Réactivité chimique entre les précurseurs lors de l’élaboration de verres nucléaires enrichis en molybdène
Le procédé de vitrification français
Historique
Le procédé technologique de vitrification continue des solutions de produits de fission, capable de fabriquer le verre en milieu hautement radioactif, est le fruit d’une étroite collaboration entre AREVA (anciennement COGEMA) et le CEA. Depuis les années 1960, des recherches ont été menées sur le site du CEA Marcoule dans le but de produire des colis de verre à l’échelle industrielle. Le CEA a commencé par développer des procédés discontinus dans lesquels les opérations (évaporation-calcination-vitrification) s’enchaînent de façon séquentielle dans le même appareil. Ces procédés se sont matérialisés par la construction et l’exploitation dans l’atelier Pilote de Marcoule de deux installations actives : GULLIVER (1964-1967), où les opérations s’effectuaient dans un creuset graphite chauffé par un four à résistances, et PIVER (1968-1980), utilisant un pot métallique (en Inconel pour résister à la corrosion par le verre fondu) chauffé par induction [27]. A la suite de ces essais, il est apparu que, pour obtenir une capacité de production compatible avec les objectifs industriels fixés, il était préférable d’avoir un procédé continu et de séparer les opérations d’évaporation/calcination, grosses consommatrices d’énergie, de l’opération de vitrification elle- Chapitre 1 : La vitrification des déchets nucléaires de haute activité – Généralités 16 même. Le CEA a ainsi réorienté ses travaux de R&D vers le développement d’un procédé continu de vitrification en deux étapes (détaillé paragraphe 2.3.2.). Pour réduire la taille du four de fusion, il a également été décidé de retenir le principe de chauffage par induction de la paroi du creuset (métallique) lui-même. Par ailleurs, ce principe permet de désolidariser le creuset (consommable) du système de chauffage qui reste protégé du verre corrosif et de la contamination directe. Le principe du chauffage par induction de la paroi du creuset apporte aussi beaucoup de souplesse d’utilisation, en permettant des arrêts et des redémarrages rapides, sans être contraint par de longues périodes d’attente à chaud comme cela se produit dans les fours céramiques à électrodes [19]. La première installation industrielle de ce type a été la chaîne de vitrification en pot métallique cylindrique de l’AVM (Atelier de Vitrification de Marcoule) (1978-2009) de l’usine de retraitement UP1 pour confiner les déchets issus du traitement des combustibles usés des réacteurs à Uranium naturel. À l’issue de développements complémentaires14[19, 28], ce procédé a été implanté dans six chaînes de vitrification des ateliers R7 (de l’usine de traitement UP2-800) et T7 (de l’usine UP3) sur le site de La Hague (AVH), respectivement en 1989 et 1992, où sont traités des combustibles usés à oxyde d’uranium enrichi en uranium 235. Le procédé de vitrification français des ateliers R7 et T7 a par ailleurs été mis en œuvre en 1992 à Sellafield en Angleterre (Windscale Vitrification Plant) pour la vitrification des déchets de haute activité issus du traitement des combustibles de MAGNOX ainsi que les autres déchets issus de l’usine de retraitement THORP [19]. 14 Pour l’AVM, le calcinateur rotatif à une capacité d’évaporation de 40 L/h et le creuset (cylindrique) peut élaborer 15 kg/h de verre. Pour les six chaînes des ateliers R7 et T7 à La Hague, la conception s’est inspirée de l’expérience AVM, avec une augmentation de capacité unitaire de manière à pouvoir produire 25 kg/h de verre (par chaîne) en routine à partir des solutions de produits de fission provenant du traitement d’un combustible « eau légère » de type UOX1. Pour cela, la capacité du calcinateur a été portée à 60 L/h et le creuset a été agrandi et rendu ovale de manière à optimiser les transferts de chaleur.
Procédé de vitrification en pot métallique chauffé par induction
Dans le procédé continu de calcination-vitrification des effluents liquides de haute activité, actuellement mis en œuvre industriellement à La Hague dans les ateliers R7 et T7, les étapes évaporation-calcination des solutions nitriques sont séparées de l’étape de vitrification (cf. Figure 2). En amont du calcinateur, les solutions nitriques sont transférées via une roue doseuse et mélangées à un adjuvant de calcination, le nitrate d’aluminium, qui est ajouté pour améliorer la calcination [29]. L’emploi d’un adjuvant organique de calcination (le plus souvent du sucre [29]), se décomposant sous l’influence de la température, permet également de faciliter la fragmentation du calcinat tout en limitant la volatilité de certains éléments comme le ruthénium (par réduction de RuO4 gazeux en RuO2 solide) [27]. Figure 2 : Principe du procédé français de vitrification en deux étapes calcination – vitrification en creuset chauffé par induction indirecte en usage à La Hague [19]. La transformation de la solution de déchets en verre passe ensuite par trois phases. Le mélange à traiter est introduit en continu dans l’unité de calcination, constituée d’un tube tournant chauffé par un four à résistances, et soumis à un traitement thermique qui permet : o L’évaporation des solutions liquides entre 100 °C et 150 °C, o La calcination, entre 400 °C et 500 °C, qui décompose une partie des nitrates et les transforme en oxydes. Chapitre 1 : La vitrification des déchets nucléaires de haute activité – Généralités 18 Ce type de traitement thermique permet de convertir la solution de déchets en une poudre constituée essentiellement d’un mélange d’oxydes, le calcinat. Le calcinat, tombe en continu par gravité, dans un four de fusion constitué d’un pot métallique ovoïde (en alliage base nickel riche en chrome) chauffé classiquement à 1100 °C par induction électromagnétique. Ce four est par ailleurs alimenté de façon discontinue en paillettes de « fritte de verre » qui apporte les éléments chimiques indispensables à la formation d’un verre (formateurs de réseau SiO2 et B2O3 notamment). C’est dans ce pot de fusion que les oxydes de la fritte de verre et du calcinat réagissent entre eux à haute température pour former le verre, c’est l’étape de vitrification. Lorsque le verre a été élaboré et affiné (période de l’ordre de 8 h) [19], la fonte verrière est coulée (déclenchée par fusion du bouchon de verre qui obture la buse de coulée) puis solidifiée dans des conteneurs cylindriques en acier inoxydable dits CSD-V (Conteneur Standard de Déchets Vitrifiés) (cf. Figure 3). Le conteneur est rempli par deux coulées de verre de 200 kg chacune. Le verre et son conteneur forment alors le colis. Figure 3 : Conteneur Standard de Déchets Vitrifiés CSD-V [27]. Après un refroidissement d’une durée minimale de 24 heures, le colis est fermé par soudage, décontaminé et entreposé en puits ventilés en attendant d’être définitivement stocké. Les gaz sortant du calcinateur sont traités dans plusieurs équipements permettant d’arrêter les poussières, qui seront recyclées, de condenser la vapeur d’eau et de recombiner les vapeurs nitreuses. Un des rôles essentiels du traitement des gaz est la récupération des produits de fission entraînés par volatilité, dont les principaux sont Ru, Cs, Te et Se . Cette technologie de vitrification comporte toutefois des limitations. D’une part, la durée de vie des pots métalliques est limitée (de l’ordre de 5000 heures) et constitue une source de déchets secondaires. D’autre part, leur capacité d’élaboration de verre nécessite la présence de plusieurs chaînes Chapitre 1 : La vitrification des déchets nucléaires de haute activité – Généralités 19 fonctionnant en parallèle. Enfin, le choix de compositions de matrices de confinement se restreint aux verres dont la température d’élaboration n’excède pas 1150 °C pour la tenue de l’alliage métallique constituant le pot de fusion [17]. Aussi, pour dépasser ces limitations, une nouvelle technologie de fusion en « creuset froid » a été mise au point et industrialisée.
Procédé de vitrification en creuset froid
La technologie du creuset froid (cf. Figure 4), a été développée, et démarrée à La Hague en avril 2010. Elle consiste à induire des courants électriques directement dans le verre et non plus dans le creuset métallique, ce qui permet de refroidir ce dernier par circulation d’eau. Le creuset doit alors être le plus transparent possible au champ électromagnétique [30]. Ce procédé présente des avantages majeurs. Tout d’abord, le refroidissement du four de fusion permet la formation d’une fine couche de verre figé d’épaisseur comprise entre 5 et 10 mm [17] appelée « autocreuset », qui sépare le verre fondu du métal froid de la paroi. Cet autocreuset protège ainsi le creuset métallique des agressions par le verre fondu et ses vapeurs corrosives et augmente sa durée de vie [19]. Le verre peut alors admettre des éléments corrosifs par rapport au creuset métallique. Ensuite, le chauffage par induction directe dans le bain de verre fondu autorise des températures d’élaboration supérieures à 1200 °C. Cela permet ainsi d’élaborer des verres plus réfractaires et d’augmenter les limites d’incorporation de certains éléments peu solubles à plus basse température. Ce procédé ouvre ainsi la voie à un accroissement notable de la capacité de production de verre et à la conception de nouvelles matrices de confinement pour une plus grande diversité chimique de déchets tout en minimisant le volume final de déchets vitrifiés.
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