Apports théoriques de la recherche en formation d’adultes

Définir l’accompagnement

Terme « irritant car véritable fourre-tout » (Paul, 2009a, p.11), « notion ambigüe » (Vial, 2014, [n.p.]), l’accompagnement se résume difficilement dans une définition unique. Son explicitation donne lieu à comparaison avec d’autres concepts, à définition de ce qu’il n’est pas, à mise en évidence de ses champs d’action. Pour éclairer notre problématique et délimiter plus précisément le cadre théorique de notre recherche, il est nécessaire d’étudier les différentes acceptions de l’accompagnement dans la recherche en sciences de l’éducation. Nous pouvons tout d’abord apporter des éléments de connaissance sur lesquels les recherches principales s’accordent : son aspect multiforme et l’éclairage de son étymologie. Ainsi l’accompagnement peut être désigné comme une activité de relation éducative permettant d’inscrire l’accompagné dans un processus de changement. Mais nous verrons que différents acceptions de cette notion ont été développées dans la recherche en éducation ; nous allons en montrer les dissemblances et les orientations respectives.

Une notion floue et une pluralité de formes

 Les chercheurs ayant travaillé sur la notion d’accompagnement s’accordent sur son caractère flou : « une nébuleuse » (Paul, 2002, pp. 43-56), un « mot-valise » (Lerbet-Sereni, 2014b, p.7), « à caractère transversal » (Vial et Mencacci, 2007, p.20), entouré d’un « flou conceptuel » (Beauvais, 2004, p.101). Enfin c’est un terme « flatteur » qui impose à l’accompagnant de « s’y repérer » (Cifali, 2001, p. 128) pour éviter de le galvauder. « Introduit dans le langage professionnel, il perd peu à peu son intention » (Paul, 2009, p.91). Il est possible d’appréhender la pluralité et le caractère transversal de l’accompagnement en cherchant à identifier ses différentes formes de mise en œuvre (Vial et Mencacci, 2007, p.20). Si nous pouvons nous accorder sur l’idée d’une démarche qui vise à « aider une personne à cheminer, à se construire, à atteindre ses buts » (Beauvais, 2004, p.101), accompagner ne signifie pas simplement aider, ou guider. Il ne faut pas non plus le réduire à du coaching, qui désigne un mode individuel d’accompagnement non normatif et réservé au domaine de l’activité professionnelle. Selon Paul (2009c), l’accompagnement est un terme « générique » p.92), qui ne peut servir de concept. Tutorat et coaching, par exemple, sont des formes d’accompagnement mais qui diffèrent entre elles. A l’inverse, il est possible d’aider, de conseiller ou de former sans Définir l’accompagnement 72 accompagner. C’est en même temps une « plasticité posturale » et une « capacité de mimétisme » qui rendent l’accompagnement si « protéiforme » (Paul, 2002, p.53). Vial et Mencacci (2007, p.21) expliquent que contrairement à l’accompagnateur, le conseiller travaille dans l’ombre en donnant simplement une direction et le guide décide pour autrui. La confusion créée à propos de ce terme serait due à sa proximité avec d’autres thématiques comme le coaching ou l’aide, et c’est en différenciant les différents champs de ces appellations variées qu’il est possible de comprendre que l’accompagnement ne possède pas de synonyme et ne se réduit pas non plus à l’un de ces trois termes : – conduire, qui impose de diriger ; – guider, qui impose la route ou gère les aléas à la place d’autrui ; – escorter, qui consiste à sécuriser un autre en difficulté. 

L’étymologie 

Vial (2014, [n.p.]) rappelle que le verbe « accompagner » est parasynthétique, c’est-à-dire formé par le cumul d’un préfixe et d’un suffixe à son radical « compagn » dérivé du mot pain, qui désigne le copain, celui avec qui on partage le pain mais aussi la route du voyage. A l’idée de partage, le préfixe ac- ajoute l’idée de « tendance de direction vers un but déterminé » (Grevisse, 1975, in Vial, 2014). Deux partenaires, « ceux qui travaillent ensemble temporairement » (Vial et Mencacci, 2007, p.21), vont devenir compagnons dans une relation de parité mais avec un statut différent, où l’un, l’accompagnateur, va avec l’autre, l’accompagné. La relation est donc dissymétrique et le lien se fait en marchant, « non en partageant seulement » (Ibid.). Paul (2009c, p.95) décompose encore le terme qui renvoie à une double dimension de cheminement (ac : vers) et de relation (cum : avec) dans une idée de partage (pagnis : pain) : la définition « minimale » de l’accompagnement serait d’ « être avec et d’aller vers » sur la base d’une valeur symbolique de partage. L’idée d’appartenance est présente et la question de la redistribution des places se pose dans l’entretien d’accompagnement où s’exerce une « parole partagée » (Ibid.). Accompagner signifie donc « se joindre à quelqu’un », « pour aller où il va », « en même temps que lui » (Ibid., pp.95-96) : triple dimension, relationnelle, opérationnelle et éthique d’une relation qui s’ajuste en fonction de l’Autre. La mise en relation, condition première de l’accompagnement, va permettre la mise en chemin (Ibid., p.96). Vial et Mencacci (2007) rejoignent cette idée en affirmant que l’accompagnement est une « rencontre de l’altérité » (p.34) ; c’est la construction d’une relation qui est éducative puisque son objet de travail est le devenir de l’accompagné. 73 Au-delà de la simple rencontre de l’autre, l’accompagnant éclaire, attire l’attention ; il émet un avis pour que l’accompagné puisse, dans la période de transition dans laquelle il se situe, construire sa propre route : la relation d’accompagnement est temporaire.

Une pratique au service de l’éducation et de la formation tout au long de la vie

L’acquisition par tous les individus de compétences clés ainsi que l’éducation et la formation tout au long de la vie figurent aujourd’hui parmi les objectifs définis pour mener à bien la politique européenne d’éducation. Pour la Commission des communautés européennes (2000, p.3), l’apprentissage tout au long de la vie (« lifelong learning » 61) devient un principe directeur pour garantir à tous l’accès aux offres d’éducation et de formation dans une grande variété de contextes d’apprentissage. La diversité des temps et des lieux d’apprentissage, la variété des méthodes et des moyens d’éducation, élargissent les frontières de l’apprendre, qui ne se limite plus à l’espace de la salle de cours dirigée par un enseignant. Le Comité mondial pour l’Éducation et la Formation Tout au Long de la Vie (E.F.T.L.V.) (2008, p.10) prend en considération la personne comme « une, indivisible et globale dans sa manière de participer à la vie sociale ». Nous remarquons qu’en proposant une révolution « copernicienne » (Ibid.) dans la façon d’envisager les apprentissages, la notion d’éducation et de formation tout au long de la vie, aujourd’hui prégnante dans les politiques éducatives à niveau international, donne une place importante à l’accompagnement comme pratique éducative. Pour affronter les incertitudes du monde, faire face à la complexité des situations de la vie tout court, et de la vie scolaire ou professionnelle en particulier, l’individu fait appel aux compétences qu’il a acquises dans divers domaines et à différentes occasions, qu’il continue à approfondir dans son parcours de vie. L’éducation est un processus global, une action « de tous les instants » (Buisson, 1911, [n.p.]), exercée tant par les parents que par les maîtres sur les jeunes : Durkheim, déjà, (Ibid.) évoquait là les concepts actuels d’éducation formelle, informelle et non formelle reconnus par la Commission des communautés européennes (2001) et le Conseil de l’Union Européenne (2006) . Si la frontière peut être floue entre éducation formelle et non formelle, nous retenons que la première se réalise dans l’institution scolaire et la seconde est extrascolaire mais sert des objectifs identifiables. Quant à l’éducation informelle, elle s’effectue par simple processus d’osmose entre l’apprenant et son environnement, sans intention éducative définie. Tout n’est pas joué au sortir de l’Ecole : les destins des individus ne peuvent rester figés sur des connaissances acquises au moment de l’entrée dans la vie professionnelle, mais dépendent de la capacité de ces derniers à remettre en question leurs savoirs pour s’adapter au changement (Peugny, 2013, p.111). Curiosité, ouverture au monde, désir d’avancer, de progresser, favorisent l’acquisition de connaissances, d’habiletés, d’attitudes, dans un processus continu tout au long de la vie.

Apports théoriques de la recherche en formation d’adultes

 L’accompagnement puise ses racines dans la pratique du Compagnonnage, dont on trouve des traces depuis le Moyen-Âge dans les corporations de métiers où se transmettent des 75 savoirs, mais surtout des savoir-faire constitutifs d’une culture ouvrière. Ce dispositif d’apprentissage marquerait le début des « dispositifs de formation » (Poplimont, 2000, pp.47-56). Il comporte une forte dimension relationnelle entre sujet formé et formateur car il ne s’agit pas d’une simple transmission de la part du spécialiste : l’apprenti est « accompagné, c’est-à-dire guidé, conseillé, soutenu dans l’exercice réel du métier. Les savoirs et les savoir-faire y sont construits par l’apprenti à partir d’une pratique quotidienne au sein de relations qui s’effectuent sur le mode du guidage » (Barnier, 2001, p.32). L’accompagnement n’est donc « ni une pratique, ni une posture nouvelle » (Roquet, 2009, p.16) mais plutôt une pratique en essor depuis le développement de la formation professionnelle et de l’éducation permanente dans les années 197063. Il s’est construit comme une activité exercée par les professionnels de la formation, en s’intégrant dans leurs fonctions qui visent à la fois un processus d’apprentissage et de développement social. Dans le compagnonnage, l’action éducative consiste à favoriser le changement de l’apprenant en favorisant « sa découverte personnelle » (Poplimont, 2000, pp.47-56) durant son parcours initiatique. La formation initiale, basée sur l’apprentissage de savoirs et la construction de compétences, ne constitue plus le seul moyen d’accéder à une certification. Les compétences réellement développées par les individus, leurs aptitudes et leurs motivations dans leurs activités, sont davantage valorisées dans leur parcours de vie. Le développement de l’éducation et la formation tout au long de la vie, acté par le Mémorandum de la Commission européenne en 2000 , a profondément transformé les modalités de reconnaissance des savoirs acquis. C’est dans ce contexte que s’est développé en France le dispositif de la V.A.E. 66 , qui suppose la pratique de l’accompagnement conjuguée à la nécessité de conduire l’individu vers un référentiel normé de compétences.

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