Anesthésie des césariennes en code rouge dans une maternité de niveau 3

Délai décision-extraction 

Toutes modalités anesthésiques confondues, le délai médian entre la décision de la césarienne et l’extraction du nouveau-né était de 9 minutes, avec 92,6% des extractions réalisées en moins de 15 minutes et 99,4% en moins de 30 minutes. Pour chaque type d’anesthésie pris séparément, on remarque que le délai décision-extraction médian était de 9 minutes à la fois pour l’AG primaire et pour l’APD, avec des extractions en moins de 15 minutes dans 93% des AG primaires et 95% des APD et en moins de 30 minutes dans 100% des deux techniques anesthésiques. Pour les sept patientes ayant eu une APD convertie en AG, le délai médian était inchangé et 100% des extractions étaient réalisées en moins de 15 minutes. Pour les rachianesthésies, le délai médian était de 20 minutes avec deux extractions fœtales en moins de 15 minutes, deux en moins de 30 minutes et une extraction en 34 minutes.
Le délai médian entre la décision du code rouge et l’arrivée de la patiente en salle de césarienne était de 2 minutes pour l’AG primaire (entre 0 et 5 minutes maximum) et l’APD (entre 0 et 8 minutes maximum) et de 3 minutes pour la rachianesthésie (entre 0 et 5 minutes maximum). Pour les quatre patientes dont la césarienne a été réalisée au bloc gynécologique en raison d’une occupation de la salle de césarienne, ce délai était compris entre 3 et 4 minutes. Nous n’avons pas mis en évidence de différence de délai décision-extraction médian entre AG primaire et APD. Nous n’avons pas non plus mis en évidence de différence entre AG primaire et APD en ce qui concerne le nombre d’extractions de plus de 15 minutes à compter du déclenchement du code rouge. On remarque cependant un intervalle entre la décision du code rouge et l’arrivée en salle de césarienne plus court chez les patientes ayant reçu une AG primaire.

Issue néonatale selon le type d’anesthésie 

Les caractéristiques des patientes ne sont pas comparables entre les groupes AG primaire et APD. Les patientes du groupe AG semblent avoir des grossesses plus compliquées (prééclampsie, prématurité, petit poids de naissance et malformations fœtales plus fréquemment retrouvés) et certaines causes diffèrent (fréquence plus élevée de procidence du cordon ou d’hématome rétroplacentaire et plus faible de bradycardie fœtale). Les deux groupes ont pour cela été appariés selon un score de propension après avoir recherché les facteurs de confusion potentiels (différence en termes de caractéristiques maternelles et fœtales et facteurs associés à l’Apgar à 5 minutes <7).
Pour évaluer l’influence de la technique anesthésique (APD versus AG primaire) sur l’issue néonatale, nous avons analysé les critères suivants dans le sous-groupe des patientes appariées : Apgar à 5 minutes < 7, Apgar à 1 minute < 7, Apgar à 10 minutes < 7, pH artériel au cordon < 7,15, intubation trachéale à la naissance, admission en unité de soins intensifs/réanimation, décès dans les 28 jours.
Un score Apgar à 5 minutes < 7 et à 1 minute < 7 sont significativement plus fréquents chez les nouveau-nés dont la mère a reçu une AG avec des odd-ratios à 4 et 5,3 respectivement . On n’observe pas de différence statistiquement significative sur le pH artériel au cordon, le risque d’intubation trachéale du nouveau-né, la fréquence d’hospitalisation en réanimation ou de décès. Chez les cinq patientes ayant bénéficié d’une rachianesthésie, on note une seule issue néonatale défavorable avec un pH artériel au cordon inférieur à 7,15, un score d’Apgar à 1, 5 et 10 minutes inférieur à 7, la nécessité d’une intubation trachéale et un décès quasiment immédiat. La cause de ce code rouge était un hématome rétroplacentaire chez une patiente en prééclampsie. Le délai décision-extraction était de 34 minutes, comprenant 5 minutes entre le déclenchement du code rouge et l’arrivée de la patiente en salle de césarienne, 15 minutes entre l’arrivée en salle et l’injection rachidienne et 7 minutes entre l’injection rachidienne et l’incision cutanée. Parmi les quatre autres nouveau-nés sous rachianesthésie maternelle, deux avaient un score d’Apgar à 1 minute inférieur à 7, qui se corrigeait à 5 minutes, le pH artériel au cordon était dans les normes, il n’y a pas eu d’intubation trachéale ni de transfert en réanimation.

Délais d’extraction fœtale et modalités anesthésiques 

Dans notre unité entre 2017 et 2020, les césariennes en code rouge ont été réalisées dans 58,6% des cas sous anesthésie péridurale, dans 38,3% des cas sous anesthésie générale primaire et dans une faible proportion (3,1%) sous rachianesthésie. Le délai décision-extraction pour les césariennes en code rouge a été inférieur à 15 minutes pour 92,6% des parturientes et inférieur à 30 minutes pour 99,4% d’entre elles. L’extension d’APD permet souvent un délai décision-extraction court. Dans notre centre, elle a permis presque 95% des naissances en 15 minutes et 100% en 30 minutes. Nos résultats concordent avec une étude lyonnaise récente de Bidon et al. selon laquelle une anesthésie péridurale pleinement efficace a permis d’assurer un intervalle de décision à l’accouchement de 15 minutes chez plus de 90% des patientes avec des délais décision-extraction médians de 9 minutes. D’autres études retrouvent des délais plus longs pour l’APD que l’AG . Selon Mackenzie et al., l’AG permet un délai décision-extraction significativement plus court que l’APD, mais dans son étude le cathéter péridural n’est pas encore en place au moment de la décision du code rouge. Pour les mêmes raisons, Wallace et al. retrouvent des délais entre le début d’anesthésie et l’incision de 2,6 minutes pour l’AG contre 36 minutes pour l’APD. Popham et al. montrent que l’administration d’un bolus d’anesthésique local dans un cathéter péridural déjà en place qui fonctionne efficacement peut permettre un intervalle de décision-extraction presque aussi court qu’une AG avec des délais décision-extraction moyens de 17 (+/- 6) minutes pour l’AG et de 19 (+/- 9) minutes pour l’APD. La possibilité d’un délai décision-extraction court dans notre centre peut être favorisée par plusieurs facteurs. L’existence d’un protocole de service permet de réaliser une extension d’APD rapide lorsqu’un cathéter péridural fonctionnel est déjà utilisé pour l’analgésie de l’accouchement. Dans la majorité des cas, l’injection péridurale a été faite en salle d’accouchement avant le transfert en salle
de césarienne, conformément au protocole de service et aux conclusions des experts en France concernant l’organisation de l’anesthésie obstétricale (27,28), ce qui permet de gagner de précieuses minutes pour l’obtention d’un niveau anesthésique (abolition de la sensation de tact léger) supérieur à T6 permettant de réaliser la césarienne. La Lidocaïne 2% adrénalinée a été utilisée dans 100% des cas. Les propriétés pharmacologiques de cet anesthésique local et l’adjonction d’adrénaline permettent d’obtenir un bloc sensitif atteignant T4-T5 en 7,5 à 12,5 minutes. La Lidocaïne 2% adrénalinée a pu montrer un délai d’action plus court par rapport aux autres anesthésiques locaux (Ropivacaïne 0,75%, Bupivacaïne 0,5%, Lévobupivacaïne 0,5%). L’adjonction de Sufentanil, qui a été utilisé chez seulement 19% de nos patientes, permet de raccourcir le délai d’installation du bloc sensitif .
L’extension de péridurale a permis de réaliser une anesthésie satisfaisante dans 84,2% des cas. Cependant 8,4% des patientes ont nécessité une sédation complémentaire et 7,4% une conversion en AG. La fréquence de l’insuffisance d’analgésie pour la césarienne varie selon les études entre 1,7% et 30 % pour l’extension d’analgésie péridurale. Orbach-Zinger et al. rapportent presque 20% d’APD converties en AG après l’injection de Lidocaïne 2% adrénalinée. Pour Halpern et Lee , les taux de conversions en AG sont inférieurs à 5%.

Devenir néonatal 

Le score d’Apgar est une mesure composite de l’état clinique et cardio-respiratoire du nouveau-né. Dans notre étude, l’AG est associée avec un score d’Apgar à 1 et 5 minutes < 7 une fois les patientes appariées pour éliminer les facteurs de confusion. D’autres études ont retrouvé une association entre l’AG et un score d’Apgar à 5 minutes < 7 , à 1 minute < 7 , de plus faibles valeurs de pH artériel ombilical , une hospitalisation du nouveau-né en réanimation , la nécessité d’une intubation trachéale , et la mortalité néonatale (. Nous n’avons pas mis en évidence de différence entre l’APD et l’AG sur les autres critères analysés (Apgar à 10 minutes < 7, pH artériel au cordon < 7,15, intubation trachéale, admission en réanimation, décès). Cela peut-être dû à l’exclusion d’un nombre important de patientes après appariement avec seulement 37 patientes restantes dans chaque groupe. L’impact de l’AG sur l’état néonatal peut être lié au passage transplacentaire d’agents anesthésiques utilisés à l’induction. Par ailleurs les patientes chez lesquelles une AG a été réalisée n’étaient pas toutes en travail et avaient donc pour certaines une surveillance discontinue du rythme cardiaque fœtal. Le diagnostic de détresse fœtale peut ainsi être retardé, avec des conséquences sur l’Apgar.
Nous ne mettons pas en évidence d’association entre le délai décision-extraction et le score d’Apgar à 5 minutes. Ce résultat est conforté par la réalisation de la grande majorité des extractions fœtales dans les 15 minutes et le reste dans les 30 minutes. L’objectif de 15 minutes en France et 30 minutes en Angleterre est basé sur des recommandations nationales d’experts issues des données de la recherche clinique. Une méta-analyse de 2014 montre que la signification clinique du non-respect d’un délai décision-extraction inférieur à 30 minutes reste incertaine. Sur plus de 300 césariennes de catégorie 1, Warren et al. ne retrouvent aucune relation significative entre un délai décision-extraction de plus de 30 minutes et un risque de morbidité néonatale. D’autres études récentes ne montrent pas non plus d’association entre le délai décision-extraction et les résultats néonataux. Un excès de rapidité peut engendrer des erreurs anesthésiques et chirurgicales.
Une réduction à tout prix du délai décision-extraction peut conduire aussi à la réalisation par excès d’AG qui sont plus à risque pour les patientes.
Le délai décision-extraction n’est pas une mesure précise de la durée de la souffrance fœtale. Tout dépend de la durée de la souffrance fœtale préalable au déclenchement du code rouge. Leung et al. rapportent que l’intervalle entre la bradycardie et l’accouchement lors d’une césarienne en code rouge est inversement corrélé au pH artériel au cordon, contrairement à l’intervalle entre la décision et l’extraction . Les recommandations du CARO de 2020 rappellent que la possibilité de réaliser un enregistrement du rythme cardiaque fœtal (RCF) à l’arrivée en salle de césarienne est une préconisation forte du CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) et du CNEMM (Comité National d’Experts sur les Morts Maternelles) . Dans notre centre, ce monitorage n’est pas systématique à l’arrivée en salle de césarienne et assez peu réalisé en pratique sauf indication ponctuelle de l’obstétricien. Contrôler le RCF peut permettre de constater une récupération du rythme fœtal et peut faire reconsidérer par les obstétriciens le délai entre décision et incision. Tout délai supplémentaire, s’il n’est pas préjudiciable à l’enfant, est bénéfique pour l’installation d’une ALR profonde et de qualité .
Chez les patientes sans cathéter péridural fonctionnel, l’objectif de 15 minutes pousse à réaliser une AG. Une surveillance continue du rythme cardiaque fœtal en salle de césarienne peut permettre de considérer l’intérêt d’une rachianesthésie chez certaines patientes à haut risque (obésité morbide, risque d’intubation difficile, terrain maternel…) et ainsi éviter chez elles les risques liés à l’AG. Un dialogue constructif doit pouvoir s’établir entre l’obstétricien et l’anesthésiste dans ces cas.

Table des matières

Introduction 
Matériel et méthodes 
Design de l’étude
Données recueillies
Organisation locale
Analyse statistique
Administratif
Résultats
Descriptif général
Caractéristiques des parturientes et des nouveau-nés
Délai décision-extraction
Facteurs associés à un score d’Apgar à 5 minutes < 7
Issue néonatale selon le type d’anesthésie
Complications maternelles liées à l’anesthésie
Discussion 
Délais d’extraction fœtale et modalités anesthésiques
Devenir néonatal
Limites
Conclusion
Références 
Annexes

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