CROISSANCE, DEVELOPPEMENT ET CHANGEMENT SOCIAL

CROISSANCE, DEVELOPPEMENT ET CHANGEMENT SOCIAL

Jusqu’en 1976, le produit intérieur brut (PIB) ne comptabilisait que des activités marchandes (mesurées par le chiffre d’affaire, diminué des consommations intermédiaires). Cette définition du produit excluant les services publics a fini par apparaître trop restrictive. Bel exemple d’un changement de convention de richesse. Les administrations publiques sont désormais une production comptabilisée dans le PIB. Mais problème : comment estimer une production qui n’a pas de prix de marché ? La convention retenue est de valoriser ces activités à la somme de leur coût de production, soit la rémunération des salariés, augmentée des impôts et les amortissements. Si la production des jardins potagers est évaluée et intégrée dans le PIB, celle du travail domestique non, Pourtant la première ne représente presque plus rien, tandis que la seconde accapare un temps quasiment équivalent au temps de travail. Des féministes y virent dans les années 70 le signe du dédain pour les activités féminines, tant il est vrai que les tâches domestiques étaient et restent le fait des femmes. Bref, le PIB est macho. Mesurer la valeur de la production ne suffit pas. Une augmentation de la production en valeur peut en effet très bien venir d’une forte augmentation des prix, alors que les quantités produites stagnent.

Il faut donc faire la part de ce qui relève des prix et de ce qui dépend des volumes produits. Il existe deux voies pour évaluer le volume d’une production : soit compter directement les quantités produites, soit utiliser un indice de prix qui permet de corriger (les économistes disent « déflater ») la variation de la valeur par la variation des prix. Or la qualité perturbe également les prix. Les statisticiens peinent à séparer, dans une hausse de prix, ce qui relève d’une amélioration de qualité ou de quantité donc ce qui relève de la croissance et de l’inflation. En 1995, aux USA, une commission a estimé que l’inflation américaine était surestimée de plus d’un point par an principalement du fait des progrès de la qualité des produits. Qui dit surestimation de l’inflation dit croissance sous estimée. La production des ser¬vices marchands est évaluée par une série de conventions tout aussi discu¬tables. Comment mesurer par exemple la production d’une banque ? Là encore, l’évaluation du volume peut difficilement s’appuyer sur un dénombrement des prestations, qui sont souvent multiformes et diversifiées.

Comment capter les gains de productivité ? On ne s’en est guère soucié tant qu’on considérait que les gains de productivité dans les services étaient minimes. Mais cela devient problématique depuis que l’introduction des technologies de l’information et des communications (TIC) a révolutionné des secteurs entiers, de la finance à la grande distribution. On se souvient de la fameuse phrase de Robert Solow : « Les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de productivité ». Les TIC ont permis des gains d’efficacité extraordinaires, dans le traitement de l’information, le nombre de transactions ou de dossiers traités, la qualité du service rendu (qu’on pense par exemple à la banque en ligne). Mais ce saut qualitatif n’est pas mesuré. Grosso modo, « la moitié de l’économie française (en termes de poids relatif dans l’emploi) est aujourd’hui analysée sur la base d’indicateurs de produit et de productivité plus ou moins défaillants », évalue Jean Gadrey, professeur émérite à l’université Lille 1. Or ces services sont aussi la part de l’économie qui se développe le plus rapidement. La qualité des dépenses est tout aussi indifférente : les installations de portes blindées, les assurances contre le vol ou les appointements des gar¬diens de prison augmentent le PIB, au même titre que les achats de parasols, de places de concert ou la construction d’une école. Et l’acquisition d’un 4X4 contribue plus au PIB que celle d’un vélo. C’est le marché qui, dans nos sociétés, établit les valeurs, et non quelque grand planificateur.

Mais, pour autant, le marché est défaillant à établir certaines valeurs. Les nappes phréatiques n’ont pas de prix et leur pollution par une agricul¬ture productiviste n’est pas décomp¬tée à la production de cette dernière. Au contraire, celle ci contribue d’au¬tant plus au PIB qu’elle a rendu l’eau du robinet imbuvable au point de relan¬cer la vente d’eau minérale ! Les dégâts écologiques de la croissance ne lui sont à aucun moment décomptés. Comme si les activités productives pouvaient tirer sans limite sur les ressources naturelles et rejeter indéfiniment ses pollutions dans la nature. D’où les tentatives pour promou¬voir une conception pluridimension¬nelle de la richesse. Une conception qui ne se limite pas aux flux moné¬taires, mais prend en compte tout un capital naturel, humain et social que le marché ne valorise pas ou est incapable de valoriser, tout en contribuant pourtant au bien être d’aujourd’hui et à la prospérité de demain.

 

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