Comment contribuer à l’amélioration du parcours de réinsertion des jeunes adultes incarcérés ?

Le concept d’adolescence est aujourd’hui défini par la période de 12 à 18 ans. Mais après la majorité fixée à 18 ans, sommes-nous pour autant des adultes ? Hochberg & Konner (2020) mettent en évidence qu’au sein de la littérature scientifique, de plus en plus d’études suggèrent que ce n’est pas le cas. Même si, à 18 ans, les individus atteignent leur taille adulte, ils ne peuvent toutefois pas être considérés comme tels du point de vue de leur maturité sociale, intellectuelle, émotionnelle ou encore comportementale. Le concept de “young adulthood” va alors apparaître afin de désigner cette période de transition et de développement entre l’adolescence et l’âge adulte. Selon Arnett (2000), ce terme de “young adulthood” n’est pas adéquat car il désigne les personnes abordant la trentaine et il ne permet pas de mettre en avant le côté changeant de cette période. Il propose donc une nouvelle conception du développement sous le terme d’“emerging adulthood” afin de désigner cette période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte, qui s’étend des 18 ans au 25 ans d’un individu. C’est cette conception que nous utiliserons pour parler de cette période.

En Belgique, l’âge de 18 ans est un âge pivot aussi bien légalement qu’administrativement. La plupart des services d’aides spécifiques au public jeune arrêtent leur prise en charge une fois ce cap atteint. En 2018, le code de la prévention, de l’aide et de la protection de la jeunesse a été mis en place et se veut plus adapté “aux besoins et aux évolutions de la société et de sa jeunesse, plus que jamais en dif iculté pour réussir sa transition vers la vie d’adulte” . Pour cela, le code a opéré des changements législatifs tels que l’accompagnement des jeunes en difficulté jusqu’à l’âge de 22 ans par les services AMO afin de les aider dans leur transition vers l’autonomie. Dans la pratique, ces services accompagnaient déjà des jeunes majeurs, notamment dans le cadre de projets soutenus par le Fonds social européen s’adressant au NEET , jeunes de 18 à 25 ans qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni en formation. D’un point de vue juridique, lorsque les jeunes atteignent l’âge de 18 ans, ils sont traités comme des adultes. Ils passent du système pour mineurs doté d’une politique réparatrice et protectionnelle, où la vision de l’enfermement est centrée sur la réhabilitation et le soin, au système pénal pour adultes avec une politique répressive et punitive reposant sur une vision de l’enfermement basée sur le contrôle et la dissuasion. L’âge est un facteur clé pour déterminer le type de réponse judiciaire à apporter à un comportement délinquant mais ce point de coupure net entre l’adolescence et l’âge adulte est arbitraire et inapproprié (Prior & al., 2011). Selon le rapport de The John Howard Association of Illinois (JHA)(2014) les lois qui fixent cette scission “ posent problème parce qu’elles ne sont pas fondées sur les connaissances scientifiques et ne reflètent pas la réalité du développement de la maturation cognitive et neurologique de l’adolescence à l’âge adulte qui se produit le long d’un continuum jusqu’à l’âge de 25 ans environ”. L’alliance Transition to Adulthood (T2A), dans ses divers travaux, prône la reconnaissance des besoins spécifiques des jeunes adultes émergents au sein du système judiciaire, y compris dans la détermination de la peine. Les Pays-Bas ont d’ailleurs mis en place un système où la détermination de la peine est flexible pour les auteurs âgés de 16 à 23 ans ; le procureur peut demander l’application de la loi pénale des mineurs ou des adultes, même si en pratique, cela est peu appliqué et fait figure de mesure exceptionnelle (Schmidt & al., 2020).

❖ Âge et délinquance
En criminologie, le lien entre l’âge et la délinquance a régulièrement été questionné. Dans la littérature, il est reconnu que la prévalence des comportements délinquants augmente à l’adolescence, culmine aux alentours de 17 ans et diminue progressivement à partir de l’entrée dans l’âge adulte jusqu’à la fin de la vingtaine. La relation entre la délinquance et l’âge peut être schématisée sous forme de cloche asymétrique, qui correspond à la courbe âge-criminalité (Hirschi et Gottfredson, 1983; Farrington, 1986; Loeber & Farrington, 2014; Piquero, 2008; Sampson & laub, 2003).

D’après la théorie générale du crime de Gottfredson & Hirschi (1983;1990), la propension au crime diminue en parallèle avec le “vieillissement inexorable de l’organisme.” La courbe âge-criminalité est vue comme invariante : l’âge a un effet constant, direct et inexplicable sur la délinquance, invariablement d’autres facteurs. La principale explication des variations individuelles au niveau du crime est l’acquisition d’une plus grande maîtrise de soi, qui est vue comme un trait relativement stable après l’enfance. Pour Moffitt (1993;2006), l’implication dans la délinquance varie en fonction de l’âge. Dans sa théorie développementale, il définit deux trajectoires de délinquance. La délinquance persistant tout au long de la vie est caractérisée par sa précocité et sa stabilité, elle correspond à tous les actes criminels, dont des actes violents et elle s’explique par des déficits au niveau du développement neuropsychologique et des problèmes familiaux et environnementaux. La délinquance limitée à l’adolescence est, quant à elle, transitoire et s’arrête à l’entrée dans l’âge adulte, elle correspond à des actes non violents et s’explique par le “maturity gap”, le décalage entre la maturité sociale et physique d‘un individu. Biologiquement matures mais n’ayant pas accès pour autant au statut d’adulte, les jeunes vont adopter des comportements d’adultes qui s’avèrent antisociaux afin de contrer cet écart de maturité. Une fois que les personnes acquièrent un statut d’adulte, la délinquance cesse.

Moffitt & al. (2002) ont repris les données de l’étude longitudinale de Dunedin afin de suivre les jeunes de l’échantillon, alors âgés de 26 ans. Ils ont constaté que ceux dont la délinquance était limitée à l’adolescence étaient toujours confrontés à des problèmes notamment de consommation de substances et d’infraction contre les biens alors qu’ils étaient censés avoir déjà opéré la transition vers l’âge adulte. Moffitt & al. (2002) émettent l’hypothèse que cela est dû à l’apparition d’un nouveau stade de développement, « l’âge adulte émergent » (Arnett, 2000) : l’entrée dans l’âge adulte est retardée et cela allonge le temps passé dans “l’écart de maturité” (Moffitt, 1993). Salvatore & al. (2012), en lien avec la phase de développement de “l’âge adulte émergent” (Arnett, 2000), vont introduire une nouvelle trajectoire : les jeunes dont la délinquance est prolongée à l’adolescence. Il s’agit de personnes âgées de 18 à 25 ans dont la délinquance est limitée, qui continuent à commettre des faits mineurs car ils n’ont pas pu effectuer la transition vers l’âge adulte et restent coincés dans l’écart de maturité défini par Moffitt (1993).

D’après Arnett (2000;2006;2007), dans nos sociétés industrialisées, les changements de vie majeurs tels que les mariages à un âge plus avancé, l’allongement des études, une parentalité plus tardive induisent un temps de transition plus long et permettent de créer une période bien distincte dans le parcours de vie entre l’adolescence et l’âge adulte : l’âge adulte émergent, qui se situe entre 18 et 25 ans. Cette période, qualifiée d’instable, permet à l’adulte émergent d’explorer, de tester, d’expérimenter diverses directions de vie possibles avant de devenir un adulte responsable et autonome et de s’engager dans des choix de vie stables. Lors de cette période d’exploration identitaire, l’individu expérimente notamment diverses possibilités au niveau de l’emploi, des relations amoureuses et de sa vision du monde. Cette période se caractérise donc par son hétérogénéité et sa non-normativité. Cependant, certains jeunes peuvent se sentir perdus et ainsi éprouver des difficultés à passer cette période de transition. Côté & Bynner (2008) rejoignent Arnett sur cette idée d’érosion des marqueurs sociaux de la vie d’adulte qui, selon eux, induit une diminution des normes sociales et une certaine anomie sociale. Ils appuient sur le fait qu’il n’est pas aisé pour les jeunes adultes d’effectuer cette transition sans normes pour repères, surtout pour les jeunes marginalisés. Cette période de transition relève donc selon eux davantage d’un moment d’adaptation que d’exploration.

Afin d’expliquer la criminalité à l’âge adulte émergent, Salvatore (2017) va théoriser le terme “emerging adulthood gap”, en se basant sur le “maturity gap” de Moffitt (1993). Les jeunes adultes adoptent des comportements délinquants car ils n’ont pas pu complètement assumer la transition vers les rôles sociaux d’adultes et se retrouvent alors coincés dans l’âge adulte émergent. De plus, lors de cette période d’exploration identitaire, les jeunes jouissent d’une certaine indépendance et d’une certaine liberté dans leur recherche de sensations et de nouvelles expériences. Ils ne sont plus soumis au contrôle social informel de leur adolescence mais ils ne bénéficient pas encore du contrôle social informel induit par une relation intime significative, un emploi significatif ou par les autres responsabilités normatives de l’âge adulte (Arnett, 2000; Salvatore, 2017; Salvatore & al., 2012). Ce qui, selon Salvatore (2017), offre aux jeunes adultes émergents la possibilité de s’adonner à des comportements à risque en termes de sexualité et de consommation entre autres, voire à des comportements antisociaux et à de la délinquance. Toutefois, Salvatore (2017;2018) met en évidence que la délinquance commise reflète celles des jeunes dont la délinquance est limitée à l’adolescence, ce sont des faits de faible gravité et non violents contrairement à la trajectoire de délinquance persistante au cours de la vie (Moffitt, 1993).

❖ Désistement et maturité
Nous avons pu constater que la pente descendante de la courbe âge-criminalité correspond à l’atténuation d’un comportement criminel lors de la transition vers l’âge adulte. Ce déclin graduel de la délinquance menant à la cessation du crime est appelé désistance (Laub & Sampson, 2001). Vu que la désistance apparaît liée à l’âge et diminue au fur et à mesure que grandit la personne, la maturation se révèle une piste d’explication intéressante. Rocque (2015), à partir des travaux des Glueck, soutient que la maturation permet d’expliquer la désistance. Il va tenter de la définir de manière multidisciplinaire en y intégrant différentes théories qu’il classe en 3 catégories : sociologique, psychologique et biologique. Il aboutit à sa théorie intégrée, où il soutient que la maturation est composée de 5 domaines interdépendants : rôle social, identitaire, civique, psychosocial et cognitif, dont les effets sur la désistance s’additionnent ( McCuish & al., 2020). Selon Rocque & al. (2015) chaque domaine est fortement et négativement lié à la criminalité au cours de la vie.

Table des matières

Introduction
Corpus théorique
Âge et délinquance
Désistement et maturité
Théories sociologiques
Théories psychologiques
Théories biologiques
Impact de la détention
Objectif de recherche
Méthodologie
Stratégie d’échantillonnage
Mesures
Récolte de données
Stratégie d’analyse
Résultats
Maturité
Identité
Citoyenneté
Adulte
Psycho-sociale
Perspective
Gouvernance
Tempérance
Réinsertion
Intramuros
Occupations
Modalités d’exécution de la peine
Service d’Aide aux Détenus et Service Psycho Social
Contacts en prison
Extra-muros
Emploi / formation
Logement
Jeune en prison
Discussion
Retour sur les résultats
Impact positif
Impact négatif
Prise en charge
Implications
Forces et limites
Conclusion

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