Avenir de l’industrie pour dresser un portrait plus complet de son évolution

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Questions de recherche et méthodologie

Le but de notre recherche est donc d’aller au-delà des points de vue sensationnalistes sur l’avenir de l’industrie pour dresser un portrait plus complet de son évolution. Surtout, il nous importe de déplacer l’angle d’analyse des possibilités anticipées du numérique vers ses effets concrets sur le monde de la musique. Nous souhaitons aussi ramener le musicien au centre de l’analyse, alors que celui-ci joue souvent les seconds rôles dans les articles et ouvrages portant sur les transformations de l’industrie. En effet, si beaucoup de travaux ont insisté sur les grandes tendances de l’industrie ou encore sur les difficultés vécues par les maisons de disques et leur stratégie pour s’y adapter, trop peu d’études ont voulu interroger les artisans du monde de la musique pour comprendre comment le numérique a pu affecter leur métier. Or, il nous semble primordial de comprendre comment les nouvelles technologies peuvent changer les conditions de pratiques des musiciens ou encore si ces innovations permettent vraiment de devenir autonome ou simplement de mieux gagner sa vie de la musique.
Pour ce faire, plusieurs questions de recherche ont été retenues pour mener nos travaux. Les deux principales questions auxquelles nous tenterons de répondre sont ainsi :
– Au-delà des visions utopiques et dystopiques, quel est le bilan de l’impact des technologies numériques sur les conditions de travail des musiciens québécois?
– Est-ce que les musiciens québécois ont gagné en indépendance par la désintermédiation annoncée de la chaine d’intermédiaires?
Ces questions visent d’abord à comprendre si la situation des musiciens professionnels ou aspirants professionnels a changé au cours des vingt dernières années. Nous aborderons ainsi la question de leurs revenus à la lumière de ce qui a été dit plus tôt à propos de la chute des ventes d’enregistrements, mais aussi de la croissance des secteurs du spectacle et de l’édition. Nous pourrons alors tenter de savoir si des sources de revenus alternatives font que les musiciens peuvent compenser la baisse de vente de musique. Ces questions permettront du même coup d’explorer les conditions dans lesquelles les musiciens créent et produisent leurs enregistrements ainsi que leurs spectacles, en plus d’explorer la question de la gestion administrative de leurs projets. Elles visent également à comprendre comment les musiciens utilisent les nouveaux outils de production, distribution et promotion et quels genres d’avantages et inconvénients ils peuvent y trouver. Nous chercherons finalement à savoir si ces nouveaux outils facilitent le choix de faire carrière de façon indépendante et jusqu’à quel point ils permettent de se passer des services d’intermédiaires traditionnels.
D’un autre côté, pour aborder cette notion d’indépendance, il faut aussi s’intéresser à l’adaptation des maisons de disques pour observer comment leurs relations avec les musiciens ont évolué. Nous explorerons donc également la question suivante :
– Est-ce que les technologies numériques ont changé les conventions qui régissent les interactions entre acteurs du monde de la musique et les rôles qu’ils remplissent dans le réseau de coopération?
Nous pourrons ainsi observer, entre autres, si le contrat à 360° s’est répandu au Québec ou, plus largement, si les maisons de disques ont adapté leur modèle d’affaire et donc aussi le type de services qu’elles offrent aux artistes-interprètes. C’est en s’intéressant à la situation des maisons de disques que nous serons en mesure de mieux saisir la question de l’indépendance et du potentiel «libérateur» des outils numériques.
Finalement, nous tenterons de rattacher cette analyse de la situation des musiciens à une perspective plus générale sur la situation de l’ensemble de l’industrie de la musique. Pour ce faire, nous tenterons de situer les changements des dernières années avec d’autres évolutions de l’industrie depuis ses débuts. Nous nous demanderons ainsi :
– Est-ce que les changements qui ont cours dans l’industrie sont similaires à ceux causés par d’autres vagues d’innovations passées ou font-ils figure de véritable révolution?
Autrement dit, nous chercherons à savoir comment se compare l’évolution récente de l’industrie avec les effets qu’ont eus d’autres innovations technologiques que nous avons présentées plus tôt.

Collecte de données

Il existe peu de données publiques permettant d’analyser la situation des musiciens québécois. L’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) publie certes des statistiques sur la vente d’enregistrements34 et de billets de spectacles35 en plus de données sur le nombre d’emplois dans les industries culturelles36, mais elles sont loin d’être suffisantes pour saisir l’évolution du secteur ou la réalité des artistes. Il était donc évident que pour bien répondre à nos questions de recherche, il était nécessaire de procéder à notre propre collecte de données. L’approche qualitative a été privilégiée pour différentes raisons, à commencer par des questions de faisabilité. Les musiciens professionnels ou semi-professionnels constituent en effet un segment de population très limité, alors qu’il faut assembler un échantillon assez important pour tirer une analyse quantitative intéressante. Le recrutement d’un tel échantillon s’annonçait ainsi plutôt compliqué.
Les analyses quantitatives des professions artistiques sont d’ailleurs assez rares, à l’exception des travaux de Menger en France, et semblent difficiles à réaliser sans support institutionnel. Aux États-Unis par exemple, l’association Future of Music Coalition a mené le Artist Revenue Stream Project37 qui visait à étudier la situation financière et professionnelle de musiciens à partir, entre autres, d’un sondage en ligne. Le fait que le projet soit mené par une association établie depuis plus de quinze ans et comptant plusieurs milliers de membres a probablement facilité le recrutement. Au Québec, ce genre de projet pourrait potentiellement être réalisé par des institutions associatives ou gouvernementales comme l’ADISQ, l’UDA (ou le nouvellement formé Regroupement des artisans de la musique) ou l’OCCQ.
Dans un autre ordre d’idées, il semblait difficile de répondre à nos questions de recherche en distribuant des questionnaires à choix de réponse ou à réponses courtes qui laissent peu de place pour expliquer comment est vécue l’expérience de musicien. Pour bien saisir comment les participants utilisent les outils numériques et comment ils vivent leurs relations avec des intermédiaires, il nous paraissait plus judicieux de les rencontrer en personne pour leur donner la chance de raconter leur expérience et de décortiquer l’organisation de leur carrière. Nous avons donc choisi de mener une série d’entretiens semi-dirigés avec des musiciens afin de passer en revue leur carrière, leur situation financière, et leur façon de gérer les aspects administratifs ainsi que leurs relations avec des intermédiaires.
Les entretiens ont été menés à l’aide d’un questionnaire (Annexe 1) comportant trois sections qui visaient à couvrir : 1) la situation professionnelle et financière des répondants; 2) l’organisation de leur projet et les relations avec des intermédiaires; et 3) leur point de vue sur leur situation de musicien et l’état actuel de l’industrie. La première section visait surtout à établir précisément le profil des répondants en abordant notamment leur revenu, mais aussi la composition de celui-ci, c’est-à-dire la proportion que les répondants tirent de leurs différents projets artistiques ou d’autres occupations. Dans un même ordre d’idées, ils étaient questionnés sur le temps consacré au projet musical, mais aussi à la division de celui-ci entre travail artistique et tâches non artistiques. L’idée était donc de cerner la situation des répondants et identifier les différents rôles qu’ils peuvent jouer dans le monde de l’industrie de la musique. La deuxième section, beaucoup plus longue que les deux autres, visait à explorer l’organisation des différents projets des répondants en abordant notamment la prise en charge des tâches non artistiques et les relations contractuelles avec des intermédiaires. Les questions visaient aussi à comprendre dans quelles conditions les musiciens produisent leurs enregistrements et organisent leurs spectacles et quels genres de revenus ils en tirent (en plus d’aborder les autres sources de revenus comme les droits d’auteur et la vente de produits dérivés). Dans le cas de projets indépendants ou autoproduits, cette section permettait de comprendre comment ce genre d’artiste ou de groupe arrive à se débrouiller et quels avantages ou difficultés ils trouvent dans les outils numériques. Dans le cas d’artistes faisant affaire avec une maison de disques, ces questions permettaient d’aborder les services fournis par les producteurs et les contrats qui les lient. La dernière section offrait finalement l’opportunité aux participants de tirer un bilan de leur expérience du monde de la musique et de son évolution. Ils étaient encore invités à parler de leur vécu, mais aussi à élargir leur perspective pour exprimer un point de vue plus général sur la situation de musicien au Québec dans les années 2010. En conclusion, ils étaient invités à aborder leurs inquiétudes et aspirations par rapport à l’avenir de l’industrie et de leur profession.
Le guide d’entrevue a été assemblé avec l’idée de fournir une banque de questions sur différentes thématiques sans qu’il soit nécessaire de toutes les poser. Il s’agissait plutôt de permettre une discussion avec les répondants les amenant à décortiquer leur situation et l’organisation de leur carrière en leur demandant à l’occasion de préciser certains détails. Il n’était donc pas nécessaire de poser systématiquement toutes les questions puisque plusieurs d’entre elles étaient abordées directement par les participants. Le questionnaire a aussi été organisé de façon à pouvoir explorer différentes pistes d’analyses tout en sachant que certaines d’entre elles pouvaient s’avérer moins fécondes. Ainsi, au fil des entrevues, certaines questions ont été abandonnées pour se concentrer sur celles qui suscitaient le plus de réponses intéressantes et qui permettaient le mieux de comprendre les impacts des outils numériques.
Mentionnons finalement que bien que ces entrevues nous aient fourni amplement de matériel pour dégager une analyse pertinente de la situation, nous avons fait appel à d’autres sources pour compléter le portrait. Les chiffres de l’OCCQ sur la vente d’enregistrements et la fréquentation de spectacles pourront ainsi faire écho aux propos de nos répondants à quelques reprises. Des analyses issues de la littérature scientifique sur des questions similaires nous permettront également à quelques occasions d’appuyer nos conclusions tirées à partir des commentaires de nos répondants. Nous nous référerons finalement à certaines données relayées par les médias ainsi que d’autres éléments d’actualité concernant l’évolution de l’industrie qui nous permettront de faire des liens entre nos entrevues et les développements récents concernant l’organisation de la chaine de valeur du monde de la musique.

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