VIOLENCES EXTRÊMES

VIOLENCES EXTRÊMES

Si les violences, d’une manière générale, revêtent une connotation négative et sont de facto condamnables et rejetables, les violences extrêmes (guerres interétatiques, guerres civiles, génocides, massacres de populations, nettoyages ethniques …) mettent à nu la barbarie humaine et questionnent d’une façon violente l’humanité de l’Homme. Les horreurs des massacres et les violences insoutenables auxquelles les gens sont confrontés lors des guerres interétatiques et des guerres civiles, tribales, claniques ou ethniques, les violences des crises politiques qui souvent prennent la forme des guerres interethniques et/ou confessionnelles, voire génocidaires dépassent l’entendement humain et les mots pour les décrire restent dérisoires. Parlant de l’horreur du génocide rwandais, Boubacar Boris Diop admet que « [t]out cela est absolument incroyable. Même les mots n’en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire » (2000, p. 124). Pour Abdourahman A. Waberi, « le langage est inadéquat […] à dire le monde et toutes ses turpitudes, les mots restent de pauvres béquilles mal assurées, toujours à fleur de déséquilibre » (2000, p. 14). Dans ce même ordre d’idées, Myriam Ruszniewski-Dahan aborde la difficulté des mots à dire l’indicible de la Shoah : « Les mots me paraissent usagés, bêtes, inadéquats, maquillés, anémiques » (1999, p. 31). Sans toutefois revenir sur les violences effroyables et incompréhensibles de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, ni sur les génocides arménien et cambodgien, ni sur les nettoyages ethniques de l’ex-Yougoslavie avec comme point d’orgue les massacres de Srebrenica, disons que le déferlement de la cruauté et de la barbarie humaine n’a d’égale que son irrationalité et la négation pure et simple de l’humanité. Signalons au passage que les deux guerres sont nourries par l’idéologie de la « race pure », de la « race supérieure » et l’élimination de la « race inférieure » considérée comme des sous-hommes, notamment l’extermination des Juifs par les Nazis (appelée communément l’Holocauste ou la Shoah) dans des camps d’extermination allemands (Auschwitz-Bikernau, Chelmno, Belzec, Sobibor et Treblinka…).

Les violences extrêmes ont toujours ponctué l’histoire du continent africain. Sans s’attarder sur les violences de la traite négrière et de la colonisation qui ont rabaissé l’homme noir à l’état de bétail, d’objet et de marchandise et donc à la merci de son/ses acquéreurs et exposé à toutes les formes de violences, il convient d’admettre que le contact entre l’Occident et l’Afrique s’est fait dans la douleur, la souffrance, l’humiliation et la violence. Prenons simplement quelques exemples de violences extrêmes lors de la colonisation rapportées par Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme (1955). « Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je [le colonel de Montagnac] fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes »; « Il est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis »; « On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres » (p. 16). Ainsi, pour conquérir des villes aucune âme n’est épargnée : 50 pour la plupart des pays – ont été d’une rare violence, notamment dans les colonies de peuplement (« settler colonies »). Citons à titre d’exemple, la rébellion Mau-Mau au Kenya, la guerre d’Algérie, la guerre de libération d’Angola et du Mozambique. En Afrique du Sud, il a fallu attendre la libération de Nelson Mandela (1918-2013) en février 1990 et son élection (1994) en tant que Président de la République pour tourner définitivement la page sombre de l’histoire sud-africaine marquée à jamais par trois siècles d’une politique ignoble d’apartheid mise en place par la minorité blanche.

Pour Kossi Efoui, « Écrire contre (sur, sous, au temps de) l’apartheid n’était pas uniquement lié à une prise de conscience idéologique ou morale du conflit social. C’était tout d’abord pour l’écrivain, le corps à corps avec un mot, apartheid, qui dans un certain « lieu d’existence des mots, opère par prédation, structure une figuration du monde excluant toute autre figuration possible » (2002, p. 6). Ainsi, les écrivains qui ont écrit sur le génocide rwandais avaient pour but d’ « écrire par devoir de mémoire »,96 d’« écrire contre l’oubli »97 et de « lutter contre l’oubli » (Djedanoum, 1999-2000, p. 118). Écrire sur le génocide rwandais, c’est aussi « comprendre et susciter une réflexion sur le mécanisme qui ont conduit à cette tragédie, promouvoir une liberté de pensée qui concourt à prévenir la réalisation d’une telle horreur humaine en Afrique et ailleurs » (Djedanoum, 1999-2000, p. 118). Écrire sur le génocide rwandais, c’est faire en sorte que celui-ci ne soit pas « un point de détail de l’histoire contemporaine » car « il n’y a pas de génocide sans importance » (Diop, 2000, p. 224).

 

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