ANALYSE DE L’IMPASSE CULTURELLE DES DIALLOBE

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PRESENTATION DE L’ « AVENTURE AMBIGUË »,

Situation

Roman du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane, né en 1928, est écrit en 1952, mais il a fallu attendre neuf ans avant sa première publication à Paris chez Julliard, en 1961.
Les éléments autobiographiques servent de point de départ au récit, on retrouve le cadre natal de l’auteur, le Sénégal oriental, dans un village qui n’est pas nommé, mais que l’on reconnaît pour un chef-lieu decercle, désigné par la Lettre « L ». Le pays est tout entier empreint de foi musu lmane. Paris occupe l’autre face.

Résumé de l’oeuvre

Le jeune garçon, Samba Diallo a été « confié » par son père le Chevalier, qui réside dans un village nommé « L » au chef des Dial lobé et à la Grande Royale, afin qu’il suive les leçons du Maître coranique au foyerArdent, dans un petit village « du fleuve ».
L’assiduité de Samba Diallo et la préférence spirituelle que lui témoigne le maître, suscitent la jalousie des autres « Talibés » 9, en particulier celle de Demba, qui le provoque un matin, tandis qu’il mendie leur nourriture de la journée, chantant les terribles louanges d’Azraël, l’ange de la mort. La Grande Royale, qui a assisté à la scène, ne retient que le danger qui menace son neveu : celui de ne vivre qu’en Dieu. Cet immobilisme religieux qui le guette, elle l’attribue à Thierno, elle décide de l’éloigner de lui sans plus tarder. Elle convainc son frère, le chef, de renvoyer Samba chez son père, afin de fréquenter « l’école nouvelle », bien qu’elle affirme détester cette marque de l’intrusion étrangère au sein de leurs coutumes. Samba Diallo se réjouit tout d’abord de rejoindre sa famille, mais il ressent une étrange douleur de quitter le Maître. Il sait que ses raisons de l’aimer dépassent la simple affectivité, et qu’en se séparant de lui, il souffrira du « manque » de Dieu. Cependant, il fait ses adieux à sa tante et à son vieux cousin. Le chef lui donne à remettre à son Maître un pur-sang, « Tourbillon », comme cadeau. Thierno et son disciple tentent de cacher l’atroce déchirement qu’ils ressentent.
Le père de Samba Diallo constate que « la victoire des étrangers est totale », puisque, dans sa propre famille, on déroge à la loi ancestrale, puisque c’est son propre fils qu’il doit mettre à l’école des Blancs.
Selon l’usage, Samba Diallo consacre la première nuit de son retour parmi les siens à la récitation de mémoire du livre Saint (le Coran) en l’honneur des retrouvailles. Alors le chevalier, tant est profond le bouleversement qui le saisit au son de cette jeune voix si fervente, est ému. C’est cette passion de Samba pour les études qui fait comprendre au père la nécessité de placer son fils à l’école des Blancs. Comme la Grande Royale, il pense que les études, dans une certaine mesure, compenseront le côté spirituel de Samba Diallo face à l’envahissement.
A l’école de M. N’Diayé, le jeune Samba Diallo se distingue d’emblée, comme auparavant à l’école coranique. Jean Lacroix, le fils d’un administrateur colonial, a remarqué le caractère insolite de son compagnon de banc, qui semble connaître toutes les réponses. L’aspect souvent factice de la camaraderie s’ennoblit, et la qualité d’une élection si parfaite leur fait mesure la distance qui les sépare : l’amitié du musulman et du jeune européen naît pour s’éteindre. Leurs vérités sont parallèles sans coïncidence possible, tout au moins dans l’immédiat, et leur déception inavouée n’en sera que lourde.
Lorsque Samba Diallo, quelques années plus tard, rencontre Lucienne à la Sorbonne, ils suivent tous les deux des études de philosophie. A Paris, le visage flétri du vieux Maître hante souvent l’esprit de Samba Diallo, mais la discrétion de cette compagnie intime et de plus en plus rare lui révèle la force de l’emprise occidentale. Il n’entend plus la voix de Dieu, ou très assourdie, lointaine, par delà les maîtres du « doute » (Pascal, Descartes…). Dans son pays, il n’aurait jamais renié Dieu. A Paris, il lutte contre la tentation du Marxisme et la voie de l’athéisme. Venu pour apprendre en Europe « comment ils ont pu vaincre sans avoir raison », il arrive à Samba de ne plus s’y reconnaître. Il refuse l’assimilation à la civilisation Occidentale autant qu’il dénonce le danger de s’en détourner. De ce dilemme naît une tension interne d’une vivacité douloureuse.
Partagé entre la conscience des valeurs afro islamiques et la pensée moderne, écartelé entre deux mondes, il cherche la synthèse puisque l’option est impossible. Lucienne lui propose la psychanalyse, mais il ne peut y assujettir l’âme de sa race, et c’est la jeune fille qui lâche le mo t de « négritude » et par là même oriente le choix et le renoncement de son ami.
Lorsque son père lui demande par lettre de revenir au pays, il reviendra. Mais, pendant ses années d’absence, le maître est mort, teil avait choisi Demba, l’ancien rival de Samba pour le remplacer. Samba Diallo vit à fond la tragédie de l’éloignement : éloignement de la terre, des êtres, du maître et de Dieu qui lui « échappe ». Son retour au pays ne signifie rien ca r il s’agit d’une étape du temps et de l’esprit, non d’un retour à la Foi. Il espérait que les lieux familiers de l’Islam lui apporteraient la plénitude qu’il a perdue : il semble que la mort du maître fait tout basculé dans le « vide ».
Un fou le presse d’aller prier, tandis que Samba Diallo prononce à haute voix les paroles de son opposition tardive à l’éloignement définitif de Dieu. Devant ce refus sur lequel il se méprend, le Fou, croyant venger l’honneur de la religion, tue d’un coup de couteau, celui qui fut le meilleur serviteur de Dieu.
L’univers terrestre, en se dissolvant, apporte enfin à Samba Diallo la connaissance suprême (le mystère de la mort) à laqu elle il avait aspiré depuis son enfance anxieuse. Son avidité est finalement rassérénée par cette mort. Pour comprendre cet aboutissement tragique du héros, une étude des différents personnages nous permettra de mieux cerner le vrai problème évoqué.

Les personnages

Les acteurs de l’Aventure ambiguë peuvent être comparés aux pièces d’un jeu d’échecs. Ce classement de Jean Getrey*10 (Blancs contre Noirs) ne reflète pas une opposition raciale ; il serait trop facile, et d’une facilité trompeuse, de classer les protagonistes d’après la couleur de leur peau. Il rend compte de l’opposition idéologique des personnages qui se partagent selon Jacques Chevrier entre deux partis : « Les deux camps sont celui du progrès et celui de la tradition, et les personnages se répartissent à peu près équitablement dans l’un ou l’autre camp » 11.
En fait, il nous semble que cette définition (progrès contre tradition) a pour avantage de montrer, sur ce point précis, que la coupure n’est pas totale entre Africains et Européens, que l’on peut trouver des représentants de chaque communauté dans l’un ou l’autre camps (La Grande Royale princesse peule pour le progrès et le Pasteur Martial, un Européen, pour la tradition).
Nous répertorions un troisième groupe que nous appellerons les « métis culturels » car ce sont des gens qui ne trouvent leur place dans aucun de ces groupes cités plus haut. Ainsi nous obtenons trois groupes :
Les partisans de la tradition : on les trouve en Afrique (le Maître, le chef, le Père de Samba Diallo, le Fou) et en Europe (le Pasteur Martial) : ils veulent d’abord sauver Dieu ;
Les partisans du progrès : Regroupent en Afrique (La Grande royale, Paul Lacroix, Demba) et en Europe (Lucienne, Hubert Pierre Louis).
Les métis culturels reunissent les personnages à la croisée des chemins, plus ou moins installés dans l’incertitude comme : Pierre Louis, Marc, Adèle et enfin le personnage principal Samba Diallo qui sera l’élément central ou de référence de nos analyses.

Le Maître des Diallobé (Thierno)

Dès sa première apparition, « Thierno* » 12 est décrit comme « vieux, maigre et émacie, tout desséché par ses macérations»13. S’impose ainsi l’image d’un homme qui méprise son corps. Thierno est en parfait accord avec ce qu’il enseigne à ses disciples : ne leur apprend-t-il pas à lutter contre « le poids », 14 qui symbolise les attachements matériels, les obstacles divers. Le corps et les soucis de la vie empêchent à l’esprit de se tourner tout entier vers Dieu ?
Puis, tout au long du récit, nous assistons à l’évolution du vieil homme vers la décrépitude physique et la mort. Ce qui est remarquable – et renforce l’unité de l’œuvre, tout en nous imposant une certaine image d u maître –, c’est que l’auteur a peint ces changements physiques à travers les difficultés de plus en plus grandes que Thierno éprouve à s’accroupir pour prier. Les apparitions du maître en prière rythment en effet sa progression vers la mort ; de nombreux éléments insistent sur la décrépitude physique du maître, «cette grotesque misère de son corps. (…) Ses jarrets devenus secs et rigides comme le bois mort (…) » 15.
Cette dégénérescence corporelle va s’accentuer quand Thierno a réduit ses prières au strict minimum. Il remet « le turban »16* blanc à Demba, car il ne peut plus assurer ses fonctions. Cette séance d’intronisation présente la prière comme un exercice très douloureux qui émeut toute l’assistance quand Thierno entreprend « cette gymnastique grotesque et pénible (…) toute la charpente du corps se mit à craquer.» 17.
Avant tout, le maître est un homme de Dieu dont toutes les activités sont tournées vers Allah. Toute sa vie, consacrée au service d’Allah, illustre le verset du coran : « Je n’ai créé les hommes et les Djinns qu’afin qu’ils m’adorent » 18. De par sa profession, il cherche à Ouvrir à Dieu l’intelligence des fils de l’homme, une fonction qu’il exerce depuis « quarante ans » avec une passion réputée dans tout le pays des
Diallobé. Dans cette transmission de savoir, Thierno est un pédagogue austère, d’une violence rare même –, et les accès de colère en étaient fréquents : « nombreux (…) il se laisse aller à des violences d’ une brutalité inouïe ». 19 Mais ces outrances sont fonction de l’intérêt que le maître porte au disciple en faute, en particulier à Samba Diallo. Mais cette violence illustre un aspect déplaisant, assez fréquent pour les maîtres du coran. Thierno ne peutpar ailleurs accepter le sacrilège commis par un talibé (disciple) qui déforme la parole sacrée. A côté de ce religieux africain, un homme pieux européen fait aussi son apparition dans le roman.

M. Martial (le pasteur)

Pour Samba Diallo, le pasteur Martial évoque le maître des Diallobé. Son portrait physique est révélateur : «il portait un corps robuste, (…) Sous une chevelure grisonnante et drue, éclatait la blancheur d’un front large. (…) Le long nez mince surplombait une bouche douloureuse. A la sécheresse des lèvres (…), Samba Diallo reconnut l’inaptitude de cette bouche à prononcer d es paroles futiles. Le front cependant et les yeux éclataient de sérénité»20. Cet ecclésiastique et le maître des Diallobé affichent « le même physique» d’homme de Dieux.
Le rêve du pasteur a été de porter la parole de Dieu et uniquement la parole du Christ – en Afrique où il allait : évangéliser sans « emporter jusqu’au médicament le moins encombrant et le plus utile » 21. Sa vision de la christianisation était que la foi soit acquise sans la moindre corruption de l’âme. M ais ses supérieurs l’en ont dissuadé. Nous découvrirons avec Samba Diallo que el Pasteur n’abandonnait jamais son rêve.
Le pasteur Martial rejoint ainsi, par la pureté de sa foi, les préoccupations du Maître des Diallobé : ilvoulait que la révélation dont il aurait été le misionnaire ne dût rien qu’à elle-même « une imitation de Jésus-Christ » 22. Pour cet homme, il s’agit d’abord de préserver Dieu car, pour lui, le salut de l’homme ne pouvait s’opérer si Dieu est perdu. Dans cette Afrique entrevue par le pasteur, l’autorité traditionnelle revient à certaines catégories de gens.

Le chef des Diallobé

Nous ne connaissons rien de l’aspect physique du chef des Diallobé. Son âge n’est pas précisé. Nous savons seulement qu’il est le cadet de la Grande Royale « la sœur aînée du chef des Diallobé » 23.
L’Homme est de nature plutôt sensible, dépourvu desqualités que l’on attend d’un chef. Sa sœur, la Grande Royale n’a pu s’empêc her de dire, avec peut-être une pointe de commisération : « Mon frère n’est pas un prince (…) » 24. Aussi Jacques Chevrier le qualifie t-il de personnage tragique dans la mesure où il conjugue en lui la lucidité et l’impuissance. Le chef pris pour : « montagne » par les Diallobé n’est en lui et selon sa propre appréciation, qu’ « une pauvre chose qui ne sait pas ». Symbole de la stabilité et de l’autorité ; le chef est la volonté du peuple. Il représente la tradition mise en danger par le progrès.
Faisant ainsi aveu d’humanité, ce chef, dont la tâc he est de discipliner ses sujets, de les guider s’affaiblit face au progrès et aux changements qui s’ensuivent. L’avènement de l’école française réveille le problème. La « montagne » va-t-elle s’ébranler, le repère bouger et–peut-être –le recours se dérober ? Celui-ci semble être rassuré à la vue de son cousin.

Le père de Samba Diallo

Le père de Samba Diallo connu également sous le nom de « chevalier », est le personnage qui a le plus de prestance. C’est à travers les yeux de Jean de Lacroix (fils de l’administrateur blanc : Paul Lacroix) que le lecteur voit pour la première fois le père de Samba Diallo : « L’homme était grand (…), on sentait sous ses vêtements une stature puissante. (…) Les mains étaient grande s et fines tout à la fois. La tête, qu’on eut dit découpée dans du grès noir et brillant, achevait, par son port, de lui donner une posture hiératique. (…) Son beau visage d’ombre serti de clarté lui souriait » 25 , C’est d’ailleurs Jean lui-même qui lui donne le surnom de « chevalier ». 26 Son apparence physique révèle aussi sa foi intense, selon l’intuition même de son fils Samba Diallo : « C’est cette présence (de Dieu) qui lui colle ainsi la peau sur les os du front» 27. C’est un homme fortement voué à Dieu. L’administrateur Paul Lacroix constate que son fils a raison. Son adjoint a vraiment l’air d’un chevalier du Moyen-Âge. Une ressemblance qui s’arrête aux d raperies d’apparat et à l’ineffable majesté, car le Moyen-Âge est loin de cet homme. Il conteste la véracité des sciences occidentales. Pour lui, chaque coucher de soleil peut être le dernier de son cycle. Dans son monde, chaque crépuscule n’offre nullement l’assurance qu’il y en aura un autre. Toutefois, il admet « qu’une société qu’on ne gouverne pas se détruit ». Pour lui, l’occident érige la science contre ce chaos envahissant qu’est l’ignorance; il l’érige comme une barricade. S’il a mis Samba Diallo à l’école, c’est pour lui apprendre à arrêter « l’extérieur » (terme signifiant les méfaits du progrès technique), parce qu’il est agressif, et que si l’homme ne le vainc pas, c’est l’homme qui sera en danger.
Outre, sa réalité physique et intellectuelle, il ressort en lui des sentiments profondément paternels : il lit scrupuleusement toutes les lettres que son fils lui remet en main, il entreprend avec lui de longues conversations, se préoccupe de ses lectures, s’intéresse aux progrès de la pensée deson fils. Musulman intègre, il estime nécessaire au bonheur de l’homme la présence et la garantie de Dieu.
Si Samba Diallo, pour sa part, trouve que le chevalier ne vit pas mais prie, C’est que pour le père, de la prière naît la vraievie. En somme c’est un homme qui a su combiner ses fonctions d’administrateur colonial à la ferveur religieuse. Un personnage énigmatique fait aussi de la surenchère religieuse.

Le Fou

L’apparition du fou est assez tardive. Tout de suite, ses habits bizarres attirent l’attention : « L’homme était sanglé dans une redingote. (…) la vie illesse de cette redingote, sa propreté douteuse par-dessus la netteté immaculée des boubous donnaient au personnage un aspect insolite » 28.
Un trait caractéristique de physionomie qui frappe, c’est la mobilité permanente des yeux, contrastant avec un visage à l’expression figée : « aux traits immobiles (…) » 29. Pendant qu’il raconte au maître son expérience enEurope, son regard était resté « fixe ». Un détail dans ce portrait où le fou se présent e lui-même comme très grand : « D’un mouvement très dégagé, je me suis debout dominant d’une bonne tête toute l’assistance» 30. Or par la suite, l’auteur le décrit comme un personnage fragile de petite taille : « Sa silhouette s’était amenuisée. Le cou et la tête qui émergeaient de tout l’être du petit bonhomme une sérénité et une mélancolie poignante » 31. Le portrait physique du Fou donne l’impression générale d’un être nerveux, instable du double point de vue physique et mental. D’ailleurs, la folie du personnage est due au traumatisme violent qu’a constitué sa découverte de l’occident. Il est allé en France pour des raisons obscures. Cependant, « il dit avoir fait la guerre » 32 et cette expérience suffit à expliquer sa folie : « (…), les Tanks, les mitrailleurs ! ». 33 Le Fou se révèle être un ennemi acharné de la civilisation occidentale, que symbolisent à ses yeux « le carrelage froid, l’asphalte, les souliers, et les automobiles, ces mécaniques enragées». 34 L’hostilité absolue du Fou à cette civilisation fortement industrialisée fait de lui le porte-parole de la tendance conservatrice de la société africaine. Le Fou est un témoin car il avait précédé Samba Diallo en Europe, il est donc un garant du peuple Diallobé, incarnant aussi cette partie des Diallobé qui cherche la plénitude en Dieu.

Le peuple

Le roman de Cheikh Hamidou Kane nous fournit quelques renseignements sur la société Diallobé dont Samba Diallo est issu. Cete peinture n’est pas effectuée dans un but ethnographique, mais pour nous permettre de mieux connaître l’univers très particulier d’où vient le héros, et de comprendre pourquoi il va souffrir de son déracinement.
Le roman nous informe qu’il s’agit d’une société patriarcale ayant à sa tête un chef traditionnel, descendant direct de toute une lignée de princes avec qui : « La stabilité vous est à la fois un privilège et un devoir (…) ». 35 Le peuple Diallobé attend de son chef qu’il les guide, qu’il décide pour eux, raison pour laquelle le maître rappelle au Chef que La « stabilité » marque un point de référence.
Bien qu’il n’apparaisse physiquement que trois fois dans le roman, le peuple
Diallobé est un élément clé de l’œuvre. Tout part de lui et s’organise autour de lui.
Ce peuple fait confiance totale à ses dirigeants dans la conduite des affaires.
Le peuple en son sein s’organise encore en corporation ayant chacune un chef. On a nommé « Ardo Diallobé » comme le premier fils du pays, « Dialtabé » comme maître des pêcheurs et « Farba » au titre de maître des griots, chef de la corporation des forgerons. Cette organisation solide peut être comparée à une société féodale du Moyen-Âge de par sa structure hiérarchique. Cette société villageoise reflète bien un monde typiquement traditionnel.
On peut bien se demander qu’elle sera la réaction du peuple Diallobé habitué à vivre dans son rythme, ses croyances et ses habitudes, si on lui demande d’abandonner ses valeurs pour suivre le progrès et la modernité. L’intrusion n’a pas seulement été militaire, les Occidentaux ont conquis les esprits. Samba Diallo est en réalité une sorte d’avant-garde choisie parmi l’élite pour faire l’objet d’un grand débat sur l’école.
Le peuple s’interroge et ne sait plus comment faire face à cette nouvelle institution importée d’Europe. La classe dirigeante est divisée : certains refusent, par peur, de perdre leurs traditions et d’autres au contraire trouvent que c’est la meilleure façon de s’en sortir sans trop de bavure.

La Grande Royale

L’impression dominante qui se dégage du portrait physique de la Grande Royale est que nous avons affaire à un personnage qui représentante à merveille la noblesse peule avec : « un grand visage altier » 36 Constate Samba Diallo.
Elle avait un regard extraordinairement lumineux qui faisait d’elle une page vivante de l’histoire du pays des Diallobé.
Cette présentation physique défie les années : « Elle avait soixante ans et on lui en eut donné quarante à peine» 37. La Grande Royale n’avait rien perdu de sa prestance malgré son âge. Présentée comme une aristocrate, la Grande Royale a d’abord le sens très vif de ce qu’une élite se doit à elle-même. Ceci apparaît dans le ton méprisant avec lequel elle s’adresse à Samba Diallo. Pour elle, son neveu doit se distinguer du petit peuple : « un manant (…), » 38. Elle incarne plus que son frère, le chef, l’autorité.
Elle est l’aînée, son caractère autoritaire, alliéà sa forte personnalité, lui permet de trancher les problèmes ; même si la solut ion qu’elle propose n’est pas celle de la majorité, elle finit par s’imposer. Samba Diallo l’avait souvent vu sortir victorieuse.
Cette curieuse figure, à la fois très primitive et très moderne, de vieille princesse mystique et politique est en réalité la vraie reine du pays.

L’administrateur Paul Lacroix et son fils

Aucun détail n’est donné en ce qui concerne les Lacroix : que ça soit physique ou psychologique. Paul Lacroix représente évidemment l’autorité coloniale, tempérée par la sympathie profonde qui le lie au pays, à l’habitant, et à l’admiration secrète qu’il voue à la pensée philosophique du chevalier : « Ils ont raison, pensa-t-il, (…). Le monde va finir. L’instant est fragile. Il p eut se briser. Alors, le temps sera obstiné. Non ! » 39. Cette fragilité est celle du couché de soleil. En dépit de toutes les garanties que les sciences occidentales peuvent lui donner, Lacroix semble être troublé par ce moment, mais il se ressaisit vite. Le coucher du soleil est un moment symbolique dont on relève l’importance dans le récit. Cet instant : « le soleil est suspendu, dangereusement (…) » 40 réussit à émouvoir l’occidental rationaliste qui semblait être sûr de lui.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE LIMINAIRE
Domaine de définition des termes opératoires :
PREMIERE PARTIE : L’AUTEUR ET SON ÉPOQUE
CHAPITRE I : PRESENTATION DE L’ « AVENTURE AMBIGUË »,
I. Situation
II. Résumé de l’oeuvre
III. Les personnages
III.1. Le Maître des Diallobé (Thierno)
III.2. M. Martial (le pasteur)
III.3. Le chef des Diallobé
III.4. Le père de Samba Diallo
III.5. Le Fou
III.6. Le peuple
III.7. La Grande Royale
III.8. L’administrateur Paul Lacroix et son fils
III.9. Demba
III.10. Lucienne
III.11. Hubert Pierre Louis
III.12. Pierre Louis et sa femme
III.13. Marc et Adèle
III.14. Samba Diallo
CHAPITRE II : LE FAIT COLONIAL
II.1. Aspect négateur du système éducatif colonial
II.2. La création des écoles des fils de chef
II.3. Réticente et méfiance envers l’école
CHAPITRE III : LA CARRIERE LITTERAIRE
III.1. Contexte historique et littéraire
III.2. La source de l’inspiration
III.3. Influence et retentissement
III.4. La démarche
III.5. Une continuité thématique
III.6. Ses oeuvres : De l’Aventure Ambiguë à Les Gardiens du temple.
III.7. Sur le chemin de l’identité
DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DE L’IMPASSE CULTURELLE DES DIALLOBE
CHAPITRE I : LE NOEUD DU PROBLEME : L’ECOLE
I. La fascination de l’école européenne
I.1. Dilemme et grand choix
I.2. Drame et réflexion d’un père
I.3. La visée des écoles
I.4. Les objectifs de l’école coranique et européenne
I.5. Les méthodes des deux écoles
II. La formation de Samba Diallo
II.1. L’évolution du jeune homme
II.2. Le doute
II.3. L’indifférence et l’égoïsme
III. L’idéal Africain
III.1. Affirmation d’une identité
III.2. La mort
III.3. De la morale de Platon à celle du Maître Thierno
III.4. Influences philosophiques occidentales
III.5. La condition humaine contemporaine
CHAPITRE II : LES CAMPS
II.1. La tendance conservatrice
II.1.1. Un homme de Dieu
II.1.2. Faiblesse et ambition du maître
II.1.3. Un chef qui doute et angoissé
II.1.4. Un témoin des Diallobé
II.1.5. L’autorité paternelle
II.1.6. L’occident spiritualiste
II.2. La tendance progressiste (Réformiste)
II.2.1. Une femme engagée
II.2.2. Les motivations de la grande Royale
II.2.3. Un défi à l’avenir
112
II.2.4. La réforme
II.2.5. L’influence du marxisme et de l’Athéisme
CHAPITRE III : LE CONFLIT DE CULTURE COMME CONSEQUENCE DE L’INTRUSION
III.1. L’homme et la vérité
III.2. L’incompréhension réciproque
III.3. Le prix de la foi
III.4. La foi de Samba Diallo
III.5. La solitude et la nostalgie
III.6. Déception et refus d’assimilation
III.7. Le drame et le dénouement
TROISIEME PARTIE : UNE COMPOSITION BINEAIRE RELATIVE A L’EVOLUTION DU HEROS ET L’EXPRESSION DE L’OEUVRE
CHAPITRE I : LA NARRATION
I. La structure de la narration
II. L’espace géographique
II.1. Le pays des Diallobé
II.2. La ville de L
II.3. Paris
III. L’organisation du temps
III.1. La structure temporelle de la première partie
III.2. La structure temporelle de la seconde partie.
CHAPITRE II : UNE EXPRESSION NOURRIE D’UNE DOUBLE CULTURE
II.1. La langue
II.1.1. L’art du raccourci
II.1.2. Passer sous silence
II.1.3. L’art d’un caricaturiste
II.1.4. Des figures classiques
II.2. Le jeu des images
II.2.1. Des images liées à l’Afrique
II.2.2. Des images inspirées du monde rural
II.2.3. L’image d’un Occident anormal
II.3. Le jeu de répétition
II.3.1. Un effet de progression
II.3.2. Un style coranique
II.4. L’unité du ton
II.4.1. Absence de nature végétale vivante
II.4.2. Le ton du crépuscule
II.4.3. Un tableau impressionniste
II.5. Les dialogues et les monologues
II.5.1. Les dialogues
II.5.2. Les monologues
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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