Statues héroïsantes, en nudité ou semi-nudité

Types statuaires

L’existence d’une différenciation établie entre plusieurs types statuaires dans l’Antiquité est attestée par plusieurs témoignages, notamment par la tabula Siarensis, ainsi que par une inscription provenant de Lucus Feroniae, présentant le cursus de L. Volusius Saturninus, mort alors qu’il détenait la préfecture de Rome. Sur cette inscription sont mentionnés les honneurs accordés post mortem par Néron à ce personnage, avec des funérailles publiques, et l’érection de statues en son honneur, dont les emplacements sont signalés24. Cette inscription mentionne ainsi, pour ce personnage, la présence à Rome de neuf statues : trois statues triomphales (une en bronze, placée dans le Forum d’Auguste, deux en marbre, placées dans le templum novum du Divus Augustus), trois statues comme consul (une dans le temple du Divus Iulius, une sur le Palatin « intra tripylum », et une autre sur la place située devant le temple d’Apollon, « in conspectum curiae »), une statue comme augure dans la Regia, une statue équestre à proximité des Rostra, et, enfin, une statue assise sur la sella curulis dans la porticus Lentulorum, près du théâtre de Pompée25. Plusieurs types statuaires sont donc ici différenciés : statuae triumphales, consulares, augurales, equestres, et sur la sella curulis. Cette distinction, au sein d’une même inscription, témoigne bien de l’existence d’une différenciation entre plusieurs types statuaires dans l’Antiquité. À ces types statuaires, identifiés dans une même inscription, s’ajoutent les témoignages d’autres qualificatifs, et des mentions existent de statuae pedestres, de statua habitu militari (ou armata statua ou loricata) de statua habitu civili. Si ces qualifications se retrouvent dans des mentions antiques, elles ne définissent pas nécessairement des types non compatibles avec ceux déjà identifiés, mais peuvent plutôt servir à opposer deux types de statues (pédestre et équestre par exemple), et inclure par ailleurs la notion civique ou militaire26. Par ailleurs, d’autres caractéristiques permettaient d’identifier un personnage et son statut. Cicéron reconnaît, par exemple, le même personnage représenté sur deux statues différentes, grâce à la posture ou l’attitude (status), le vêtement (amictus), l’anneau (anulus), et le portrait (imago)27.
Plusieurs types statuaires principaux peuvent toutefois être établis 28 . E. Rosso distingue cinq types, qui s’approchent de ceux décrits par les inscriptions et qui sont utilisés dans les représentations impériales : les statues figurant des personnages portant une toge, celles représentées velato capite, les statues cuirassées, les statues équestres et les statues en nudité ou semi-nudité héroïque 29 . La reprise des modèles impériaux par les élites provinciales conduit à étendre cette typologie à l’ensemble du corpus statuaire de notre étude. Cependant, ce dernier, même s’il contient une grande part de statues impériales, n’en est pas exclusivement composé. Certains de ces types sont utilisés dans les représentations des personnages figurés sur le forum, notamment en ce qui concerne les élites. D’autres personnages sculptés sont toutefois exposés dans les centres civiques et correspondent à trois grandes catégories : les personnages féminins, les divinités ou personnages mythologiques et enfin ceux associés aux trophées. Par ailleurs, il existe également d’autres décors sculptés, la plupart du temps en bas-relief, mais associés au décor architectonique et sur lesquels nous reviendrons30.
L’état fragmentaire d’un certain nombre de statues ne permet pas, dans de nombreux cas, de déterminer le type. Souvent, la tête n’est pas associée au corps, ce qui rend difficile l’identification d’un type. Les catégories présentées ci-dessous ont donc été élaborées à partir des fragments donnant assez d’indications pour déterminer l’appartenance à un type.
Statuae togatae
Togati adultes
Les statuae togatae représentent une importante partie des statues conservées. Il s’agit du type statuaire le plus fréquemment utilisé et le plus simple31, employé aussi bien pour les représentations de membres de la famille impériale que pour celles des élites locales32. De cette façon, la qualité des matériaux employés ou d’exécution de la sculpture peut varier grandement d’un togatus à l’autre. La toge, symbole de la citoyenneté romaine, est présente dans les textes. Virgile33, Martial34 et Suétone35 se réfèrent au peuple romain, maître du monde, comme à la gens togata : « Romanos, rerum dominos gentemque togatam »36.
Par ailleurs, Auguste rétablit la toge comme costume romain en recommandant aux édiles de contrôler son port sur le forum ou dans ses alentours37 . Le fait de porter le vêtement approprié permet ainsi de refléter la dignitas de Rome, comme le suggère Cicéron travers plusieurs contre-exemples38. L’importance accordée au port de la toge par Auguste se justifie notamment par sa volonté de s’inscrire dans la lignée du régime républicain, ce qui explique le choix privilégié du type statuaire du togatus pour les représentations impériales julio-claudiennes. Ce type statuaire est largement adopté dans les provinces car, en plus de participer à l’imitatio Vrbis, le port de la toge permet au citoyen romain de montrer que son statut l’autorise à porter ce vêtement39. La recommandation d’Auguste du port de la toge sur le forum de Rome trouve donc un écho dans les nombreuses statuae togatae ornant les complexes provinciaux : la figure du citoyen romain y prédomine40.
Les togati provenant des fora des provinces ici étudiées ne sont conservés qu’à l’état fragmentaire et sont au mieux dépourvus de tête et d’avant-bras, ces derniers étant souvent réalisés à part. Il est par ailleurs difficile d’identifier l’appartenance de têtes à sabot d’encastrement à ce type en particulier, la découpe étant proche de celle utilisée pour les statues cuirassées41.

Togati à la bulla

Le type du togatus est également employé pour la représentation des garçons portant la bulla42. Il s’agit donc de personnages portant la toga praetexta, représentés avant leur majorité civique et dont les statues devaient être relevées de polychromie au niveau de la bordure de la toge par une bande pourpre et au niveau de la bulla, probablement dorée. Les principes iuventutis, Caius et Lucius César, héritiers d’Auguste, sont représentés portant la toge : l’utilisation de ce type pour les statues de l’empereur est ainsi reprise par les statues des membres de sa famille, et montre la continuité de l’attachement des héritiers de l’empereur aux valeurs républicaines 43 . Cinq statues fragmentaires de togati à la bulla provenant de fora des provinces ici étudiées nous sont parvenues. Elles ont été découvertes à Glanum (CAT.6.01), à Nîmes (CAT.8.02), à Barcelone (CAT.11.01), à Sagonte (CAT.15.02), et sur le forum colonial de Tarragone (CAT.17.06). Bien que des statues de ce type plus tardives aient pu orner le forum, ces représentations de jeunes hommes, certainement des princes, portant la toge et la bulla, sont toutes datées de la dynastie julio-claudienne.
L’identité des personnages représentés n’est pas connue avec certitude, aucune tête n’ayant été conservée. À l’exception de l’exemplaire nîmois dont l’identité est plus incertaine, ces statues représentent très probablement des princes de la famille impériale. L’utilisation du marbre blanc (pour quatre statues) et italien (au moins pour les trois statues provenant de la Tarraconaise) montre l’importance de l’hommage rendu à des garçons ou jeunes hommes et conduit à penser qu’il s’agit de princes (voir Tableau.1). Le lieu privilégié de la découverte de ces statues (à proximité du temple pour celles de Glanum et de Nîmes, dans la zone de la basilique pour celle de Sagonte) indique lui aussi que ces statues devaient avoir une importance particulière, tout comme l’association probable avec d’autres représentations de la famille impériale avec lesquelles elles pouvaient former un cycle statuaire44.
Il est toutefois possible que certains membres de l’élite locale aient représenté leurs enfants en togati à la bulla, imitant ainsi les cycles impériaux exposés sur les mêmes fora, comme c’est peut-être le cas à Nîmes45. La statue qui y a été découverte (CAT.8.02) n’a pas été réalisée en marbre comme les autres togati à la bulla, mais en calcaire. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, même si le travail du drapé est de moins bonne qualité que sur le togatus de Glanum, la toge est positionnée de la même façon et l’attitude du personnage, levant l’avant-bras gauche, semble être la même, tandis que les modèles présents en Tarraconaise sont différents. L’utilisation du calcaire est inhabituelle pour les représentations impériales 46 , il est alors possible que le jeune homme représenté ait appartenu à une famille d’élites locales, imitant dans un matériau moins prestigieux les statues impériales marmoréennes. Toutefois, dans la même ville, un portrait impérial en calcaire figure Antonia Minor47, indiquant l’utilisation locale d’un matériau moins noble que le marbre pour une représentation impériale et ainsi la possible appartenance du togatus à la famille de l’empereur. Mais s’il s’agit de la représentation du fils d’un personnage important l’échelle locale, il doit tout de même s’agir de l’imitation d’une statue de prince se trouvant sur le forum.
La représentation des princes ne semble donc pas avoir été exceptionnelle à l’époque julio-claudienne, comme en témoignent ces cinq statues. Ces héritiers en toge permettent une justification du pouvoir de cette première dynastie sur le long terme : la maison impériale est, avec eux, visuellement présente dans son ensemble. Les togati à la bulla que nous avons évoqués appartiennent en effet tous à la dynastie julio-claudienne. D’après les auteurs les ayant étudiés, ils semblent avoir représenté Caius ou Lucius César pour le togatus de Glanum, ou Britannicus ou Néron pour ceux de Glanum et de Tarragone.
L’exposition de ce type statuaire semble ainsi avoir été privilégiée durant cette période de mise en place d’un nouveau pouvoir, contrairement à celui du togatus adulte, dont la présence est également connue pour les périodes suivantes.

Statues cuirassées

La cuirasse, présente sur les statues désignées comme statua armata, statua habitu militari ou statua loricata, peut être représentée sur des statues de divinités, d’empereurs ou de militaires48 et plusieurs fragments du type de la statue cuirassée ont été découverts dans la zone étudiée49. Les statues cuirassées retenues dans cette étude ne correspondent qu’à celles dont le lieu de découverte est situé dans la zone présumée du forum, et il faut noter qu’un certain nombre n’a donc pas été retenu bien qu’ayant pu orner le centre civique50.
Certains de ces fragments ont appartenu à des statues impériales, mais il semblerait que quelques-uns puissent être attribués à d’autres personnages importants, s’étant illustrés dans des actions militaires51. L’exposition de statues non impériales sur un forum est, par ailleurs, connue à Pompéi, avec la statue du duumvir M. Holconius Rufus, reprenant le type statuaire de Mars Ultor 52 , bien qu’il puisse s’agir d’un portrait, peut-être impérial, retravaillé 53. Il semble toutefois que, dans les provinces, les personnages non impériaux représentés le plus fréquemment selon le type cuirassé aient été les décurions provinciaux54. L’utilisation de ce type statuaire est donc une forme d’hommage privilégié et témoigne de l’importance donnée au personnage représenté. Un fragment de cuirasse en bronze, découvert à Ruscino, appartenait ainsi peut-être à une statue du patron de la cité, P. Memmius Regulus (CAT.10.01), à qui une dédicace est adressée sur le même forum55. Cependant, la plupart des autres statues cuirassées identifiées semblent avoir représenté des personnages impériaux (voir Tableau.2)56.
Ces statues cuirassées ne se présentent pas toutes à la même échelle. Les fragments assez conservés pour connaître approximativement les dimensions originales permettent de constater que, à l’exception d’un buste, le format utilisé est plus grand que nature. Parmi les statues cuirassées, il faut ainsi noter la présence à Nîmes d’un buste (CAT.8.04) de petites dimensions et qui représente peut-être Caracalla. Qu’elles soient de petites ou de grandes dimensions, les statues cuirassées de notre corpus semblent se distinguer par leur format, qui diffère de l’échelle naturelle.

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