ALTERNATIVE ET REACTIONS

ALTERNATIVE ET REACTIONS

La convention n’est qu’un équilibre mimétique326 ; aussi, les conventions comptables établies sont parfois mises en doute par des conventions adverses que nous appellerons « alternatives », et dont la cohérence et la pertinence du discours peuvent selon les conditions, séduire la population des convenants (section I). Diverses réactions qui vont de l’affrontement à l’adaptation sont alors possibles ; elles feront l’objet d’un second développement (section II). Nous reprenons ici l’idée largement développée par P.Y. Gomez qu’une convention ne saurait se transformer sans la pression d’une convention concurrente, nommée en la circonstance suspicion par l’auteur. En ce qui nous concerne, nous préférons parler d’alternative, la suspicion représentant plutôt le doute, produit de la confrontation des deux conventions en lice. C’est d’ailleurs cet état de doute (ou de suspicion) qui remet en cause le caractère convaincant de la convention établie.

L’ALTERNATIVE ET SES FACTEURS D’EMERGENCE

Pour qu’il y ait un changement de règle comptable, il est nécessaire qu’émerge, en amont, une alternative, c’est-à-dire une convention adverse propre à mettre en doute la convention en place. En ce sens, elle doit être considérée comme l’élément de motricité par excellence du processus d’évolution des conventions. Toutefois, avant même d’aborder les facteurs qui participent à son émergence, il est nécessaire d’en bien percevoir la nature.

Si l’on veut comprendre ses origines, il importe d’admettre qu’une alternative est une règle prescrivant un comportement distinct de celui prescrit par la convention en place. Pour reprendre l’exemple de Schelling, nous dirons que la circulation routière à gauche de la chaussée constitue une alternative à notre convention actuelle. A l’inverse, notre système qui impose une circulation routière sur la droite de la chaussée représente une alternative à la convention souscrite par nos voisins anglais. La remarque est, au demeurant, tout aussi valable pour la disposition de l’actif et du passif au sein du bilan, de chaque côté de la Manche. Concernant la valorisation des postes dans les états financiers, nous constatons que si le principe des coûts historiques est la convention en vigueur, la valorisation au coût actuel est en fait, une des alternatives qui lui sont opposables. De la même façon, le principe de prudence comptable qui dicte d’enregistrer les charges latentes et de rejeter les produits de même nature, est une convention qui admet une alternative, le principe de réciprocité, en vertu duquel les charges et les produits latents doivent être comptablement traités.

En examinant les cinq propositions à respecter pour adopter légitimement une approche conventionnaliste, il a justement été avancé qu’en l’absence d’alternative, il n’était plus possible d’évoquer une situation d’incertitude, l’individu n’ayant pas de choix. Dans ces conditions, on ne peut véritablement parler de convention mais plutôt d’obligation. Nous dirons alors que l’alternative est un dispositif délivrant un discours non compatible avec celui de la convention en place et remettant en cause la légitimité de ce dernier. Conséquemment, le professionnel, selon le contexte, peut progressivement douter de l’adoption généralisée de la convention, de moins en moins convaincu de sa cohérence et de sa pertinence. Ce faisant, le convenant dubitatif va renvoyer aux autres un message les informant sur ses incertitudes quant à la légitimité de la convention existante. Le doute peut alors se répandre et faire le lit d’une nouvelle convention plus convaincante. Ainsi, l’alternative engendre le doute qui lui-même modifie l’aptitude à convaincre d’une convention supposée acquise.

Ainsi, l’évolution d’une convention comptable est-elle directement liée à l’émergence d’une proposition alternative, diffusant un discours que d’aucuns jugeront plus cohérent, plus pertinent pour résoudre un même problème d’incertitude. Toutefois, cohérence et pertinence sont des termes qui renvoient à la raison sinon à une certaine rationalité. Or dans le domaine collectif, la raison n’explique pas les pratiques de façon absolue. Les individus rationalisent en effet, leurs comportements en se référant à une conduite qu’ils considèrent comme « normale », c’est-à-dire celle qu’ils imaginent être la plus répandue et la plus acceptée. Aussi, l’alternative ne sera véritablement menaçante pour la convention établie que si elle amène la population à douter de son adoption généralisée.

Il est maintenant admis que c’est l’existence même de l’alternative qui conditionne l’irruption d’un doute sur le comportement collectif, et conséquemment, la remise en cause de la convention actuelle. Aussi, l’analyse de ses sources apparaît ici incontournable. Après avoir défini la nature de l’alternative comptable, il importe maintenant de connaître les facteurs qui favorisent son émergence, même si ceux-ci ne sont pas toujours identifiables avec précision. Il est en effet malaisé, du point de vue qui nous occupe, d’adopter un raisonnement linéaire ; au sein du système conventionnaliste, il est difficile d’imaginer une cause unique justifiant une série de conséquences. Globalement, nous avons relevé deux catégories de facteurs susceptibles de mettre en péril la convention existante en favorisant l’émergence de l’alternative : les facteurs exogènes (§1) et les facteurs endogènes .

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