 
5) L’émergence d’un questionnement
II. Vers une compréhension de l’image du corps
1) Le schéma corporel, un fondement de l’image du corps
2) Entre schéma corporel et image du corps, l’apport de P. Schilder
3) Quelques apports de la psychanalyse
a) Des concepts spécifiques
b) Une conception psychanalytique contemporaine de l’image du corps
4) Le dialogue tonique, un soutien indispensable.38
5) La psychomotricité, une construction du sujet dans son corps
III. Un regard sur la clinique
1) L’absence de continuité
2) La présence des angoisses corporelles
3) Une forme d’inhibition
4) Le besoin de l’autre ou un manque d’individuation.
IV. Vers une construction de l’image du corps sous-tendue par la relation
thérapeutique dans le jeu
1) Une « mêmeté » nécessaire
a) L’invariance du cadre de la prise en charge
b) La répétition dans les jeux d’O
c) Une présence en continu
2) Amener la variation
a) La dimension relationnelle du jeu
b) … permet la transformation
3) Le jeu en psychomotricité, un soutien à la construction de l’image du corps
4) L’évolution de la construction de l’image du corps dans le jeu
5) Prendre sa place dans le jeu, un travail d’écoute
Conclusion
Bibliographie

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