Le travail est-il une épreuve ou permet-il à l’individu de s’exprimer ?

POSTULATS

L’auteur nous précise que le travail sans l’homme c’est le projet implicite de notre civilisation, alors qu’on cherche ce qui pourrait le justifier complètement. Non seulement de plus en plus de femmes et d’hommes sont en effet « sans travail » mais, ceci expliquant peut-être cela, il devient courant d’identifier modernisation et déclin du travail humain. Le projet social implicite auquel notre société est confrontée consiste à se passer du travail humain dès que c’est possible, non pour soulager les hommes mais pour alléger les coûts. La diffusion des technologies informatiques donne l’impression que le travail pourra se faire sans l’homme. La psychologie des milieux de travail et de vie : La fragilité des systèmes automatisés dément chaque jour l’illusion du travail sans l’homme et souligne l’investissement subjectif qui règne dans toutes les formes de travail. On ne peut séparer la vie et le travail, les valeurs et la technique. Le sens est toujours présent dans les activités apparemment les plus réglées. L’analyse des milieux de travail et de vie participe au renouvellement en cours des théories de l’action. Les sciences cognitives recommencent à s’intéresser au rôle de la situation, aux interactions sociales, aux environnements naturels et artificiels et à la culture. Une psychologie du travail se définit comme une tension : science et art de la pratique. Ils ne sont jamais que les deux termes entre lesquels l’activité de l’analyste du travail établit le lien d’un va et vient. Cette discordance est le meilleur rempart des idées reçues. Elle est utile pour comprendre combien des initiatives managériales ne cessent de se heurter aux démentis du réel. Il s’agit d’explorer la psychologie non écrite dans des milieux de travail dont l’efficacité « malgré tout » se fraie une voie singulière.

▼LES HYPOTHESES ▼

Le travail est-il une épreuve ou permet-il à l’individu de s’exprimer ? Le travail salarié est une épreuve pour le salarié, pas seulement l’épreuve de son rapport à la nature ou à la matière ou à l’objet de son travail. C’est une épreuve qui renvoie aux rapports sociaux dans lesquels son activité s’insère. Aujourd’hui la crise du salariat n’est pas simplement une dichotomie entre des salariés et des gens qui ne le sont pas. Le salariat s’est généralisé, s’est achevé dans le fait que la subordination n’a même plus le travail comme objet, c’est une subordination sociale tout court, dans laquelle des hommes et des femmes ne sont plus assez en situation de faire valoir leur utilité sociale. Le travail est aussi souffrance quant il est précaire ou surtravail. Mais si le travail est une épreuve, il peut être aussi une occasion de réalisation. Le salarié s’approprie-t-il le travail ? L’individu construit sa compétence réelle dans les interstices de l’organisation du travail. Cette intelligence pratique de la tâche est aussi une critique implicite des limites de la rationalité technique et économique.

La responsabilisation s’est-elle-développée.

Il y a plus d’initiative convoquée, plus de responsabilité, mais dans le même temps mois de possibilité d’y faire face. Les ressources indispensables de tous ordres sont chichement mesurées aux salariés de qui par ailleurs, on attend souvent des miracles. En gros, les résistances du réel, souvent trop compliqué sont abandonnées aux salariés de base, qui eux, ne peuvent pas s’y soustraire. Le travail n’est-il pas de plus en plus lié aux évènements survenant dans la production ? Le salarié est lié aux évènements induits par les systèmes techniques automatisés et informatisés, aux productions en flux tendus. N’y-a-t-il pas contradiction entre rentabilité immédiate et efficacité ? Il y a contradiction entre rentabilité immédiate et efficacité. On vise officiellement l’efficacité ou la qualité mais on économise sur le travail, on exclut le travail qui est leur véritable source. Le travail est trop souvent considéré comme de  » la mauvaise graisse ». D’ailleurs l’exclusion sociale est précisément liée à ce mécanisme interne à l’entreprise. C’est un mécanisme illusoire comme si travailler de plus en plus intensément était indispensable pour faire fonctionner la société alors que dans le même temps on traite le travail comme superflu. Le salarié est-il citoyen ? La politique, c’est le cœur de l’élaboration symbolique. En même temps, parmi ses terrains d’investigation et d’élaboration, il y a l’entreprise et le travail. Le travail peut être le lieu de la praxis et la politique peut se retrouver ressourcée d’une certaine manière, enracinée dans le social si elle pénètre comme force de subversion et de conflictualité dans le monde de l’entreprise. On peut être citoyen à l’extérieur du travail, être sollicité dans sa civilité extérieure. D’où contradiction entre être citoyen à l’extérieur et dominé à l’intérieur de l’entreprise. DEMONSTRATION : ( INTRODUCTION) A l’aide d’un exemple, Yves CLOT souhaite nous faire comprendre l’une des préoccupations de son livre : ayant eu l’opportunité de rencontrer les responsables de la RATP, son attention fut attirée par ce qui lui sembla être un problème de langage. En effet dans leur politique de communication, ces dirigeants ont pris l’habitude de désigner METEOR comme « un métro entièrement automatique ». Grâce à cet automatisme complet, la RATP espère pouvoir se dégager de la contrainte d’avoir à affecter un personnel nombreux à la conduite des trains. L’Homme restant un maillon faible de la fiabilité, l’entreprise souhaite pouvoir consacrer davantage de moyens aux services de proximité des voyageurs en créant de nouveaux métiers pour un personnel disponible et aimable à l’égard du public. Or, à l’examen, un glissement sémantique sans importance mais très significatif en réalité se produit lorsqu’on passe de l’expression de « train sans conducteur » c’est-à-dire sans loge de conduite, à celle de « métro automatique ». Or en fait, l’automatisation des trains ne rend nullement le fonctionnement d’ensemble du métro « automatique », c’est même l’inverse : elle déplace et élargit l’activité humaine de conduite puisque les « régulateurs » qui vont se trouver dans le poste de commande central devront : gérer « un train électrique géant », en cas d’incident « parler » aux usagers par téléaffichage et par télésonorisation, être l’une des composantes d’un collectif de travail incorporant le personnel présent sur le terrain, au contact direct des voyageurs. Enfin si l’on ajoute à cette description le fait que, au-delà de quinze minutes, tout le personnel, même le plus « commercial » devra se montrer capable de « reprendre le train en manuel » pour conserver la disponibilité et la qualité du service en temps réel, on mesure à quel point il est juste d’affirmer, comme le faisait notre interlocuteur de la RATP, que chaque « agent doit pouvoir conduire » ce nouveau métro.

Il n’y a pas déclin du travail humain mais déplacement de ces points d’application, élargissement spatio-temporel de ses protagonistes, problème d’identification, de connaissance et de « mise en mots » de la vie collective. Par ailleurs, la recherche des meilleures conditions de la mobilisation subjective des personnels ne vise qu’à élargir les mécanismes traditionnels de dépendance qui unissent le salariat à l’entreprise. La vague d’innovation managériale de ces quinze dernières années n’a pas seulement eu comme objectif de minimiser les effectifs salariés et de rechercher le redressement de la productivité par la diminution de l’emploi, elle a aussi affecté les conditions de travail en redécouvrant les vertus de l’intensification : les horaires fixes qui concernaient 61,3 % des salariés en 1978 et encore 59 % d’entre eux en 1984, n’en concernent plus que 52 % en 1991. La recherche de la souplesse et de la flexibilité a renouvelé les contraintes de cadence : « la demande des clients pèse davantage sur le rythme de travail, les délais sont plus serrés. » L’autonomie progresse, mais le travail à la chaîne ne recule pas. » Ces ambivalences de l’autonomie méritent que l’on s’y intéresse. D’un côté son développement est réel en matière de comportements opératoires : de 1987 à 1991, la proportion des salariés qui disent régler les incidents dans la plupart des cas passe de 43,4 % à 49,6 % et celle des salariés qui interviennent dans des situations prescrites à l’avance passe, au contraire, de 18,9 % à 15,2 %. Mais de l’autre les enquêtes laissent voir une montée des contraintes hiérarchiques portant sur l’activité globale : 32, 9 % des salariés contre 28,9 % en 1987 déclarent « agir ou pouvoir faire agir sur l’augmentation de la prime ou la promotion » des autres salariés sur qui ils exercent une autorité. De plus, les conditions de vie se sont détériorées : en sept ans la proportion de salariés ne disposant plus de quarante-huit heures de repos consécutives s’est élevée de 18,7 % à 21,3 % ; en dix ans le nombre de salariés se plaignant de mal de dos, de nervosité et d’insomnie a progressé de 50 %. Enfin on assiste bien à la diminution de la fréquence des accidents, mais c’est au prix de l’accroissement de la gravité de chacun d’eux. En conséquence, une grande lucidité paraît de mise lorsqu’on veut étudier l’effet de la modernisation sur l’existence de ceux qui la vivent : l’épreuve que constitue l’injonction de prendre ses responsabilités sans avoir de responsabilités effectives. L’impact des techniques nouvelles remet l’organisation du travail au centre des préoccupations des salariés. Paradoxalement les progrès de l’autonomie sont sources d’inquiétude « car si la marge de manœuvre s’élargit pour ce qui concerne les initiatives de conduites de systèmes, les contraintes temporelles sur les objectifs à atteindre sont plus pesantes ». Enfin le second argument qui milite en faveur d’un exercice lucide d’analyse des évolutions du travail moderne, c’est notre propre histoire : l’histoire de la communauté scientifique, avec un souci de lucidité portant sur les changements anonymes, souvent visibles après coup seulement. L’auteur juge les évolutions en cours moins comme une entreprise réussie de subordination que comme une modernisation opposée à elle-même. Le diagnostic de D.A. Norman, un maître de la psychologie cognitive américaine recoupe celui de Bruner : une intelligence désincarnée, pure et isolée du monde ne saurait demeurer bien longtemps un domaine d’avenir. Il faut redonner un rôle aux situations réelles où se déploient les artefacts de la culture et les relations sociales. Le sens du travail tend à devenir la condition d’efficience des systèmes et des installations, la connaissance et la reconnaissance des activités humaines font de plus en plus partie du travail lui-même. Il faut même envisager, de considérer l’analyse du travail, la formalisation de l’expérience professionnelle, l’élaboration des langages pour la penser, comme l’un des ressorts d’une autre efficacité sociale. Dans le livre : « Problèmes humains du machinisme industriel », de G. Friedmann l’une des trois parties s’intitule « limites du « facteur humain ». Ce même auteur aurai-il écrit aujourd’hui un chapitre sur les limites des « ressources humaines? » Aucuns cas singulier n’est comparable. C’est peut-être dans le domaine des régimes de production de l’imprévu que la connaissance du travail peut apporter le plus.

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