ANALYSES RÉTROSPECTIVES ET APPLICATIONS À LA REGION PACA ET AU DÉPARTEMENT DU VAR

ANALYSES RÉTROSPECTIVES ET APPLICATIONS À LA REGION PACA ET AU DÉPARTEMENT DU VAR

ENTRE ÉQUILIBRE GLOBAL ET DÉSÉQUILIBRES LOCAUX : LA CONSTRUCTION DU RÉSEAU ET LE « NON-AMÉNAGEMENT » DES TERRITOIRES ÉLECTRIQUES

A l’échelle de l’Europe

L’exemple de la panne du 4 Novembre 2006

L’exemple de la coupure électrique européenne du 4 novembre 2006 (RTE, 2006, UCTE, 2007) nous paraît tout à fait représentatif de cette problématique d’articulation entre les niveaux d’organisation d’un système et un exemple de crise électrique de grande ampleur où un évènement local a priori anodin (coupure volontaire d’une ligne allemande de 400 000 volts pour permettre le passage d’un navire norvégien circulant sur la rivière Ems en Allemagne), intervenant dans un contexte assez stable (pas de fortes consommations par rapport au modèle de prévision de la demande), provoque pourtant une cascade de surcharges et de déconnexions de lignes électriques obligeant les gestionnaires à délester volontairement quinze millions de foyers répartis inégalement dans presque toute l’Europe. L’enjeu n’est absolument pas de produire une description factuelle détaillée de la coupure électrique, plusieurs retours d’expériences sont déjà disponibles sur cette question et nous ne serions bien sûr pas en mesure de produire ce type d’analyse à une telle échelle (RTE, 2006, UCTE, 2007). Dans cet exemple, l’attention ne se porte pas sur l’origine, le déclenchement, ou sur les impacts indirects de la panne. En revanche, notre intérêt est axé spécifiquement sur le processus de dislocation du système qui a eu lieu au cours de cet évènement et qui est assez typique des pannes en cascades dans les réseaux électriques. Initialement, les conditions de fonctionnement du réseau ne présentent pas de particularité et la consommation peut être qualifiée de relativement faible pour un samedi soir. Le maintien de l’équilibre global entre l’offre et la demande ne présente donc a priori aucune réelle difficulté. Dans la configuration du système électrique, ce soir-là, l’équilibre global est fondé sur des déséquilibres locaux que l’on observe notamment entre les trois grandes zones (virtuelles) qui vont apparaître pendant la coupure et qui sont résumées dans la figure empruntée au retour d’expérience sur cet évènement.La dislocation du système provoquée par les surcharges en cascades et le déclenchement des organes de protection de plusieurs composantes du réseau, est donc le passage d’un équilibre global à des déséquilibres locaux qui conduit à une augmentation de la fréquence du réseau dans la zone nord-est du réseau européen où la production est à ce moment-là excédentaire par rapport au niveau de consommation. Inversement elle conduit à la diminution de la fréquence dans la partie ouest où la consommation est nettement excédentaire par rapport à la production, enfin dans la partie sud-est, le déséquilibre est moindre et la variation de fréquence l’est donc également (figure 34). Comme précisé, ces trois zones sont initialement « virtuelles », dans le sens où elles ne constituent pas une échelle de fonctionnement, ni dans la planification, ni la gestion du réseau, ce sont des zones qui ont été « révélées » par la coupure. Ces sous-parties du réseau, reposent elles-mêmes sur des déséquilibres internes. Par exemple, bien que la zone ouest soit globalement en situation de sous production, la production d’électricité de la France était à ce moment-là assez nettement excédentaire par rapport à la consommation et donc fortement exportatrice, à l’inverse, en Italie par exemple, les flux électriques avec les voisins transfrontaliers étaient fortement importateurs. Pour retrouver un équilibre entre l’offre et la demande et éviter l’écroulement des sous-systèmes du réseau, qui aurait sans doute eu lieu si la fréquence d’un des sous-systèmes avait dépassé une fréquence de 52 Hz ou était descendu en dessous de 49 Hz, les gestionnaires de réseaux sont alors contraints de procéder à des délestages dans chacune des trois zones.

Quel modèle de territoire électrique européen ?

On connaît l’importance du syndrome NIMBY (« Not in my back yard ») touchant une partie des projets d’aménagement ou des constructions d’infrastructures. Ce phénomène est évidemment très présent dans la question des lignes électriques à très haute tension, d’autant plus que ces infrastructures sont à la fois perçues comme des nuisances visuelles et esthétiques fortes mais sont aussi associées depuis plusieurs années à de fortes suspicions de nuisances sanitaires, chez environ 60% des populations, d’après une enquête commandée par RTE et citée dans (Bouneau et al., 2007). Ce dernier souligne également que la ligne électrique qui était un symbole fort de modernité, jusqu’à être mis en avant par exemple dans l’affiche présidentielle de François Mitterrand en 1965, sous le slogan pour une France Moderne, est ensuite devenu au fil du temps, un objet dont l’esthétique doit désormais tenir à l’invisibilité. Ainsi, on imagine mal en 2012, une affiche présidentielle ou une affiche politique qui mettrait en avant un candidat sous une ligne électrique. La représentation sensorielle de l’infrastructure électrique a donc profondément changé en assez peu de temps. Malgré cela, l’Europe électrique dont les racines remontent aux années 1950, est défendue et construite presque exclusivement dans une logique de grandes liaisons transfrontalières ; plusieurs documents mettent ainsi en avant l’urgence et le caractère prioritaire de ces liaisons pour la politique énergétique et la réalisation du Marché européen (notamment la liaison entre la France et l’Espagne). L’Union Européenne impose en effet que chaque Etat soit doté de capacités d’interconnexions au moins égales à 10% de sa capacité de production et déclare que « le Marché ne doit pas être entravé par des contraintes physiques » (UE, 2001), alors que pour plusieurs experts dont Pascal Boiteux, ancien président d’EDF, « tout ce remue-ménage a été décidé officiellement pour créer un véritable marché européen de l’électricité. Or, il faut être d’une douce innocence pour défendre un point de vue pareil. Pourquoi ? Parce qu’on ne construit plus de lignes depuis plusieurs dizaines d’années. » (Boiteux, 2003) ou encore « L’Europe électrique n’existe pas, elle n’a jamais été que la juxtaposition de systèmes électriques nationaux mal reliés entre eux. » (Soult, 2004).Le problème de l’Europe électrique peut néanmoins se poser dans des perspectives moins radicales et plus alternatives, par exemple, au niveau de sa logique de fondation, passer d’une logique de liaison électrique transfrontalière reposant uniquement sur de grandes infrastructures de transport à une logique de développement de région électrique transfrontalière basée par exemple sur une logique de développement innovant et de valorisation commune des ressources locales paraîtrait mieux à même de faciliter l’adhésion des populations locales tout en étant plus adaptée aux stratégies de développement durable et aux objectifs environnementaux que s’est fixée l’Union Européenne et donc l’ensemble des pays membres. Elle consisterait alors à faire des régions transfrontalières européennes des moteurs de développement d’une Europe électrique durable, plutôt que de concevoir ces régions comme de simples contraintes à faire céder pour pouvoir mettre en place un grand marché électrique européen. 

A l’échelle de la France, l’évolution et la réorganisation du territoire électrique entre 1960 et 2005

Nous avons évoqué dans le chapitre 1 des éléments sur la diffusion spatiale de l’innovation électrique et sur la croissance du réseau électrique en France ; dans le processus d’électrification du territoire français, les réseaux locaux et régionaux préexistaient au réseau national et ce n’est que dans un second temps, à partir de 1938, que s’est réalisée la synchronisation des huit systèmes régionaux et la mise en œuvre des interconnexions à un niveau national s’appuyant sur le réseau 220 000 Volts. Aux prémices d’un système national, chaque sous-système disposait donc, de manière autonome de capacités de production relativement proches des pics de consommation de sorte que même s’ils étaient en interactions puisqu’interconnectés, le niveau d’interdépendance entre les sous-systèmes était relativement faible ou du moins, ces systèmes disposaient d’une certaine autonomie. On peut donc considérer que l’équilibre entre offre et demande à l’échelle du système global repose initialement sur l’imbrication d’équilibres locaux ou du moins régionaux. A ce moment de l’Histoire et en l’état des techniques connues, concevoir le système électrique à l’échelle nationale permettait d’en augmenter la rentabilité commerciale et la fiabilité en rendant possible des mécanismes de complémentarités et de solidarités interrégionales. Ces solidarités étaient établies en particulier entre le sud de la France, riche en ressources hydrauliques mais n’absorbant qu’une partie de cette consommation, et le nord du pays, riche en ressources thermiques. Ainsi peut-on lire dans les ouvrages géographiques de l’époque : « la France se trouve partagée en deux secteurs à peu près égaux par une ligne tracée de Bordeaux à Strasbourg : au sud de cette ligne, se trouve la grande majorité des chutes ; au nord, se trouvent réalisées les conditions d’installations d’usines thermiques : bassins houillers, ports d’importation du charbon, grosse métallurgie. Or, les régions qu’alimentent les usines hydrauliques n’absorbent en moyenne que 70% de leur production, et l’aménagement des chutes s’effectue à une cadence plus rapide que le développement de la consommation, d’où la nécessité d’exporter l’excédent d’énergie. De telles exportations sont d’ailleurs conformes à la politique d’interconnexion des centrales de production. » (Clozier, 1934). L’équilibre global des systèmes électriques fut donc assez tôt construit dans une 144 logique de compensation entre des déséquilibres à l’échelle du pays permettant de maintenir un état de stabilité et d’optimiser son efficacité économique. Pour poursuivre l’exemple français, l’organisation du système électrique est également liée aux progrès techniques qui permirent d’augmenter les niveaux de puissance des lignes de transport électrique avec la mise en service de lignes à 400 000 volts, et assurèrent aux gestionnaires une capacité de transport des électrons plus importante et sur des distances plus lointaines, ou encore au développement du nucléaire civil, qui a contribué à la mise en place d’une organisation centralisée de la production d’énergie, avec une mise à distance croissante entre des sites de production et leurs bassins de consommation, pour des mesures de sécurité. Les équilibres locaux ne sont dès lors plus considérés comme un enjeu puisque les capacités d’interconnexion permettent de maintenir un équilibre global. Dans le tome de l’Atlas de France consacré au Transport et à l’Energie, Roger Brunet qualifiait d’ailleurs « d’antiaménagement du territoire » (Brunet, 1990) la réorganisation spatiale du secteur énergétique en œuvre depuis les années 1970. En analysant l’évolution des propriétés topologiques du réseau de transport électrique 400 kV français entre 1960 et 2000, représentée en carte 3, (Buzna, al., 2009) ont montré que ce dernier ne répondait aux propriétés des réseaux scale free pour aucune des périodes analysées et se caractérisait par un réseau organisé à partir de nœuds qui possèdent en moyenne 2.8 nœuds connexes sur l’ensemble de la période. La propriété dite des « petits mondes » s’observe par contre plus nettement ; à partir du début des années 1980, la longueur moyenne des chemins optimaux entre les nœuds du réseau devient beaucoup plus faible que celle d’un réseau aléatoire. D’autre part, l’analyse nous informe des rythmes très distincts dans la construction du réseau avec une première phase de développement plutôt lente et linéaire entre 1960 et 1975, puis à partir de 1978, une accélération très nette du taux de croissance jusqu’à arriver à une certaine saturation à partir des années 1990, où le taux de croissance de nouvelles lignes diminue très brutalement.

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