Contrôle de santé des matériaux et structures par analyse de la coda ultrasonore

L’objectif principal d’une méthode d’Évaluation et Contrôle Non-Destructif (ECND) est de détecter la présence des défauts qui pourraient mettre en péril l’intégrité de la structure et d’évaluer le niveau d’endommagement. Cet endommagement est caractérisé d’un point de vue micro-structural par la présence de discontinuités, d’inhomogénéités telles que des fissures, des points d’attaques électrochimiques ou des délaminages. La présence de ces défauts microscopiques modifie les propriétés macroscopiques du matériau. À partir de l’estimation de la durabilité de la structure et de sa fiabilité de fonctionnement, une réparation ou un remplacement peuvent être envisagés. Une méthode d’auscultation est dite non-destructive si elle permet d’effectuer le contrôle ou l’évaluation sans dégrader la structure par opposition aux méthodes invasives. De plus, les méthodes d’ECND in-situ permettent d’effectuer le contrôle ou l’évaluation de la structure en cours de fonctionnement. Cette dernière caractéristique est extrêmement intéressante pour un grand nombre des domaines industriels tels qu’en aéronautique (avec le contrôle de l’état d’intégrité de structure) ou en génie civil (avec l’évaluation du niveau des contraintes ou de l’état de santé des ponts, des barrages ou des enceintes de confinement des centrales nucléaires par exemple). Ainsi pour des raisons économiques et de sécurité, les méthodes d’ECND sont considérées comme prometteuses dans de nombreux domaines et de nombreuses études sont en cours.

Parmi toutes les méthodes d’ECND, la famille des méthodes ultrasonores a été largement étudiée dans les dernières décennies [1–13] du fait de leur sensibilité, de leur capacité de pénétration, de la possibilié de faire des mesures depuis une seule surface accessible, etc. Les méthodes ultrasonores d’ECND s’intéressent aux propriétés élastiques du matériau, particulièrement à la non-linéarité élastique. En effet la littérature montre que les propriétés non linéaires sont plus sensibles à un endommagement que la partie linéaire [2, 14–16]. Cependant, à cause de l’utilisation d’ondes cohérentes, les méthodes traditionnelles ultrasonores se trouvent limitées à certaines applications et dans certains cas. Par exemple, l’exploitation de l’acousto élasticité évalue le niveau de la non-linéarité élastique du matériau en mesurant la variation de la vitesse de propagation de l’onde sous un chargement. Une méthode traditionnellement appelée TOF (Time of Flight) est souvent utilisée dans l’étude de l’acoustoélasticité. Elle estime la valeur absolue de la vitesse de propagation en mesurant la durée nécessaire pour que les ondes se propagent sur une distance connue. Dans le cas du béton en compression uni-axiale, la méthode traditionnelle présente une erreur relative d’estimation de la vitesse de l’ordre de 10⁻² [17] alors que dans le cas d’une traction uni-axiale, la vitesse ne varie pas d’un niveau aussi important (10⁻² ), même avec un chargement de 80% du niveau de rupture [18].

L’interférométrie de la coda (CWI pour Coda Wave Interferometry) [19] est une méthode plus récente. Il a été montré que l’emploi d’ondes multiplement diffusées permet à la CWI une meilleure sensibilité que les méthodes traditionnelles. Son utilisation est avantageuse pour l’évaluation d’une faible variation de la vitesse de propagation avec une précision de l’ordre de 10⁻⁵ [20]. En outre, la vitesse de propagation peut être reliée aux propriétés élastiques du matériau dont la modification est, dans certains cas, une indication d’endommagement. C’est pourquoi la CWI est considérée comme une méthode d’ECND à fort potentiel.

Onde de coda – onde multiplement diffusée

Coda signifie queue en latin. Ce terme désigner le passage à la fin d’une pièce en musique. Par analogie ce terme est utilisé par la communauté sismologique pour désigner la partie terminale d’un sismogramme. La Figure.2.1 est un exemple de sismogramme (vibration verticale de la terre en fonction de temps) enregistré en Finlande après un séisme qui a eu lieu aux États Unis [21]. Ce sismogramme peut être divisé en plusieurs parties. Classiquement, les premières arrivées sont les ondes de volume, les ondes P (appelées aussi les ondes premières, les ondes de compression ou les ondes longitudinales) suivies par les ondes S (appelées aussi les ondes secondaires, les ondes de cisaillement ou les ondes transversales). À cause des interactions de ces ondes de volume avec la surface de la terre lors de leur propagation, l’énergie  acoustique se transforme en ondes de surface qui arrivent par la suite et présentent une grande amplitude.

Jusque là, ces arrivées sont des ondes balistiques et certaines ondes faiblement diffusées. Les ondes qui arrivent encore plus tard sont multiplement diffusées en raison de la complexité de la structure interne de la terre, leur trajectoires sont longues et complexes. Le sismogramme est la superposition des arrivées de tous les types d’ondes (i.e. les ondes de volume et les ondes de surface).

La dernière partie du signal dans un sismogramme est appelée la coda sismique. Elle est caractérisée par 1) son amplitude qui décroît exponentiellement en temps et 2) sa phase qui a une apparence similaire à celle du bruit. Les ondes multiplement diffusées qui forment la coda sont appelées les ondes de coda.

Comme la coda est le résultat de la superposition d’un grand nombre d’ondes de nature différente qui se propagent via des trajectoires complexes, elle ressemble à du bruit et ne peut pas être utilisée pour étudier individuellement la propagation de chaque arrivée d’onde. Dans une analyse d’un signal sismique, particulièrement de sa phase, la coda sismique est souvent considérée comme du bruit dans les études géophysiques traditionnelles [22]. Même si son apparence est similaire au bruit ambiant, la coda n’est toutefois pas du bruit aléatoire. Les mesures expérimentales sismiques faites à quelques jours d’écart présentées dans [23, 24] montrent qu’en utilisant des sources et des récepteurs répétables, la coda sismique a une très bonne reproductibilité. Tout changement de la coda peut être relié aux modifications du milieu de propagation. En conséquence, les ondes de coda sont très sensibles à la perturbation du milieu de propagation.

En suivant le même principe que celui de la création de la coda sismique, la coda peut être reproduite dans un milieu à échelle réduite en diminuant proportionnellement les longueurs d’onde utilisées. La différence est que, selon l’hétérogénéité du milieu et les longueurs d’onde choisies, la création de la coda peut être dominée par un des deux effets suivants :
– La diffraction multiple : dans un milieu hétérogène à la fréquence choisie, (i.e. les tailles des hétérogénéités sont comparables aux longueurs d’onde de la source), le phénomène dominant la propagation des ondes est la diffraction multiple autour des hétérogénéités , les longueurs d’onde correspondant à la fréquence centrale utilisée sont de 5,2 mm pour l’onde S et 9 mm pour l’onde P.
– La réflexion multiple : la propagation est dominée par les réflexions multiples sur des interfaces ou les bords d’un milieu quasi-homogène à la fréquence choisie, c’est-à-dire soit le milieu est homogène soit les hétérogénéités sont suffisamment petites pour être négligées devant les longueurs d’onde .

En raison de sa haute sensibilité à une perturbation (e.g. des variations de la température, des contraintes ou la création de défauts etc.) du milieu, la propagation des ondes multiplement diffusées a été largement étudiée pour des applications différentes et particulièrement dans la domaine de l’ECND. Ces études ont été effectuées en suivant différents aspects de la propagation des ondes. D’un point de vue global, l’enveloppe de l’onde multiplement diffusée représente la propagation de l’énergie acoustique en fonction du temps. Le temps d’arrivée du niveau maximal est en relation avec l’importance de la diffusion tandis que la diminution exponentielle qui suit peut être reliée à la dissipation du matériau. Pour un matériau hétérogène, le béton par exemple, un changement du profil de l’enveloppe de la coda ultrasonore peut être relié à la création et au développement de micro-fissures ou de macro fissures [25– 28]. D’un point de vue plus détaillé, une onde multiplement diffusée contient des informations globales sur le milieu de propagation. Un changement de la forme d’onde locale est souvent lié à la modification de structure/micro-structure du milieu et peut être utilisé comme un indicateur d’endommagement [6, 29, 30]. Enfin, l’analyse du déphasage entre les signaux enregistrés à des instants différents nous permet de suivre un changement de la vitesse de propagation dû à la modification de l’état du milieu. Selon les cas, cette modification peut être due à une variation de la température [18, 19, 31–33], à un changement de l’état de contrainte [18, 20, 33, 34] ou à un changement de l’état d’endommagement [35–37]. Par la suite, nous présenterons en particulier la méthode dite interférométrie de la coda récemment développée et prometteuse pour des applications d’ECND.

Table des matières

1 Introduction générale
2 État de l’art et orientation
2.1 Interférométrie de la coda
2.1.1 Coda et interférométrie de la coda
2.1.1.1 Onde de coda – onde multiplement diffusée
2.1.1.2 Théorie de l’interférométrie de la coda
2.1.2 Évaluation des variations de la vitesse de propagation par interférométrie de la coda
2.1.2.1 Vitesse effective de l’onde de coda
2.1.2.2 Régime de diffusion
2.1.3 Traitement du signal
2.1.3.1 Doublet
2.1.3.2 Stretching
2.2 Théorie de la non-linéarité élastique
2.2.1 Théorie classique
2.2.2 Théorie non classique
2.2.2.1 Élasticité non linéaire dynamique
2.2.3 Acousto-élasticité
2.2.3.1 Chargement hydrostatique
2.2.3.2 Chargement uni-axial
2.3 Exemple d’utilisation de la CWI dans une application d’ECND : l’essai NBT
2.3.1 Procédure de mesure
2.3.2 Mise en œuvre du traitement du signal
2.3.2.1 Détermination de D et ξ
2.3.2.2 Détermination de la fenêtre temporelle
2.3.2.3 Évaluation de la variation de la vitesse par calcul Stretching
2.3.3 Résultats expérimentaux sur un corps d’épreuve à échelle 1
2.3.4 Conclusion et perspective
3 Compensation des biais thermiques dans l’analyse CWI
3.1 Introduction
3.2 Theoretical background
3.2.1 CWI analysis for a constant velocity perturbation
3.2.2 Stretching
3.2.3 Acoustoelastic theory
3.3 Bias control for CWI analysis
3.3.1 Theoretical model for bias compensation
3.3.2 Implementation protocol
3.3.3 Experimental Results
3.4 Conclusion
3.5 Acknowledgements
4 Conclusion générale

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