Communautés Atlantiques

“L’Atlantique Sud dans l’agenda extérieur de l’UE : le cas des relations avec le Brésil.”

L’existence de multiples liens d’ordre politique, sécuritaire, commercial, économique, financier ou culturel qui concourent à l’interconnexion des deux rives de l’Atlantique est communément associée aux rapports Nord/Nord qu’entretiennent les États-Unis et l’Europe. Toutefois, l’aire atlantique représente également un espace d’action pour les autres acteurs qui le bordent, comme en témoignent le rapprochement Sud/Sud entre l’Afrique et l’Amérique latine, et plus particulièrement les rapports afro-brésiliens . L’espace atlantique est également le théâtre d’une prolifération et d’une consolidation des rapports entre ses façades nord et sud comme l’illustrent les nombreuses interactions qui se développent entre les continents européen et latino-américain. Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire permet de constater que le déploiement de ces relations transatlantiques est récent. En effet, avec le déclin des puissances européennes – suite aux deux Guerres mondiales et à la Grande dépression –, la montée en puissance des États-Unis et l’émergence dans l’après-guerre d’un monde bipolaire, marqué par une rivalité entre les deux superpuissances nucléaires américaine et soviétique pour la domination et la structuration de l’espace [34] international à partir de leur bloc et de leurs projets politico-idéologiques respectifs, l’Europe et l’Amérique latine se sont éloignées l’une de l’autre durant des décennies.
Toutefois, la fin de la Guerre froide permet un rapprochement entre les deux rives de l’Atlantique qui se fait, notamment, à travers l’action extérieure de l’Europe communautaire. Cette dernière, qui se dote de nouveaux rôles sur la scène internationale, n’entend plus laisser l’Amérique latine à la seule discrétion de Washington. L’Union européenne (UE) conçoit alors une stratégie visant à développer des relations multidimensionnelles avec le continent latino-américain et à sceller des accords de partenariat tant avec des pays qu’avec des groupements régionaux, contribuant ainsi à l’édification de nouveaux cadres d’association transatlantique.
La présente contribution a fait le choix de se pencher sur les rapports euro-latino-américains et, plus particulièrement, sur la place que le Brésil occupe dans l’agenda extérieur de l’UE. Comment cette relation s’articule-t-elle avec les rapports que l’Union entretient avec l’Amérique latine et plus particulièrement avec le MERCOSUR ? Quels sont les intérêts économiques et géopolitiques en jeu pour l’UE ? La relation avec le Brésil est présentée par l’UE comme « stratégique ». Qu’est-ce que cela signifie ? Est-elle aussi stratégique pour le Brésil ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses.

Le retour de l’Europe dans l’Atlantique Sud :facteurs endogènes et exogènes

Depuis la fin de la Guerre froide, l’UE s’est engagée dans l’élaboration d’une stratégie globale pour l’Atlantique Sud. Celle-ci repose aujourd’hui sur un cadre, des lignes directrices et des objectifs précis mais adaptables en fonction des circonstances et de l’évolution des contextes politico-économiques locaux, interrégionaux et mondiaux. Elle repose aussi sur une ligne budgétaire, sur des rencontres au plus haut [35] niveau politique, au niveau ministériel et de hauts fonctionnaires des deux rives de l’Atlantique, ainsi que sur une procédure de suivi.
C’est la conjonction de plusieurs éléments d’ordre tant exogène qu’endogène qui a contribué au développement des relations euro-latino-américains . En ce qui concerne les facteurs systémiques, il ne va pas sans dire que la disparition de la confrontation bipolaire, l’accélération de l’interdépendance et la concurrence mondiale ont fortement joué en faveur de ce rapprochement. D’autant plus que ces mutations ont été concomitantes à la diffusion du libéralisme économique et politique sur le continent latino-américain et à la relance des projets d’intégration régionale, tant dans les Amériques qu’ailleurs dans le monde. Du reste, le projet américain visant à instituer une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) à partir de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui lie le Canada, les États-Unis et le Mexique depuis 1994, constituera un important incitatif aux yeux des autorités européennes et latino-américaines pour construire leur cadre d’association transatlantique. Mais cette initiative de rapprochement avec le continent latino-américain doit également être resituée dans le cadre du dessein de l’UE de s’ériger en tant qu’acteur international. En effet, cette dernière, avec le concours de ses États membres, a saisi l’opportunité historique, depuis l’effondrement du système bipolaire, non seulement d’étendre l’espace régional européen à d’autres pays, mais aussi d’approfondir le projet d’intégration tout en lui attribuant de nouveaux rôles sur la scène mondiale. En multipliant les attributs de sa puissance et en élargissant l’éventail de ses politiques extérieures, l’action de l’UE aspire à couvrir les enjeux les plus importants de la politique internationale contemporaine. Elle compte exercer une influence extérieure à travers la mobilisation de moyens civils dans des secteurs aussi variés que la politique commerciale, l’aide humanitaire, la coopération au développement et la lutte contre la pauvreté, l’environnement et le développement durable, la promotion des Droits de l’Homme et de la [36] démocratie ou la gestion civile et militaire des crises internationales. L’UE aspire également à exercer une influence par l’intermédiaire de réseaux relationnels qu’elle tisse avec les institutions multilatérales, les grandes puissances et le monde en développement. Elle n’hésite d’ailleurs pas à se rapprocher de pays ou de groupements régionaux considérés par certaines puissances mondiales comme leur arrière-cour respective, ni à institutionnaliser des relations avec ceux-ci. En tout état de cause, c’est ce qui ressort de la stratégie de rapprochement que l’UE a progressivement mis en place avec l’Atlantique Sud laissé durant la majeure partie du XXe siècle à la domination quasi discrétionnaire des États-Unis.
Pour les pays d’Amérique latine, la structuration d’une stratégie communautaire à l’égard de leur sous-continent est accueillie avec enthousiasme. Ils voient dans l’initiative de l’UE l’émergence d’un nouvel acteur international potentiellement capable de contribuer à rééquilibrer leurs relations avec les États-Unis. Ce raisonnement stratégique est une constante en Amérique latine où les pays ont toujours cherché des contrepoids extérieurs afin de contrebalancer la puissance dominante du moment . Entre le XIXe siècle et le début du XXe, nombreux furent les États latino-américains qui entretenaient des relations avec, d’une part, une puissance européenne (par exemple, le Royaume Uni) et, d’autre part, avec les États-Unis, dans l’objectif de mieux contrebalancer leurs rapports extérieurs. À partir de l’après-guerre, la situation change. Dorénavant, c’est un contrepoids extérieur à la domination américaine que cherchent les pays d’Amérique latine, et ce contrepoids peut leur être offert par la puissance soviétique. Avec la fin du système bipolaire, c’est l’Europe communautaire qui apparaît, aux yeux de l’Amérique latine, non pas comme une alternative, mais comme un balancier dans la nouvelle relation qui commence à s’installer avec les États-Unis.

Les éléments structurant la relation : une charpente globale pour des relations
bilatérales et interrégionales

C’est la Commission Delors II qui, en 1989, prend l’initiative d’élaborer une stratégie devant servir de cadre régulateur pour les relations entre l’UE et l’Amérique latine. Cette stratégie repose sur deux communications émises en 1994 et en 1995 par le commissaire européen aux Affaires extérieures, Manuel Marin, et ratifiées par le Conseil de l’UE. Ce faisant, l’Europe communautaire établit pour la première fois un cadre stratégique global pour ses relations avec le continent latino-américain.
Ce dessein vise à structurer la relation à partir d’une série commune de principes et de valeurs se rapportant au respect de la démocratie, de l’État de droit et des Droits de l’Homme. Dorénavant, tout accord négocié avec un pays ou un groupement latino-américain inclura une « clause démocratique ». Les relations sont dorénavant conditionnelles au respect de cette clause. Les relations reposent également sur un spectre d’intérêts communs ayant trait au libéralisme économique, au multilatéralisme international ou au régionalisme tourné vers la globalisation. Il s’agit pour l’Europe communautaire d’apporter son savoir-faire en matière d’intégration régionale afin, tout d’abord, de consolider les groupements régionaux émergents en Amérique latine, ensuite de leur éviter d’être absorbés par le projet d’intégration des Amériques promu par les États-Unis jusqu’en 2005, et, enfin, d’exporter son modèle d’intégration régionale dans l’objectif d’accroître la visibilité et la légitimité de l’UE en tant qu’acteur politique de la scène mondiale .La politique européenne à l’égard de l’Atlantique Sud s’articule autour de trois dimensions stratégiques : les relations économiques et financières, une coopération dans les domaines de l’éducation, de la science, de la technologie et dans les domaines culturel, humain et social, et un dialogue politique dont l’objectif est, notamment, de donner la possibilité aux [38] partenaires de faire valoir, dans les instances multilatérales, les points de vue sur lesquels il existe une convergence de vue et d’intérêts. Toutefois, étant donné que l’Amérique latine ne constitue pas une identité homogène et unitaire pouvant agir en bloc sur la scène mondiale, les parties des deux continents se sont attelées à développer une stratégie sur la base d’approches différenciées, articulées en fonction des réalités nationales et régionales. Pour mieux encadrer ces relations, l’UE a cherché à négocier des accords d’association, soit avec des pays, soit avec des groupements régionaux de l’Atlantique Sud, reposant sur trois piliers : dialogue politique, coopération au développement et relations économiques. Ce dernier pilier a pour ambition d’établir une libéralisation commerciale progressive, réciproque et conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Autrement dit, il vise à instaurer des zones de libre-échange avec les pays ou régions de l’Atlantique Sud. Jusqu’à présent, l’UE a conclu des accords d’association avec le Mexique (1999), le Chili (2002), la Colombie (2010), le Pérou (2010) et l’Amérique centrale (2010). Par ailleurs, elle négocie depuis 1999 un accord avec le Marché commun du Sud (MERCOSUR).

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