Amélioration du set-up (Guidage kinesthésique)

Après l’état de l’art, évoqué dans le chapitre précédent à propos des difficultés rencontrées dans l’apprentissage actuel et les observations que nous avons pu réaliser à l’école de médecine de la Pitié-Salpêtrière, il est apparu que le setup sur lequel s’entrainent les étudiants en dehors du bloc opératoire ne donne pas assez de retours d’information sur la performance elle-même et les erreurs commises en cours d’exercice. L’une des conséquences notables est que l’étudiant(e) apprend de mauvais mouvements et adopte de mauvaises postures. L’enseignant(e) est là pour corriger l’élève et enseigner la façon correcte de faire mais il/elle ne peut l’évaluer qualitativement et quantitativement en temps réel. C’est pourquoi nous souhaitons explorer dans ce chapitre la possibilité de donner des informations en temps réel à l’étudiant sous forme de retours sensoriels, par exemple de type kinesthésique, afin d’améliorer la performance de l’élève en le rendant plus actif et plus autonome lors d’un exercice. Après un état de l’art sur l’utilisation du guidage kinesthésique dans l’apprentissage de tâches motrices, nous exposons une expérience que nous avons réalisée sur l’utilisation de ce guidage dans l’apprentissage d’un suivi de trajectoire 2D en conditions laparoscopiques.

La kinesthésie représente la perception du mouvement. Elle nous renseigne sur la position et les déplacements des différentes parties du corps, informations obtenues par des mécano-récepteurs profonds. Ainsi un guidage kinesthésique exploite cette capacité qu’a l’organisme à tirer des informations de nos membres pour réaliser un mouvement. De plus, la mémoire kinesthésique est une mémoire durable contrairement à la mémoire visuelle [56], ce qui est une capacité intéressante lors d’un apprentissage.

Le guidage kinesthésique a par ailleurs été beaucoup utilisé dans certains domaines d’apprentissage comme la rééducation, l’écriture et le sport. Plusieurs types de guidages ont été étudiés : guidage total, guidage correctif ou guidage par augmentation d’erreur. Ainsi, dans cette section, nous nous intéresserons aux différents guidages kinesthésiques qui existent pour améliorer l’apprentissage de gestes et ce, dans différents domaines d’apprentissage.

Guidage total et guidage correctif

La première idée qui vient lorsque l’on veut utiliser le guidage kinesthésique comme aide à l’apprentissage est d’utiliser un bras robotique pour guider activement le geste. Le robot est alors un professeur virtuel et peut effectuer soit un guidage total où l’élève est passif et ne fait que ressentir haptiquement les mouvements, soit un guidage correctif où le robot vient corriger les gestes du sujet en cas d’erreurs de sa part .

Geste médical
En plus de la grande précision requise pour réaliser un geste médical, il arrive, en médecine, que la vision soit altérée ce qui rend le geste et son apprentissage plus difficile. Dans [57], trois groupes d’élèves ont appris à insérer une aiguille de biopsie sous contrôle d’images radiographiques, tâche où le retour visuel est altéré. Le premier groupe apprenait seulement par instructions verbales. Le second groupe pouvait, en plus des instructions verbales, observer un enseignant réaliser le geste. Enfin, le troisième groupe, à l’aide d’une interface virtuelle, pouvait se faire guider haptiquement par l’enseignement, en plus des informations visuelles et orales .

Le groupe haptique est celui qui, en fin d’apprentissage, était le plus rapide, que ce soit dans la phase de planification ou de manipulation de l’aiguille. Il réalisait également des gestes qui rentraient moins en contact avec les organes. Enfin, le groupe haptique était moins dépendant du retour visuel lors de l’insertion de l’aiguille.

Rééducation
Le guidage total est beaucoup utilisé en rééducation, notamment en début de thérapie pour réactiver les circuits neuronaux. Dans [53], les auteurs ont étudié les bénéfices d’une aide robotique pour assister, corriger, évaluer et informer le patient sur sa performance. Ils ont notamment montré que la répétition d’un geste par assistance totale améliorait la coordination des mouvements de patients ayant subi une attaque cérébrale.

Ecriture
Dans le domaine de l’écriture, de nombreuses études ont exploré les bénéfices éventuels que pouvait avoir un guidage total sur l’apprentissage de lettres chinoises ou arabes par exemple. Ainsi dans [58], deux types de guidages haptiques ont été développés : un guidage total où le sujet est esclave du mouvement et se laisse guider le long de la trajectoire, et un guidage correctif où le sujet réalise lui-même le mouvement mais le robot vient corriger la position de la pointe de l’instrument en cas de déviation. Les meilleurs résultats ont été obtenus avec le guidage par correction, et, au sein même du groupe, les résultats les plus positifs ont été obtenus par les sujets totalement novices dans l’écriture de caractères chinois. Dans l’étude présentée dans [59], trois groupes ont également appris à écrire des caractères arabes et chinois au travers d’une interface virtuelle : les étudiant(e)s tenaient un stylet relié à un bras robotique et la trajectoire était projetée sur un écran tactile. Un groupe de référence qui n’avait qu’un guidage visuel était comparé à deux groupes avec retours haptiques : guidage en position où l’étudiant est guidé le long de la trajectoire, et guidage en force où le robot corrige la position de la pointe de l’instrument en envoyant une force en bout d’instrument. Le guidage en force ajouté au retour visuel améliorait la performance en précision et en durée. En revanche, le guidage en position détériorait l’apprentissage en comparaison du groupe contrôle.

Suivi de trajectoire
Dans [60], un groupe avec un retour visuel a été comparé à un groupe avec un retour kinesthésique (guidage total) dans l’apprentissage d’une trajectoire courbée. Le groupe visuel regardait le bras robotique agir le long de la trajectoire alors que les sujets du groupe kinesthésique posaient dans le même temps leur main sur le robot pour ressentir haptiquement le mouvement. L’ajout d’un retour haptique n’a pas amélioré significativement le mouvement comparé au groupe avec un retour visuel seul. Ces résultats ont également été observés dans [61] où les deux groupes devaient cette fois-ci apprendre à réaliser un cercle. Lorsqu’il était demandé aux deux groupes de reproduire la tâche sans aide, seule la rapidité était meilleure pour le groupe haptique comparé au groupe visuel. Les auteurs en concluent que les sujets sont trop passifs face à la tâche et cela s’accompagne d’une perte d’attention et de motivation. Cette observation sera notée de la même manière dans [62] où trois groupes : un groupe de référence qui apprend par lui-même, un groupe pour lequel le mouvement est imposé et un dernier groupe qui voit son mouvement corrigé en cas d’erreur, ont appris à réaliser un mouvement pendulaire. Au final, le professeur virtuel est apparu peu aidant dans cet apprentissage et a même dégradé certaines performances car le retour kinesthésique a rendu l’aspect de la tâche trop simple ce qui a causé, là aussi, une perte d’attention des sujets.

Dans [63], l’apprentissage d’un suivi de trajectoire à l’aide d’un retour kinesthésique a été étudié. L’étude impliquait trois groupes : visuel, haptique (guidage total) et visiohaptique. Ils ont observé que, lorsque seul le retour haptique était disponible, l’aspect temporel de la tâche était amélioré alors que c’est lorsque le retour visuel est activé seul que la précision de la tâche est meilleure. Cependant, c’est la combinaison des deux retours, visuel et haptique, qui a mené à la meilleure performance puisque le groupe s’est amélioré en temps et en précision. Dans ce cas, la combinaison de deux retours sensoriels mène à une compensation des faiblesses de chaque retour et donc améliore la performance finale.

Pour l’apprentissage d’une tâche complexe, comme suivre une trajectoire avec absence de vision, l’étude présenté dans [64] a comparé un groupe de référence où les sujets apprenaient par eux mêmes et un groupe avec un guidage total le long de la trajectoire. Le guidage total est celui qui a donné les moins bons résultats. Une conclusion de l’étude est que pour réellement apprendre une tâche et s’améliorer au cours de l’apprentissage les sujets doivent commettre des erreurs pour se corriger et développer des stratégies.

Table des matières

Introduction 
1 Problématique 
1.1 La laparoscopie
1.2 L’apprentissage de la laparoscopie sur patient
1.2.1 Difficultés
1.2.2 Conséquences
1.3 L’apprentissage en dehors du bloc opératoire
1.3.1 Les simulateurs de laparoscopie
1.3.2 Limitations de l’entraînement sur simulateur
1.4 Notre approche
1.4.1 Phases de l’apprentissage
1.4.2 Les pistes proposées
2 Amélioration du set-up : Guidage kinesthésique 
2.1 Etat de l’art
2.1.1 Guidage total et guidage correctif
2.1.2 Guidage par augmentation d’erreur
2.1.3 Adaptation du guidage
2.1.4 Conclusion
2.2 Expérience sur le retour kinesthésique pour l’apprentissage d’une trajectoire
2.2.1 Matériels et Méthode
2.2.2 Résultats
2.2.3 Discussion
2.3 Conclusion
3 Amélioration du set-up : Guidage sensoriel 
3.1 Etat de l’art sur l’utilisation de retours multi-sensoriels dans l’apprentissage
3.1.1 Rééducation
3.1.2 Musique
3.1.3 Apprentissage chirurgie laparoscopique
3.1.4 Conclusion sur l’état de l’art
3.2 Suivi de trajectoire
3.2.1 Matériels et Méthode
3.2.2 Résultats expérimentaux de l’apprentissage
3.2.3 Discussion
3.2.4 Conclusion
3.3 Tâche de découpe
3.3.1 Matériels et Méthode
3.3.2 Résultats
3.3.3 Discussion
3.3.4 Conclusion sur le tâche de découpe
3.4 Conclusion du chapitre
3.5 Perspectives
4 Personnalisation de l’apprentissage 
4.1 Introduction
4.2 Capacités Psychomotrices
4.2.1 Proprioception
4.2.2 Double-tâche
4.2.3 Conclusion
4.3 Division des difficultés
4.3.1 Découpe
4.3.2 Matériels et Méthode
4.3.3 Résultats
4.3.4 Discussion
4.3.5 Conclusion sur la division des difficultés
4.4 Conclusion du chapitre
4.5 Perspectives
5 Conclusion

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