Conséquences de la pollution des eaux de ruissellement

Influence des épandages de fumier sur la biodiversité du sol

L’application sur les terres de grandes quantités de fumures issues des productions animales concentrées, sans provoquer de pollution environnementale, est un défi majeur pour l’agriculture du 21ème siècle. L’effet des matières organiques d’origine animale épandues sur les terres sur les concentrations en nutriments est bien documenté, mais leur impact sur les populations microbiennes du sol est moins bien compris. Nous tenterons d’éclaircir dans cette partie les effets des épandages de fumier de volaille sur la biodiversité du sol.

Bactéries

Jangid et al. (2008) ont comparé l’influence de l’épandage de fumier de volaille et d’engrais inorganique sur les communautés microbiennes du sol dans trois systèmes de gestion agricole (terre céréalière à labour conventionnel, prairies fourragères, prairies pâturées) à celles d’une forêt âgée d’environ 150 ans, près de Watkinsville, en Géorgie. Sur les sols agricoles, l’effet sur les communautés bactériennes, à savoir une altération de leur biodiversité, consécutif à l’apport d’engrais était plus important que les conséquences dues à l’érosion de la terre ou aux saisons. L’impact sur les populations bactériennes était plus marqué sur les terres céréalières que sur les pâtures. Les facteurs ayant le plus d’influence sur ces modifications de flore étaient les suivants : le pH du sol, les concentrations en carbone et azote minéralisables, et la quantité de nutriments extractibles. Il existait une relation complexe entre la diversité des communautés bactériennes et l’intensité de l’utilisation de ces agro-écosystèmes. Les pâtures avaient la plus grande diversité bactérienne et pouvaient être caractérisées comme subissant un degré d’intervention intermédiaire comparé à celui, faible, de la forêt et a contrario à celui très intense auquel sont soumises les terres céréalières. La diversité bactérienne, plus faible dans les sols amendés avec des engrais inorganiques, reflétait une diminution de l’homogénéité de la population bactérienne. En effet, de petites unités taxonomiques opérationnelles (Operational Taxonomical Units, OTUs) devenaient de plus en plus abondantes. Ces OTUs étaient spécifiques des modalités d’utilisation des terres ou de l’engrais employé, et affiliées aux Acidobacteria et -Proteobacteria, suggérant une adaptation physiologique possible et une sélection écologique de ces groupes de bactéries du fait de l’altération des caractéristiques du sol. La microdiversité des abondantes OTUs, à la fois dans la forêt et les terres céréalières, était réelle : le nombre d’espèces bactériennes similaires phénotypiquement et leur comptage bactérien augmentait pour chaque OTU.
En conclusion, les communautés microbiennes du sol étaient significativement altérées par les systèmes de gestion agricole utilisés sur le long terme et très consommateurs d’intrants de type engrais. Ces résultats fournissent une base pour promouvoir les systèmes agricoles conservatoires.

Population fongique

Pratt et Tewolde (2009) ont essayé d’évaluer les effets de l’application industrielle de fumier de volaille, comme engrais, sur les populations fongiques et les composants du sol, dans les fermes de cotonnières du Mississippi. Il s’agissait de déterminer les relations entre les populations fongiques, les constituants nutritifs du sol, la croissance et le rendement du coton, sur une période d’évaluation de 5 ans. Dans chacune des deux fermes de l’expérimentation, les niveaux de populations fongiques ont été estimés par dilutions étagées à partir d’échantillons de sol collectés lors de deux périodes de prélèvements pendant deux ans, dans des parcelles soumises à quatre traitements fertilisants répétés : pas d’engrais, engrais minéral conventionnel, fumier de volaille appliqué à faible taux (6,7 t/ha), fumier de volaille épandu à fort taux (13,5 t/ha). La saison, l’année ou le type de traitement de fertilisation avaient un effet significatif sur l’importance des populations fongiques dans les deux fermes. La biomasse fongique était souvent plus élevée dans les sols amendés avec le fumier de volaille (et ce pour les deux niveaux d’application) ou avec l’engrais conventionnel, que dans les lots témoins non traités. Dans une exploitation où le fumier était enfoui, les niveaux de population augmentaient significativement au cours de l’expérience avec les traitements de fumier de volaille et d’engrais conventionnel, mais pas pour le lot témoin. De telles variations n’ont pas été observées dans la seconde ferme où le fumier de volaille était appliqué sans labour. Les numérations de Fusarium semitectum et Penicillium purpurogenum étaient significativement plus élevées dans les sols traités avec le fumier de volaille que chez les témoins sans engrais dans une ou deux des quatre périodes d’échantillonnage dans les deux fermes. L’importance quantitative des populations fongiques étaient corrélée significativement avec les concentrations en azote des sols d’une part et avec l’indice d’aire des feuilles, le taux de chlorophylle, ou le rendement du coton d’autre part. Les conclusions majeures à l’issue de cette étude sont :
qu’aucun effet délétère sur les niveaux de population totale ou de moisissures sélectionnées dans le sol n’a été observé avec l’utilisation de fumier de volaille comme engrais pour la production industrielle de coton ;
que les niveaux de population fongique pourraient augmenter à long terme en association avec une plus grande fertilité et une meilleure croissance des plantes induites à la fois par les engrais minéraux et les applications de fumier de volaille.
En conclusion, le fumier de volaille, tout comme les amendements d’engrais inorganique, perturbent la microflore bactérienne propre au sol des prairies. Ils favorisent la prolifération des OTUs. Ils augmentent également la population fongique du sol, ce qui contribuerait à une amélioration de la qualité du sol.

Conséquences de l’épandage sur la dissémination ou le contrôle des agents pathogènes

Bactéries

Entérobactéries et autres bactéries pathogènes

Plusieurs types d’expériences sont possibles pour mettre en évidence le rôle de l’épandage de fumier sur la dissémination des bactéries pathogènes. Les expérimentations en laboratoire permettent de simuler des conditions météorologiques variables et d’étudier si l’épandage joue un rôle significatif ou non dans la dissémination de ces microorganismes, et quels facteurs l’influencent. Les résultats obtenus sont alors vérifiés lors d’essais sur le terrain.
Jenkins et al. (2008) ont quantifié le transport des bactéries fécales, et des résidus d’antibiotiques depuis un sol sableux Cecil depuis 1991 (protocole expérimental : Sud-Est des Etats-Unis d’Amérique). Les engrais étaient épandus sur la base des besoins en azote des cultures de maïs. Une pluie artificielle était appliquée pendant 60 minutes sur des parcelles de terrain de 2 x 3 m à un taux constant en 2004 et variable en 2005. Le ruissellement était continuellement mesuré et des sous-échantillons étaient prélevés pour déterminer les concentrations en bactéries fécales et résidus d’antibiotiques. Ni Salmonella ni Campylobacter, ni aucun résidu d’antimicrobiens n’ont été détectés dans le fumier , le sol, ou le ruissellement. Des différences de concentrations des bactéries fécales du sol avant et après les pluies artificielles étaient observées seulement pour Escherichia coli dans l’expérience avec intensité de pluie constante. Les quantités totales d’E. coli et d’entérocoques fécaux étaient plus grandes pour tous les traitements de labour recevant le fumier de volaille pour l’intensité de pluie variable. Les taux d’application de fumier de volaille utilisés pour les cultures de maïs semblaient augmenter les concentrations d’E. coli dans le sol.
En conclusion, l’épandage de fumier semble augmenter la concentration en E. coli et en entérocoques fécaux dans l’eau de ruissellement lors des épisodes de pluie artificielle.
Jenkins et al. (2006) ont déterminé si les applications de fumier de volaille sur des petites lignes de partage des eaux pouvaient contribuer à augmenter le nombre de bactéries fécales dans le sol. Les auteurs ont donc étudié la circulation de ces germes, depuis la surface d’épandage dans quatre petites lignes de partage des eaux cultivées. Le fumier de volaille était appliqué pour combler les besoins du millet perle en 2000 et ceux du sorgho en 2001. Ni Salmonella ni Campylobacter n’étaient présentes dans le fumier, contrairement aux bactéries fécales indicatrices, coliformes totaux, Escherichia coli et entérocoques fécaux dont les concentrations dans le fumier épandu étaient de 12,2, 11,9 et 12,7 log10 cellules/ha, respectivement. Le ruissellement a eu lieu la première fois sept mois après la première application de fumier en 2000 et trois semaines après la deuxième application en 2001. Lors du premier ruissellement de 2001 (3 semaines après épandage), les concentrations en coliformes totaux, E. coli, et les entérocoques fécaux dans l’eau de ruissellement étaient supérieures aux concentrations de base qui étaient en moyenne de 5,2, 2,9 et 1,1 log 10 MPN/100 mL, respectivement. La concentration moyenne de coliformes, entérocoques fécaux et E. coli à la surface du sol était de 8,2, 7,9 et 3,5 log10 cellules/kg de sol.
Les concentrations élevées en bactéries fécales observées après le 25 juillet 2001 indiquent que le fumier de volaille peut avoir un impact sur la concentration bactérienne du ruissellement lorsque celui-ci a lieu quelques jours après l’épandage de fumier.
En conclusion, l’épandage de fumier se traduit par une plus grande concentration en bactéries fécales pathogènes dans l’eau de ruissellement, plus particulièrement si un épisode pluvieux survient dans un laps de temps court après l’épandage.

Antibiorésistance et résidus médicamenteux

Comme nous l’avons vu précédemment, l’épandage de fumier de volaille contribue à la dissémination de bactéries fécales dans les eaux de ruissellement. Or, parmi ces microorganismes se trouvent des bactéries antibiorésistantes (voir I. C. 1. a) (3)). L’ épandage sur les cultures peut en conséquence participer à la contamination des eaux de surface par celles-ci. C’est le cas dans l’étude de Futurla et al. (2010), où les résidus d’antibiotiques vétérinaires et les Escherichia coli antibiorésistants ont été étudiés, pour des poulets de chair recevant une ration médicamenteuse (élevages intensifs) ou non. Cette étude a permis de confirmer la présence de résidus médicamenteux dans le fumier de volailles à ration médicamenteuse (de 0,77 à 66 mg/L, suivant les molécules) en quantité significativement supérieure au fumier de volailles du lot témoin. Tous les isolats d’E. coli des élevages intensifs étaient multirésistants pour au minimum 7 antibiotiques. La résistance aux -lactamines (amoxicilline, ceftiofur), tétracyclines et sulfamides étaient les plus répandues. Le fumier de poulet de chair représente donc un réservoir potentiel de résidus médicamenteux et d’E. coli multirésistants.

Champignons et nématodes pathogènes pour les végétaux

Le contrôle biologique d’une large gamme d’agents pathogènes des plantes cultivées par les amendements de fumier de volaille a été observé, mais les résultats sont parfois contradictoires. Le fumier de volaille diminuait fortement l’incidence de la pourriture des racines de coton causée par Phytophthora cinnamomi et celle de la pourriture du pédoncule de maïs due au Fusarium, mais limitait faiblement la verticilliose du coton sur le terrain et augmentait la pourriture du pédoncule de maïs causée par Macrophomina phaseolina. Cependant, l’enfouissement du fumier dans le sol réduisait de façon importante la survie de la sclérote à M. phaseolina et empêchait la fonte des semences de légumes causée par Pythium et Rhizoctonia. En revanche, l’enfouissement du fumier augmente l’incidence des maladies dues à Rhizoctonia solani et Sclerotinia spp. des arachides et du canola, respectivement (Pratt et Tewolde, 2009).
Les effets des applications continues de fumier de volaille sur les maladies des racines (causées par Rhizoctonia solani, Phytium spp., et Fusarium solani) et les nématodes sous différentes modalités de labour ont également été testés par Sumner et al. sur les cultures maraîchères de Géorgie (2002). Contrairement aux pratiques aratoires anti-érosives, l’apport de fumier n’avait pas d’influence sur la ramure et la pourriture à l’attache des racines du maïs (induites par une souche de R. solani). Le fumier de volaille composté augmentait les populations de champignons saprophytes dans le sol par rapport au traitement sans fumier.
Les nématodes parasites des plantes portent un stylet creux protrusible qui leur permet de transpercer les tissus végétaux. Parmi eux, on trouve Meloidogyne ingognita (responsable de la gale des racines), Paratrichodorus christiei et Helicotylenchus dihystera. La densité des populations de nématodes porteurs de stylet était faible dans le sol quel que soit le traitement (type de labour et amendement) appliqué sur les parcelles. Mais après trois ans de maïs sucré, celle de M. ingognita augmentait avec le labour conventionnel par rapport aux pratiques aratoires anti-érosives, les populations de P. christiei étaient réduites et celles de H. dihystera étaient réduites par l’apport de fumier de volaille.
En conclusion, les épandages de fumier ne semblent pas avoir d’effet majeur sur les populations fongiques responsables des maladies des racines. Un impact est observé sur les nématodes pathogènes : le fumier réduit la population de P. christiei et de H. dihystera

Conséquences de l’épandage de fumier sur un écosystème fragile : l’exemple des Galapagos

La production de volailles est une activité économique importante dans les îles de l’archipel des Galápagos (Equateur). Il y a eu un développement récent, à la fois de l’élevage familial (poulet de basse-cour) et de la production de poulet de chair à grande échelle en réponse à la croissance de la population humaine locale et de l’industrie touristique. Cette évolution a généré des inquiétudes sur le risque accru de transfert de maladies des poulets aux espèces locales d’oiseaux des Galápagos qui pourraient présenter une faible résistance aux agents pathogènes nouvellement introduits par le biais des productions avicoles (Wikelski et al., 2004 dans Gottdenker et al., 2005). Gottdenker et al. (2005) ont évalué ce risque pour l’avifaune endémique et locale des Galápagos, en se basant sur la preuve empirique que certains agents pathogènes étaient déjà présents chez les poulets des îles et sur une revue littéraire compilant leurs effets potentiels sur les oiseaux sauvages. Les agents pathogènes identifiés dans les populations de poulets domestiques sont le paramyxovirus-1 de la maladie de Newcastle, Mycoplasma gallisepticum et le parasite proventriculaire Dispharynx sp. La maladie de Newcastle constitue une menace imminente pour les manchots des Galápagos (Spheniscus mendiculus), les cormorans aptères (Phalacrocorax harisi) et les goélands obscurs (Larus fuliginosus), dont les populations actuelles comptent moins de 1500 animaux. De plus, le fumier des élevages de poulets de chair pourrait affecter les processus écologiques dans les écosystèmes locaux. En effet, il est épandu sur les terres par les éleveurs, ce qui résulte en un enrichissement du sol en azote et un lessivage des nitrates. Ceci pourrait favoriser la prolifération d’espèces envahissantes comme la mûre (Rubus sp.). Par voie de conséquence, la modification des espèces végétales présentes dans l’archipel ou des phytocénoses pourrait affecter la composition de la population d’oiseaux sauvages et leur nidification. Enfin, un compostage mal réalisé (chauffage insuffisant) serait susceptible de faciliter la dispersion de bactéries, virus, et parasites aux oiseaux sauvages. Des mesures de biosécurité perfectionnées des élevages de volailles sont urgentes et indipensables à mettre en œuvre sur les îles Galápagos afin de gérer les maladies aviaires, ce qui constitue un défi à la fois politique, social et économique dans cette région si particulière.
En conclusion, l’épandage de fumier sur les cultures, par la pollution azotée qu’il engendre, peut indirectement nuire à l’équilibre des écosystèmes en place, en modifiant la composition et la structure des phytocénoses. Il peut être également à l’origine de la dissémination de bactéries, virus et parasites des volailles, pouvant affecter les oiseaux sauvages.

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *