Contrôle moteur par le cervelet et interface Cerveau-Machine pour commander un doigt robotique

Les études relatées dans ce mémoire de thèse portent sur l’organisation de la commande des mouvements par le Système Nerveux Central (SNC). Que ce soit pour se déplacer, pour communiquer ou manipuler des objets, l’activité humaine s’exprime par le mouvement. La précision des mouvements dont sont capables les yeux, les bras, les doigts, est due à l’organisation des circuits de commande, qui assure une efficacité optimale en même temps qu’une grande robustesse et qu’une capacité d’adaptation à la variabilité des situations.

Saisir ou pointer un objet nécessite que les voies prémotrices du Système Nerveux Central disposent d’une représentation de la position de la cible ainsi que de celles du bras et de la main (que celle-ci soit immobile ou en mouvement par rapport au corps ou à la cible). La saisie d’un objet nécessite en outre l’estimation de ses caractéristiques (forme, poids, rugosité de surface, résistance mécanique), au moyen d’informations visuelles ou tactiles.

La coordination visuo-manuelle, qui permet les mouvements volontaires de pointage ou de saisie d’un objet, se fait deux étapes :
• La localisation et l’identification de la cible.
• L’exécution du mouvement, d’abord par l’orientation et le mouvement du bras déplaçant la main, pendant que la configuration des doigts s’adapte anticipativement à la forme de l’objet visée, puis par la saisie de l’objet ou le pointage de la cible.

L’activité manuelle guidée visuellement fait intervenir simultanément l’ensemble des muscles pour le maintien du bras, de l’avant bras et de la main, ainsi que pour leurs transports vers la cible. Les muscles oculomoteurs assurent la fixation du regard, les saccades oculaires qui déplacent le regard, ou les mouvements de poursuite visuelle qui stabilisent l’image de l’objet poursuivi sur la rétine. Les signaux de commande sont envoyés par le Système Nerveux Central vers les muscles qui, activés, actionnent les membres. Du point de vue du physicien, les caractéristiques mécaniques d’un membre peuvent être décrites par une fonction biomécanique de plusieurs variables (signal de commande nerveuse, longueur et vitesse d‘allongement ou de raccourcissement du muscle), à plusieurs paramètres (inertie, viscoélasticité, raideur) eux-mêmes dépendants des variables.

Pour commander les mouvements volontaires, il faut que le SNC prenne en compte cette fonction biomécanique, par des moyens propres, résultant de l’Évolution, du développement de l’individu et de l’apprentissage sensori-moteur.

Étudier la commande et le contrôle des mouvements permet d’identifier les facteurs influant sur la façon d’effectuer une tâche, et pourrait permettre d’étudier pourquoi certaines personnes sont capables de meilleures performances que d’autres. Les applications de l’étude du mouvement seraient nombreuses, dans des domaines variés : sport, handicap, robotique. Dans le domaine biomédical par exemple, des disciplines telles que la Physiologie, la Biomécanique, ou encore les Neurosciences, cherchent à décrire le mouvement humain et à en comprendre la commande. Dans le sport, l’étude du mouvement et du geste a pris une grande importance pour améliorer les performances des athlètes. Enfin, la robotique humanoïde s’inspire aussi de l’étude du mouvement humain pour animer des robots anthropomorphes.

De point de vue conceptuel, les régions du système nerveux qui produisent les commandes des mouvements sont formalisées par un système de contrôle moteur hiérarchique, distribué sur plusieurs niveaux qui participent successivement à l’élaboration de la commande. Le niveau le plus bas transmet la commande sous forme de potentiels d’action aux motoneurones périphériques qui modulent la contraction musculaire, elle-même à l’origine des mouvements.

L’objectif de cette thèse est d’aborder le contrôle moteur selon deux approches. En une 1ère approche, théorique et fonctionnelle, nous avons recensé les contraintes fonctionnelles et en avons déduit un circuit de traitement des signaux moteurs, compatible avec l’organisation anatomique des voies cérébelleuses et permettant une optimisation hiérarchisée, sous les contraintes de rapidité d’exécution et d’économie de la dépense énergétique. En une 2ème approche, appliquée, nous avons étudié une Interface Cerveau/Machine, afin de commander un dispositif externe en envoyant des messages uniquement via l’activité cérébrale.

La commande et le contrôle moteur chez l’Homme constituent un processus complexe auquel participent de nombreuses régions anatomiques du Système Nerveux Central (SNC) . La motricité peut être volontaire ou involontaire, et les mouvements sont conventionnellement répartis en trois types :

• Les réponses réflexes, rapides, prévisibles et automatiques, aux perturbations des mouvements. Cette activité, involontaire, est déclenchée par la stimulation des récepteurs sensitifs musculaires, articulaires et cutanés.
• Les réactions sensorimotrices, dont les origines sont semblables à celles des réflexes, stabilisent les segments du corps via des boucles de rétroaction longues, en cas de perturbations trop importantes pour que les réflexes suffisent.
• Les mouvements volontaires sont effectués dans un but précis. Leur commande nécessite d’abord d’identifier et de localiser une cible, ensuite d’organiser un plan d’action et enfin d’exécuter un programme (Vibert et coll., 2005).

Le SNC comprend l’Encéphale (Cerveau, Cervelet et Tronc cérébral) et la Moelle épinière . Fonctionnellement et de façon simplifiée, le SNC peut être considéré comme composé de trois parties : une partie sensorielle reçoit les informations des milieux extérieurs et intérieurs ; une partie centrale traite et garde en mémoire l’information et intervient dans la planification et la décision ; une partie motrice prépare et exécute les actes moteurs qui constituent le comportement. En réalité des informations circulent sans cesse entre ces trois parties. Par exemple, lorsqu’un mouvement volontaire est accompli, les voies sensorielles reçoivent des copies des ordres moteurs. Les voies sensorielles traitent ces signaux et anticipent les signaux sensoriels à venir comme conséquences normales du mouvement. De la sorte, des mouvements de stabilisation (réflexes et réactions sensori-motrices) ne sont pas déclenchés lors de mouvements volontaires et ne contrecarrent donc pas ces mouvements.

L’Encéphale est constitué de trois parties situées dans la boîte crânienne : le Cerveau, le Cervelet et le Tronc cérébral. Le Cerveau proprement dit est fait de deux hémisphères, où l’on distingue des lobes nommés selon l’os qui les surmonte . Le Diencéphale contient l’Hypothalamus et le Thalamus. Celui-ci trie et relaie les influx sensoriels et prémoteurs dirigés vers les aires cérébrales, et connecte les aires cérébrales entre elles. Le Cervelet, reçoit des informations provenant de l’oreille interne (récepteurs de l’équilibre), de la vision et des récepteurs situés dans les muscles et les tendons. Phylogénétiquement, sa plus ancienne fonction est de réguler l’équilibre et la posture du corps. Par ses fonctions d’intégration sensorielle et prémotrice, plus récentes, il règle l’intensité des contractions musculaires et les coordonne en assurant ainsi l’exécution précise et économe des mouvements. Il compare des informations issues de divers récepteurs aux signaux prémoteurs du Cortex cérébral moteur, et envoie aux voies motrices des signaux qui complètent les ordres prémoteurs et ajustent l’activité des motoneurones à l’état du corps. Les contractions musculaires sont ainsi adaptées à la tâche et aux circonstances. Les informations entre le Cerveau et le corps sont acheminées via la Moelle épinière.

Le système nerveux périphérique (SNP) est constitué des neurones sensoriels, connectant les récepteurs sensoriels à la Moelle et à l’Encéphale, et des neurones moteurs, connectant l’Encéphale et la Moelle aux motoneurones qui innervent les muscles.

Historiquement, deux interprétations de l’organisation de la commande des mouvements volontaires furent proposées, l’une insistant sur l’importance des voies périphériques (théorie du point d’équilibre), l’autre sur l’importance des centres de commande situés dans le SNC (théorie de la commande centrale).

Selon la théorie du point d’équilibre, proposée par Merton en 1953 (Merton, 1953), les centres moteurs commanderaient les mouvements indirectement, en modulant l’activité des interneurones des voies réflexes. Les deux principaux réflexes sont le réflexe myotatique d’allongement, qui stabilise la longueur des muscles, et le réflexe tendineux, qui stabilise leur tension. Ensemble, ces réflexes contrecarrent les perturbations. Les centres de commande situés dans le SNC mettraient les voies réflexes en jeu, même lorsque le mouvement du membre n’est pas perturbé. En modifiant le fonctionnement des réflexes, les ordres moteurs parvenant aux interneurones changeraient indirectement la longueur et la tension des muscles, et règleraient la raideur de l’articulation résultant de la co-contraction des muscles. Le mouvement résulterait ainsi d’un changement des raideurs articulaires.

Selon cette interprétation, la commande centrale modifierait le gain des réflexes, et surtout la valeur autour de laquelle ils stabilisent le niveau d’activité des motoneurones. Le changement des caractéristiques des réflexes suffirait à faire évoluer la configuration des membres (Latash, 1993). Cette hypothèse fut développée en une théorie par Feldman (1966), qui avait mesuré chez l’homme la raideur du système muscle-réflexes. Il demandait à des volontaires de placer l’articulation du coude dans des positions naturelles, sans raidir volontairement le bras, puis exerçait des impulsions sur l’avant-bras et mesurait le déplacement en réponse à ces perturbations. La raideur statique de l’articulation était comparable à celle d’un ressort non linéaire, ce qui suggéra que la raideur pourrait être la variable contrôlée par le SNC pour effectuer des mouvements. Selon (Feldman 1986), la position atteinte résulte à la fois d’une commande centrale envoyée aux motoneurones alpha et d’un réglage des boucles réflexes (modèle lambda). Cette double commande fixe un seuil critique pour les muscles fléchisseurs et extenseurs, au-delà duquel leur étirement développe une tension. Le mouvement résultant (celui du bras par exemple) serait une conséquence de ce changement du point d’équilibre, ainsi que des propriétés dynamiques du bras. Dans le modèle lambda, ce seuil est considéré comme la variable de commande des mouvements lents, quasi statique (en outre, la position d’une articulation peut être maintenue lorsque la raideur change, en augmentant ou détendant volontairement et en même temps les muscles antagonistes).

Mais une commande quasi statique en position ne permet pas d’effectuer des mouvements rapides. En effet commander des mouvements rapides au moyen d’un signal codant la position finale, au moyen d’un servo-mécanisme périphérique assuré par la raideur de l’articulation, nécessiterait que la tension des muscles atteigne des valeurs non physiologiques (Gomi et Kawato 1996).

Aussi une version plus élaborée du modèle lambda a-t-elle été proposée, supposant que le signal de commande issu du SNC code simultanément la position finale et la vitesse d’exécution. Le point d’équilibre varierait au long d’une « trajectoire virtuelle», qui ne coderait pas seulement la trajectoire dans l’espace géométrique mais une trajectoire dans un espace de phases, ce qui est contraire à l’hypothèse fondamentale d’une commande en position (Hogan 1984 ; Latash et Gottlieb 1991 a,b,c ; Latash 1993 ; McIntyre et Bizzi 1993). Pour effectuer un mouvement rapide, le SNC doit donc élaborer un signal de commande central codant simultanément les caractéristiques géométriques et cinématiques du mouvement.

Table des matières

Introduction
1 Le contrôle moteur
1.1 Subdivisions anatomiques de base du système nerveux
1.1.1 Le Système Nerveux Central
1.1.2 Le système nerveux périphérique
1.2 Théorie de la commande motrice
1.2.1 Théorie du point d’équilibre
1.2.2 Théorie de la commande centrale
1.3 Le Cervelet, considéré comme un contrôleur
1.3.1 Modèle de voies cérébelleuses
1.3.2 Interprétation anatomique
1.3.3 Cortex Cérébelleux
1.4 Commande d’un bras articulé à 1 d.d.l par le modèle de voies cérébelleuses
2 Contrôle d’un bras articulé à 2 ddl
2.1 Introduction
2.2 Présentation et modélisation d’un robot à 2 ddl actionné par des muscles de McKibben
2.2.1 Muscles pneumatiques de type McKibben
2.2.2 Actionnement d’un segment par deux muscles antagonistes
2.2.3 Bras robotique à 2 d.d.l
2.2.4 Modèle dynamique du bras robotique à 2 d.d.l
2.3 Contrôle du bras robotique
2.3.1 Contrôleur de haut niveau
2.3.2 Contrôleur de bas niveau
2.3.3 Expérimentations et résultats
2.4 Les réflexes
2.5 Comparaison de la performance du contrôle à celle d’un P.I.D
2.5.1 Résistance aux perturbations
2.6 Conclusion
3 Modélisation du système oculomoteur
3.1 Définitions des mouvements et situation étudiée
3.2 Circuits participant à la préparation des ordres moteurs des saccades oculaires
3.2.1 Système biomécanique
3.2.2 Système saccadique
3.2.3 Cervelet (Vermis et Fastigial)
3.2.4 Collicule Supérieur
3.3 Déroulement d’une saccade (constatations expérimentales)
3.3.1 Phase d’accélération
3.3.2 Description des signaux neuronaux durant une saccade
3.3.3 Saccades interrompues
3.4 Organisation fonctionnelle
3.4.1 Nécessité d’une boucle fermée
3.4.2 Nature du bouclage
3.5 Principe de fonctionnement
3.5.1 Le Collicule comme niveau haut
3.5.2 Le Cervelet comme prédicteur
3.6 Conclusion
Conclusion

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