Analyse systématique de la méthode des matrices de capacité à dire d’experts 

Origine et utilisation du concept de services écosystémiques

Alors que le terme « service écosystémique » ne date que de quelques décennies (de Groot et al., 2017), le concept sous-jacent n’est pas nouveau. Une réflexion qui s’apparente au concept de services est retrouvée dans des écrits vieux de près de 2500 ans avec Platon dans « Critias ou l’Atlantide » datant du III-IVe avant Jésus-Christ. « (…) il y avait sur les montagnes de grandes forêts, dont il reste encore aujourd’hui des témoignages visibles (…) Le sol recueillait les pluies annuelles et ne perdait pas comme aujourd’hui l’eau qui s’écoule de la terre dénudée vers la mer. Comme la terre, alors, était épaisse et recevait l’eau dans son sein et la tenait en réserve dans l’argile imperméable, elle laissait échapper dans les creux l’eau des hauteurs qu’elle avait absorbée et alimentait en tous lieux d’abondantes sources et de grosses rivières. (…) Puis tout ce que la forêt fournit de matériaux pour les travaux des charpentiers, l’île le produisait aussi en abondance. Elle nourrissait aussi abondamment les animaux domestiques et sauvages. (…) ». On peut retrouver dans ces mots les services de régulation liés à la rétention de l’eau par les sols et les services d’approvisionnements en ressources secondaires et en matériaux. Plus récemment, Ehrlich et Mooney (1983) retrouvent l’origine du concept dans l’ouvrage de Marsh (1864) et l’article de Westmann (1977) s’interroge sur la valeur sociale des services de la nature. Le mot « service écosystémique » apparaît dans les années 1970 et 1980 dans la littérature scientifique (Maris et al., 2016; Mongruel et al., 2016) et est surtout propagé par trois publications majeures : l’ouvrage édité par Daily en 1997 « Nature’s Services : Societal Dependance on Natural Ecosystems » ; l’article de Costanza et al. dans Nature en 1998 « The value of world’s ecosystem services and natural capital » et finalement en 2005 la publication des résultats du Millenium Ecosystem Assessment (MEA). Depuis le nombre d’articles parlant et étudiant les services écosystémiques n’a fait qu’augmenter (Potschin et Haines-Young, 2011). Lele et al. (2013) développent dans leur étude les différentes origines de l’attraction du concept des services écosystémiques dont celles de faire évoluer l’aspect négatif du développement économique pour la vie sauvage à celui d’un aspect positif de la conservation du milieu naturel pour le bien-être de l’homme. Ce concept contribue aussi à étendre les échelles d’analyse des études locales d’un seul service à des modèles à l’échelle régionale de l’ensemble des services écosystémiques. Comme de nombreuses publications précédentes, Villamagna et al. (2013) développent que « les services écosystémiques ont un grand potentiel pour influencer les décisions de l’environnement, car ils relient les fonctions et les conditions des écosystèmes aux intérêts anthropocentriques qui résonnent avec un large éventail de personnes ».

Services écosystémiques et durabilité

La durabilité de l’offre de services écosystémiques peut être abordée en évaluant la persistance de la capacité et de l’état écologique des écosystèmes compte tenu du niveau d’utilisation des services écosystémiques (Schröter et al. 2014a). La surutilisation de certains services écosystémiques peut être une bonne approximation pour identifier des usages non durable, notamment lorsque le service est associé à l’exportation de ressources hors de l’écosystème. Lorsque l’utilisation dépasse la capacité, l’état de l’écosystème et la capacité risquent d’être dégradés pour une durée dépendant de la résilience écologique et du niveau de perturbation. La surutilisation des services écosystémiques est donc un indicateur approprié pour examiner l’équité intergénérationnelle qui est une composante de la durabilité (Schröter et al. 2014a). Il s’agit également d’un indicateur de l’équité intra-générationnelle, car une utilisation excessive ou critique des services écosystémiques est également susceptible d’empêcher d’autres parties prenantes de bénéficier des services. Par exemple, la surexploitation du bois associée à la coupe à blanc induit une érosion du sol, une réduction de la productivité actuelle et future des surfaces forestières (McDonald et al. 2002) et la surexploitation dans les régions tropicales et subtropicales dans des conditions climatiques difficiles détériore la capacité du sol à long terme (Lal. 1993).

Notion de disservices écosystémiques

Avec l’utilisation du concept de services écosystémiques, les contributions positives des écosystèmes à l’Homme et à son bien-être sont bien prises en compte, mais nous ne pouvons ignorer les effets négatifs découlant des caractéristiques des écosystèmes qui sont économiquement, socialement nuisibles, ou qui mettent en danger la santé ou même la vie (Dunn 2010 ; Lele et al., 2013 ; Stoll et al., 2014). Alors que l’utilisation du concept de services écosystémiques se soit considérablement développée au cours de la dernière décennie, elle n’est généralement pas combinée avec la prise en compte des aspects négatifs de l’environnement naturel (Schaubroeck, 2017). Une recherche rapide sur Scopus (en juillet 2017) a mis en avant 126 articles sur les disservices (‘‘article and review”, ‘‘all year”, ‘‘ecosystem disservice”) et 21 248 articles sur les services écosystémiques (‘‘article and review”, ‘‘all year”, ‘‘ecosystem service”), ce qui signifie que seulement 0,6% des études publiées se sont concentrées sur les disservices. Cependant, le nombre d’articles sur les effets néfastes des écosystèmes a augmenté depuis 2009, reflétant sa reconnaissance croissante (Von Döhren et Haase, 2015). Les effets négatifs ou dangereux des écosystèmes sont reconnus (Kareiva et al., 2007). Le concept de disservices écosystémiques a suscité des débats ces dernières années (Barot et al., 2017 ; Lyytimäki, 2014a ; Lyytimäki et al. 2008 ; Schaubroeck, 2017 ; Shapiro et Baldi, 2014 ; Villa et al. 2014). Ce concept et son évaluation ont été remis en question parce qu’ils peuvent être perçus comme envoyant un « mauvais message », ce qui peut entraver les efforts de conservation (Villa et al., 2014).

La méthode des matrices

Dans le cadre de cette thèse de doctorat, nous nous intéressons à une méthode d’évaluation des services écosystémiques utilisant « une matrice des capacités » qui est une table croisant la liste des services écosystémiques et la typologie des écosystèmes .
Cette liste et cette typologie sont adaptées en fonction du territoire d’étude et des objectifs et contraintes de celui-ci. La typologie des écosystèmes sert à différencier les écosystèmes rendant des services écosystémiques potentiellement différents ou avec des niveaux de fournitures différents. Chaque cellule de la matrice est remplie avec un score reflétant la capacité à produire un service écosystémique donné. L’approche par les types d’écosystèmes lors d’une évaluation des écosystèmes est l’une des stratégies d’analyse les plus fréquentes dans la littérature, c’est d’ailleurs celle du Millenium Ecosystem Assessment (Potschin et Haines-Young, 2012). Alors que les évaluations des services écosystémiques se concentrent majoritairement sur un nombre restreint de services, cette méthode permet de prendre en compte l’ensemble des services produits par un écosystème. En effet, évaluer un seul service écosystémique limite la prise en compte de la multifonctionnalité intrinsèque des systèmes écologiques (Seppelt et al., 2011).
Cette méthode fait partie des modèles d’indicateurs spatiaux qui relient les types d’occupation du sol ou les types d’écosystèmes aux services écosystémiques. Ces modèles sont très souples et facilement adaptables à différentes sources de données et techniques de modélisation. Dans l’approche par niveaux des méthodes d’évaluation des services écosystémiques de Grêt-regamey et al. (2015), la méthode des matrices et les connaissances des experts sont classées comme niveau 1 ou niveau 2 selon la complexité des méthodes utilisées pour construire une matrice. L’approche via la mobilisation d’expertises territoriales ou sectorielles a prouvé sa pertinence pour construire des matrices d’indicateurs semi-quantitatifs (e.g. Burkhard et al., 2010; Stoll et al., 2014; Vihervaara et al., 2010). Les matrices de capacités peuvent également être remplies ou complétées par des indicateurs ou des données spatiales. Ainsi, Burkhard (2017) propose une méthodologie pour l’évaluation et la cartographie des services écosystémiques via la méthode des matrices basée sur des indicateurs et une collecte de données spatiales appropriées.

Table des matières

Introduction
1. État de l’art 
1.1. Concept de services écosystémiques
1.2. Origine et utilisation du concept de services écosystémiques
1.3. Définitions et catégories de services
1.4. Cadre d’analyse et sous-notions
1.5. Interaction entre les services
1.6. Services écosystémiques et durabilité
1.7. Notion de disservices écosystémiques
1.8. Les politiques publiques et les programmes d’évaluation
1.9. Les différentes méthodes d’évaluations
1.10. La méthode des matrices
2. Structure et cadre conceptuel de la thèse 
2.1. Cadre conceptuel et plan de thèse
2.2. Les questions et la structure de la thèse
3. Le projet IMAGINE 
4. Sites d’étude
4.1. La Région Hauts-de-France
4.2. Le Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut
Bibliographie 
Partie 1. Analyse systématique de la méthode des matrices de capacité à dire d’experts 
1. Expert-based ecosystem services capacity matrices: dealing with scoring variability 
1.1. Introduction
1.2. Data
1.3. Statistical analysis
1.4. Results
1.5. Discussion
1.6. Conclusion
References
2. May the matrix be with you! Guidelines for the application of expert-based matrix approach for ecosystem services assessment and mapping 
2.1. Introduction
2.2. Method
2.3. Example of application
2.4. Discussion
2.5. Conclusion
References
3. Expert-based scoring provides reliable estimates of ecosystem service capacity 
3.1 Introduction
3.2 Results
3.3 Discussion
3.4 Methods
References
Partie 2 : Évaluation des services écosystémiques à l’échelle territoriale
1. Évaluation de la capacité en services écosystémiques à l’échelle du territoire de la Région Hauts-de-France 
1.1. Introduction
1.2. Matériel et méthode
1.3. Résultats
1.4. Synthèse
Bibliographie
2. Intégration des résultats de la capacité en services écosystémiques dans les études d’impacts
2.1. Introduction
2.2. Méthode générale
2.3. Méthode et résultats des 3 études de cas
2.4. Synthèse et perspectives
Bibliographie
3. Sustainable use of ecosystem services at regional level 
3.1. Introduction
3.2. Materials and methods
3.3. Results
3.4. Discussion
3.5. Conclusion
References
4. Approche participative de l’évaluation des services écosystémiques produits par les écosystèmes du Parc naturel régional Scarpe-Escaut 
4.1. L’origine et les objectifs de la démarche
4.2. Les services écosystémiques
4.3. Le territoire d’étude : le PNR Scarpe-Escaut, une mosaïque de milieux humides et aquatiques
4.4. Approche croisant avis d’experts et connaissances de terrain
4.5. Analyse préliminaire des résultats scientifiques
4.6. Lecture des résultats pour le PNR Scarpe-Escaut
4.7. Discussion et perspectives du partenariat
Bibliographie

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