Le financement de l’électrification rurale 

Relecture d’expériences hors CLUB-ER : une analyse en quatre dimensions

A La dimension politique

En France, et contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays membres du CLUB-ER, le développement de l’électrification rurale est le résultat d’une forte implication des collectivités locales : on peut dire que l’électrification rurale a d’abord été le fait politique des notables ruraux français, accompagnés puis relayés par l’État. L’ER s’est donc développée à travers une multitude de programmes décentralisés, techniquement indépendants, ce qui a eu pour conséquence la nécessité de consolider et d’harmoniser les normes des différents réseaux lorsqu’ils ont été progressivement raccordés les uns aux autres, après la création de EDF en 1946 ; Aux États-Unis, c’est la REA – Rural Electrification Authority – qui a conduit le programme d’électrification rurale du Gouvernement fédéral. Le Président Roosevelt en personne a mis en place cette « Authority », montrant ainsi sa détermination politique pour mener à terme l’ER de tout le territoire fédéral. REA a choisi de soutenir techniquement et financièrement les coopératives d’électricité, initiées par les bénéficiaires eux-mêmes ; elle l’a fait en accord avec les County (la plus petite unité administrative américaine), respectant ainsi le caractère de service public de l’électricité. Ainsi, si c’est la REA qui fixe les objectifs fédéraux – électrification de toutes les agglomérations rurales qui ont moins de 1 500 habitants – ce sont les porteurs de projets, à savoir les coopératives d’électricité avalisées par les County, qui définissent de façon autonome leurs programmes : une approche clairement décentralisée, peu fréquente actuellement dans les Pays en développement africains ; Au Guatemala, c’est le PER (Programme d’Électrification Rurale), lancé après la réforme du secteur électrique de 1997 qui a été le déclencheur de l’électrification rurale. Le comité technique (composé de représentants du Ministère de l’Énergie et des Mines, de l’INDE (Instituto Nacional de Electrificación, ex société nationale), et des deux sociétés de distribution privées) gère le fonds fiduciaire mis en place dans le cadre du PER et approuve le programme de travail annuel ; En Bolivie, même si le Gouvernement a adopté en 1997 un Programme National d’Électrification Rurale (PRONER) avec comme objectif de porter la couverture nationale en électricité à 70 % sur 20 ans, c’est la politique de décentralisation (lois de 1994 et 1995) qui est véritablement à l’origine de l’accélération de l’électrification rurale. En effet, la responsabilité de l’identification, du développement, du financement et de la mise en œuvre des projets d’électrification rurale a été largement décentralisée et confiée aux départements et aux municipalités, qui ont pour cela reçu des budgets appropriés ; En Ouganda, le Gouvernement présente périodiquement au Parlement la stratégie d’électrification rurale et un rapport annuel d’avancement ; le programme d’électrification sous-jacent avait pour objectif d’atteindre 10 % de taux d’électrification en 2010. 

Les aspects de régulation

 L’histoire de l’électrification rurale en France enseigne qu’il conviendrait, au-delà des encadrements contractuels et tarifaires, d’anticiper également sur les normes et standards techniques, de manière à faciliter les consolidations et harmonisations futures au sein d’un réseau interconnecté national. Il est assez surprenant pour les pays membres du CLUB-ER de constater en effet, eu égard aux tendances et pratiques actuelles (qui peinent d’ailleurs à avancer), que le réseau français est le fruit d’une multitude de mini-réseaux décentralisés et non le produit d’une extension à partir d’un réseau « central ». EDF n’est pas une création ex-nihilo, mais la consolidation d’une multitude d’opérateurs privés suite à la nationalisation de l’électricité à la fin de la seconde guerre mondiale ; 3 1 Club-ER 31 Le Partenariat Public-Privé dans les programmes d’électrification rurale en Afrique Aux États-Unis, on constate que c’est encore la REA qui fait office de régulateur. Elle innove avec une réglementation favorable au développement des coopératives d’électrification et une action de sensibilisation auprès des États ; elle innove également avec l’adoption de normes et standards allégés pour réduire les coûts des réseaux et des raccordements électriques ; elle lutte contre les situations de monopole sur le segment de la production en invitant l’État fédéral à investir (afin que les distributeurs ruraux ne soient pas pris en otage par des producteurs privés malhonnêtes) ; elle impose aux distributeurs des tarifs compatibles avec le pouvoir d’achat des ruraux (d’où finalement le choix de soutenir des coopératives, plutôt que les entreprises privées du secteur électrique), etc. Au Guatemala, c’est la Commission Nationale d’Énergie Électrique (CNEE), créée en 1996 qui, en qualité d’agence indépendante placée sous la tutelle du Ministère de l’Énergie et des Mines, assure la régulation du secteur. Elle met en place les règles et les procédures de marché et surveille le comportement des différents acteurs, définie les tarifs de transport et de distribution (et notamment un tarif social). Cependant, c’est le Comité technique du PER, mis en place pour gérer le fonds, qui recrute les ingénieurs conseils chargés de vérifier la conformité des nouveaux raccordements, déterminant pour le règlement de la subvention de 80 % ; En Bolivie, la régulation est assez complexe. Elle est assurée par la SDE, relayée par une société de régulation du transport (TDE), un Comité national de dispatching (CNDC) et un Centre de Dispatching National. Les systèmes de moins de 500 kW de pointe maximale, qui constituent pourtant l’essentiel dans l’électrification rurale, ne sont pas régulés ; En Ouganda, un des principaux éléments de la régulation est celui de la fin du régime du tarif unique national. Les nouveaux opérateurs de l’électrification rurale ont ainsi été autorisés à appliquer des tarifs couvrant les coûts d’approvisionnement (après déduction des subventions mises à disposition). La concession existante continue cependant à être régulée comme une zone de tarif unique. Seuls les futurs projets d’électrification rurale portés par le concessionnaire peuvent faire l’objet d’une tarification différenciée.

Le financement de l’électrification rurale 

En France, et ce quelle que soit la période historique, on constate que les aides de l’État ne sont jamais directement destinées aux entreprises privées (contrairement à ce qui est souvent préconisé dans les modèles adoptés par les pays membres du CLUB-ER), mais uniquement à des structures représentant l’intérêt collectif : les communes et leurs différents regroupements (syndicats intercommunaux et départementaux), les Régies et les Sociétés d’Intérêt Collectif Agricole d’Électricité (SICAE), des regroupements de coopératives agricoles d’électricité. L’essor effectif de l’ER est apparu lorsque l’État a apporté des aides à la fois en capitaux et en risques (garantie de l’État pour des prêts publics ou privés à moyen et long termes) ; Aux États-Unis, le financement de l’électrification rurale est au cœur de l’activité de la REA. Elle accorde essentiellement des crédits de long terme (25 ans) à taux bonifié (2 % jusqu’en 1993), en échange d’une hypothèque prise uniquement sur les réseaux et sur les revenus de leur exploitation, et jamais sur les biens des fermiers par exemple (notamment les terres). Ces crédits sont destinés uniquement au financement de la totalité (100 %) des investissements de transport et de distribution de l’énergie, la production étant considérée comme rentable ; Au Guatemala, un fonds fiduciaire a été mis en place pour soutenir la mise en œuvre du PER, avec ceci d’original qu’il a été alimenté à hauteur de 30 % par les ressources tirées de la privatisation de la société électrique de service public ; il finance 100 % des investissements dans les infrastructures de transport et accorde 650 $US par ménage raccordé ; 32 Club-ER Les PPP dans l’électrification rurale En Bolivie, ce sont essentiellement des ressources décentralisées qui ont supporté l’électrification rurale : les municipalités reçoivent 20 % des ressources annuelles de l’État, tandis que les départements obtiennent des fonds en provenance des redevances prélevées sur les hydrocarbures et d’autres sources ; En Ouganda, un fonds d’électrification a été mis en place avec exclusivement des ressources internationales (principalement la Banque Mondiale, des bailleurs de fonds bilatéraux apportant des fonds additionnels) : il est depuis alimenté par des ressources pérennes constituées par le prélèvement d’une taxe sur les consommations d’électricité en zones urbaines, par des allocations financières de bailleurs de fonds et par des subventions attribuées sur le budget national. Le tarif le moins élevé à subvention constante est le critère de sélection des opérateurs de l’électrification rurale : mais l’équité régionale est prise en compte par l’institution de taux de subvention différentiés, probablement plus élevés pour les régions défavorisées. L’attribution de la subvention se fait tout le long de l’année, sauf pour les projets prioritaires pour lequel des appels d’offres peuvent être lancés par le gouvernement.

L’accompagnement technique des collectivités et des opérateurs privés locaux 

En France, on constate que l’assistance technique des services de l’État n’est jamais proposée aux opérateurs privés directement, mais plutôt aux communes et à leurs différents regroupements (syndicats intercommunaux et départementaux), afin de renforcer leur capacité de maîtrise d’ouvrage. Force est de constater que la faiblesse des compétences des collectivités locales est une réalité historique y compris en France, et cela n’a pas empêché le Conseil d’État français de les ériger en Autorité concédante dès 1906, et de les maintenir ainsi jusqu’à aujourd’hui. Force est de constater également que les corps du Génie rural, et des Eaux & Forêts, services techniques du Ministère de l’Agriculture (et non de l’Énergie !) ont largement contribué au renforcement des capacités des collectivités locales. L’énergie n’est pas une finalité en soi et la France est agricole et essentiellement rurale (la population urbaine ne dépassera celle du rural qu’en 1930 ; en 1928, l’agriculture représente 24 % du PIB brut pour une population active de 32 %). Ainsi, l’argument souvent répété ça et là que rien ne peut être confié aux communes en raison de leur incompétence est ici battu en brèche. Aux États-Unis, c’est encore la REA qui apportera différentes formes d’assistance technique aux coopératives d’électricité (assistance juridique et technique dans les phases de création, appui technique dans les phases de gestion technique, formation à la comptabilité et à la gestion pour la gestion clientèle, mise au point de kits d’installation électrique intérieure à bas coûts, etc.), mais aussi de façon plus globale pour le développement de l’électrification rurale à travers la formation de jeunes ingénieurs, la promotion et le financement de recherches appliquées, le développement des usages productifs de l’électricité, etc. Au Guatemala, aucune disposition d’assistance technique aux opérateurs n’a été identifiée, les deux seules sociétés retenues étant supposées maîtriser leur champ technique ; En Bolivie, aucune action particulière n’a été recensée en matière d’assistance technique, y compris au profit des municipalités qui sont les principaux porteurs de projets et présentent structurellement des besoins de renforcement des capacités. Des impacts négatifs sur la qualité et les coûts des projets municipaux ont ainsi été observés.

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