Analyse multifractale pratique : coefficients dominants et ordres critiques
Détection de singularités oscillantes
On vient de voir dans le paragraphe précédent que la présence de singularités oscillantes avait pour effet de faire échouer le formalisme multifractal basé sur les coefficients d’ondelette discrets, alors que celui basé sur les coefficients dominants permettait de mesurer correctement le spectre de singularités Df (h). On en déduit alors que, en comparant les résultats obtenus avec les deux formalismes, on peut détecter la présence de singularités oscillantes en cas de désaccord entre T L[ζcd Xi ](h) et T L[ζcl Xi ](h) pour la partie gauche. En revanche, il n’y a pas de réciproque. Si les deux formalismes co¨ıncident sur la partie gauche : T L[ζcd Xi ](h) = T L[ζcl Xi ](h) pour h ≤ h0, on ne peut pas conclure à l’absence de singularités oscillantes. En effet, il est possible [75, 12, 13, 14, 72] de définir une généralisation du spectre de singularités 72 Df (h) qui tienne compte du caractère oscillant, c’est-à-dire de l’exposant d’oscillation β 3 : c’est le spectre (parfois appelé grand-canonique) Df (h, β), avec h > 0 et β ≥ 0, défini comme la dimension de Hausdorff des ensembles E(h, β) des points pour lesquels l’exposants de H¨older est h et l’exposant d’oscillation β. L’existence de singularités oscillantes se traduit par Df (h, β) 6= −∞ 4 pour des valeurs strictement positives de β, tandis que leur absence implique Df (h, β) = −∞ si β 6= 0. Le spectre de singularités classique Df (h) est relié à Df (h, β) par : Df (h) = sup β Df (h, β). On peut a priori être dans la situation suivante : ∃β > 0 tel que Df (h, β) 6= −∞, mais Df (h) = supβ Df (h, β) = Df (h, β = 0), c’est-à-dire que, à h fixé, l’ensemble, parmi les E(h, β), dont la dimension est la plus grande est : E(h, β = 0). Il peut donc exister des singularités oscillantes, mais sans pourtant réellement affecter le spectre de singularités Df (h), puisque Df (h) = Df (h, β = 0). Dans cette situation, les deux formalismes multifractals donnent le même résultat pour la partie gauche du spectre : T L[ζcd Xi ](h) = T L[ζcl Xi ](h) pour h ≤ h0 [70, 73], et pourtant il existe des singularités oscillantes. La comparaison des résultats obtenus avec les formalismes multifractals basés sur les coefficients d’ondelette discrets et sur les coefficients dominants permet donc de détecter la présence de singularités oscillantes dans une fonction, mais ne peut en aucun cas prouver que de telles singularités n’existent pas.
Comparaison entre cascade et série d’ondelette aléatoires : vers une compréhension de la multifractalité
Comme il a déjà été fait la remarque, les processus de cascade d’ondelette aléatoire et de série d’ondelette aléatoire sont très proches de par leur définition, et ont pourtant des propriétés multifractales bien différentes : l’un possède des singularités oscillantes, l’autre pas. C’est justement la présence de singularités oscillantes qui met en défaut le formalisme multifractal basé sur les coefficients d’ondelette discrets, alors que le formalisme multifractal basé sur les coefficients dominants s’applique toujours. Nous allons voir comment la comparaison de réalisations ”jumelles”, puisqu’étant définies à partir des mêmes coefficients d’ondelette, de cascade d’ondelette aléatoire et de série d’ondelette aléatoire va permettre une compréhension plus profonde de la multifractalité.
Synthèse de réalisations jumelles
Principe Supposons que l’on ait généré des coefficients d’ondelette discrets drwc(j, k) selon une cascade multiplicative afin de synthétiser une réalisation du processus de cascade d’ondelette aléatoire. Ces coefficients, qui ont une distribution P(j) à chaque échelle 2j , qui dépend de la loi des multiplicateurs et de la distribution de départ, ne définissent pas une série d’ondelette aléatoire puisque ceux-ci sont très fortement corrélés entre eux d’échelle à échelle par les multiplicateurs de la cascade multiplicative. On peut par contre utiliser cette cascade pour générer des coefficients drws(j, k) ayant la même distribution que les drwc(j, k), mais sans dépendance d’échelle à échelle : il suffit de 3 Il existe bien sˆur une définition pour l’exposant d’oscillation β [72], mais ce niveau de précision n’est pas utile ici. 4On rappelle que la dimension de Hausdorff de l’ensemble vide est par convention −∞. calculer les drwc(j, k), puis de brouiller de fa¸con homogène les dates k à chaque échelle. On perd alors la structure de dépendance entre échelles, puisque cette dépendance se transmettait d’une échelle 2 j à une échelle 2j 0 plus fine de fa¸con localisée en temps, de la date k2 j aux dates k 02 j 0 = k2 j et k 002 j 0 = k2 j + 1 (cf. partie 4.1). Brouiller de fa¸con homogène élimine donc bien cette structure de dépendance, et l’on tire bien ainsi des coefficients drws(j, k) distribués selon la distribution P(j) et indépendants entre eux et d’échelle à échelle. Spectre de singularités Montrons alors que le spectre de singularités de la série d’ondelette aléatoire jumelle de la cascade d’ondelette aléatoire est facile à calculer. Il suffit de faire la remarque suivante : la quantité ρ(h) définie au paragraphe 4.2.1 par l’équation (4.6) n’est autre que le spectre de grain [21] (on se reportera par exemple aux chapitres de Y. Meyer ou de R. Riedi dans [3] pour la définition du spectre de grain, encore appelé spectre de grandes déviations), défini par les coefficients d’ondelette discrets de la réalisation de série d’ondelette aléatoire étudiée. On notera D g rws(h) ce spectre, dont on rappelle la définition (cf. l’équation 4.6 au paragraphe 4.2.1) : ρ(h) = Dg rws(h) = inf >0 lim sup j→−∞ − log2
Utilisation du formalisme multifractal basé sur les coefficients mmto
Le formalisme multifractal basé sur les coefficients mmto (cf. l’annexe E) a été introduit dans les années 1990 par A. Arneodo et son équipe [16, 11] afin de mesurer la partie droite du spectre de singularités. Bien que n’ayant pas re¸cu de fondement mathématique, cette méthode a été vérifiée avec succès sur un certain nombre de processus multifractals. Puisque le formalisme multifractal basé sur les coefficients dominants permet lui aussi la mesure de l’ensemble du spectre de singularités, et qu’un nouveau processus contenant des singularités oscillantes (la série d’ondelette 76 aléatoire) est utilisé, il convient de comparer les formalismes multifractals basés sur les coefficients dominants et les coefficients mmto. C’est l’objet de ce paragraphe.
Processus multifractals sans singularités oscillantes
On reprend tout d’abord le processus de cascade d’ondelette aléatoire. Choix des paramètres de synthèse et d’analyse Nreal ´ = 500 réalisations du processus de cascade d’ondelette aléatoire log-normale ont été synthétisées, à l’aide de l’ondelette de Daubechies avec 6 moments nuls, avec les paramètres suivants : r = 2−13 , Nint = 24 , m = 0.37 et σ = 0.19. L’analyse est effectuée à l’aide de l’ondelette de Daubechies à 3 moments nuls pour les coefficients dominants, et à l’aide de la dérivée troisième de gaussienne, qui possède donc elle-aussi 3 moments nuls (cf. l’annexe B), pour les coefficients mmto. Notons que la zone de régression linéaire permettant la mesure des exposants ζ m rwci (q) (l’indice m se rapporte à mmto) est la même que celle utilisée pour la mesure des ζ l rwci (q) .
I Introduction |
