Considérer le concept d’activité pour situer la pratique d’accompagnement dans l’expérience professionnelle

Considérer le concept d’activité pour situer la pratique d’accompagnement dans l’expérience professionnelle

L’activité comme tâche réelle

En psychologie du travail, l’activité désigne ce que fait le sujet, ce qu’il mobilise comme moyens pour traiter des informations dans des contraintes données et réaliser le but assigné à une tâche prescrite. Les travaux de Vygotski (1934/1997) ont montré que la question du but était nécessaire mais pas suffisante pour parler d’activité : la question principale, fondamentale, concernant le processus de formation du concept et en général le processus de l’activité appropriée à une fin est celle des moyens à l’aide desquels s’effectue telle ou telle opération psychique, et telle ou telle activité adaptée à une fin. (p.198) Expliquer les formes supérieures de comportement chez l’homme passe donc par la connaissance des moyens qui lui permettent de « maîtriser le processus de son propre Considérer le concept d’activité pour situer la pratique d’accompagnement dans l’expérience professionnelle 105 comportement » (Ibid., p.199). En mettant en évidence le rôle de la conscience pour différencier la tâche réelle, ou activité, de la tâche prescrite, son collaborateur Léontiev (1975) va définir l’activité comme un « cadre minimum à la réalisation de l’action » qui comprend le sujet actif, les objets de l’environnement et les autres sujets poursuivant la même finalité. L’activité procède donc d’une « construction singulière » par l’agent qui exécute une tâche prescrite (Champy-Remoussenard, 2005, p.12). Pour Clot (1995), théoricien de la clinique de l’activité, elle est « la plus petite unité de l’échange social » (p.134), tournée à la fois vers son objet, comme action réalisatrice et vers l’activité des autres portant sur cet objet. La clinique du travail interroge cependant le rapport établi entre l’activité et le sujet, plus exactement entre activité et subjectivité liée par définition à l’état de conscience de l’agent. Si le but est de comprendre comment et selon quelles motivations agissent des sujets au travail, il s’agit de ne pas séparer « d’un côté, une activité réduite à ce qu’on fait et, de l’autre, une subjectivité autochtone trouvant ses ressorts en elle-même » (Clot et Simonet, 2015, p.34). Nous supposons ainsi que l’activité traduit non seulement les compétences, mais aussi les motivations et le système de valeurs de son auteur. Elle procède d’actions qui consistent à réaliser ce qui est pensé, en faisant appel à des savoirs théoriques, des savoirs procéduraux formalisés et conceptualisés, et des savoirs d’usage peu ou pas formalisés, les « savoirs en actes » (Vermersch, 2003, p.80). C’est la désignation ultérieure de l’acte qui permet d’objectiver l’activité concernée en constatant ce qui a été accompli par le sujet, le « produit » de son activité (Barbier et Galatanu, 2000, p.17 ). Piaget (1974) a démontré qu’il existe une différence entre réussir l’action et la comprendre : il serait donc possible d’agir sans conscientiser son action. L’analyse de l’activité devient alors nécessaire pour que l’individu prenne conscience de ses savoirs en actes. Le concept de savoir « préréfléchi » (Vermersch, 2003, p. 246), d’inspiration phénoménologique (Ricœur, 2004, p.69 ; Petitmengin, 2010, p.165) permet de concevoir la manière dont s’établit le passage du savoir implicite au savoir conscientisable par la médiation d’un entretien d’explicitation (Vermersch, 2003), selon une démarche qui tente de mettre au jour les compétences mobilisées, les intentions sous-jacentes, les savoirs de l’agir. A la lumière des travaux d’Edelman et Tononi (2000) qui considèrent la conscience comme un processus neurobiologique dynamique et apportent une explication scientifique à la théorie philosophique de ce phénomène, Clot (2001a, p.32) veut souligner l’importance du langage avec autrui pour éveiller la conscience psychique de celui qui agit. L’individu ne peut être réduit à un agent qui exécute des tâches ; il est aussi acteur. En tant qu’unité complexe 106 (Morin, 1999), il est à la fois biologique, psychologique, social, affectif et rationnel. C’est en considérant l’éducateur dans cette multi-dimensionnalité que nous étudierons la manière dont il interagit avec l’élève : comment ses émotions interviennent-elles dans la prise de décisions ? Quel mode de raisonnement utilise-t-il pour aborder une situation nouvelle ? Jusqu’où est-il influencé par la relation qui se noue avec l’élève ? Le C.P.E. cherche-t-il seulement à expliquer ou bien à comprendre la situation d’un élève ? Expliquer revient à « appliquer à l’autre tous les moyens objectifs de sa connaissance » (Morin, 2014, p.52), tandis que la compréhension humaine, intersubjective, reconnaît autrui « à la fois comme semblable à soi et différent de soi », et suppose un engagement des différentes dimensions humaines dans l’action. 

Le contexte de l’activité

Les actions menées dans la pratique sont « situées » (Beguin et Clot, 2001, p.42) dans le sens où elles dépendent étroitement des conditions matérielles et sociales dans lesquelles elles ont lieu. Quéré (1997, p.183) distingue contexte, environnement et situation pour montrer comment le sujet agissant s’inscrit dans la situation. Celui-ci reconnaît tout d’abord puis organise et structure son environnement, en dehors de toute direction d’action. C’est ensuite par des opérations de sélection d’informations, de savoirs, de sens et de perceptions, qu’il va transformer son environnement en un contexte par la « contextualisation », ce en fonction d’une visée de production d’une action ou de réception d’un évènement (Ibid., p.184). Ainsi, le contexte est une forme orientée de l’environnement définie par le sujet qui nécessite son implication dans l’action, pour acquérir une structure temporelle et devenir réellement situation. Cette dernière correspond à « l’aboutissement d’un mouvement continu » (Ibid., p.182) durant lequel le sujet a pris des initiatives et organisé son expérience. Toute situation comporte donc une part d’incertitudes, voire de problèmes à traiter, de confusions à lever, qui demandent au sujet de mener une « enquête » (Dewey, 1938/1993, p.169), c’est-à-dire d’en contrôler la transformation pour la clarifier et agir à bon escient s’il veut atteindre son but. L’action située, ou action en situation entre ainsi dans une « logique » puisque le sujet va être capable de la contrôler en émettant des hypothèses de solutions à partir de ses observations. Le sujet élabore là un processus intellectuel de confrontations d’idées pour décider comment agir à partir de ses hypothèses. Ses idées lui viennent de savoirs et de savoir-faire, incorporés dans des expériences antérieures elles-mêmes cristallisées en habitudes d’action. Sur ce modèle, l’action éducative devient dynamique et l’incertitude de la situation est un élément 107 positif sur lequel agir (Chatel, 2002, p.45). C’est par ce processus d’enquête qu’il est possible d’élaborer ses propres objets de connaissance constitutifs de compétences.

Les compétences pour agir

Le CPE mobilise des savoirs théoriques, acquis en formation initiale et continue, et des connaissances procédurales pour agir (De Montmollin, 1996, p.193). Il doit connaître les modalités d’accueil, les dispositifs mobilisables, les modes de communication et d’entretien avec les élèves. Avec l’expérience, il sait également faire appel à des savoirs d’action difficilement verbalisables, mais constitutifs d’un véritable savoir- faire (Cosnefroy, 2004, p.11). Dans cette activité hautement relationnelle, humaine, rien n’est joué d’avance pour le professionnel : les réactions des élèves diffèrent ; leur motivation ou défaut de motivation, imprévisible, pose les conditions de leurs échanges, de leur capacité à évoluer dans leur comportement scolaire. Le concept de compétence répond ainsi aux exigences de l’activité éducative : plus qu’une addition de savoirs, de savoir être et de savoir- faire, c’est un « savoir combiner » (Le Boterf, 2002, p.1), une capacité à mobiliser des ressources de différentes natures (connaissances, attitudes, capacités) et à les organiser pour répondre à une situation inédite dans un contexte donné. L’introduction et la diffusion rapide du concept de compétence au cœur des pratiques d’éducation et de formation ont entraîné un débat prolifique à son sujet. Les usages qui sont faits de cette notion polysémique et la multiplicité des approches ne permettent pas d’en donner une seule définition. Nous en retiendrons ici les éléments pertinents pour la poursuite de notre réflexion sur la posture de l’accompagnant dans le cadre du suivi du parcours pédagogique et éducatif des élèves. Le sens premier du terme compétence, attesté dès le XVème siècle, relevait du domaine juridique, pour justifier de l’autorité et de la légitimité des institutions dans leurs champs d’intervention spécifiques (Ardouin, 2004, p.31). Au cours des siècles, la compétence va aussi s’attacher à l’individu, pour désigner ses capacités issues du savoir et de l’expérience. Lorsque Chomsky introduit la notion de compétence linguistique dans les années 60, il définit celle-ci comme une capacité innée, un potentiel permettant à tout être humain d’acquérir n’importe quelle langue. La compétence est ainsi distinguée de la performance qui en constitue la production concrète. Hymes (1972, p.128) fera évoluer le concept en inscrivant la compétence dans son contexte social et dans sa dimension pragmatique, en tant que capacité adaptative et contextualisée.

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