Déplacements dans un environnement de géométrie dynamique 

Déplacements dans un environnement de géométrie dynamique 

La notion de déplacement est un élément central de l’utilisation des logiciels de géométrie dynamique que nous considérons. Elle a fait l’objet de nombreuses références en didactique des mathématiques et dans le domaine des EIAH depuis l’introduction des logiciels permettant le déplacement des objets tracés à l’écran par la manipulation directe. Dans les environnements de géométrie dynamique, il existe en fait plusieurs types de déplacements liés aux types de points que l’on peut créer : — le point libre peut être déplacé partout dans l’écran ; — le point sur un objet implique un déplacement « contraint ou limité » (Restrepo, 2008, p. 42) sur l’objet auquel appartient le point ; — le point « non attrapable » implique un déplacement « indirect » (Restrepo, 2008, p. 42) puisqu’on ne peut pas le déplacer directement. Il est nécessaire de passer par le déplacement des points desquels il dépend. Par exemple, un point construit à l’intersection de deux droites ne peut pas être attrapé, il se déplace sur l’écran lorsqu’on déplace les points qui sous-tendent les deux droites auxquelles il appartient. a. Paradigme des constructions robustes Le déplacement par manipulation directe est considéré comme une composante importante offrant une rétroaction aux actions de l’élève (Laborde & Capponi, 1994, p. 175). À savoir que si la figure n’est pas robuste, qu’elle ne résiste pas au déplacement, c’est qu’elle n’a pas été construite « selon des procédés adéquats à la géométrie » (Lagrange & C.-Dedeoglu, 2009, p. 199). En effet, le déplacement conserve les propriétés géométriques mises en jeu dans la construction par l’utilisation des outils, mais ne conserve pas forcément les propriétés spatio-graphiques de la 4. Nous n’aborderons pas la question des tablettes et des smartphones dans cette thèse.  figure auxquelles s’attachent pourtant souvent les élèves lorsqu’ils construisent une figure. Ainsi, Laborde et Capponi montrent que le déplacement joue un rôle très important dans l’évolution des procédures des élèves. Ils lui distinguent deux fonctions : — « il disqualifie des procédures au jugé […] ce qui entraîne les élèves à analyser le dysfonctionnement du Cabri-dessin, et à le modifier en conséquence ; — il met visuellement en évidence des invariants géométriques et suscite ainsi la rectification de procédures erronées » (Laborde & Capponi, 1994, p. 194). Le déplacement dans les logiciels de géométrie dynamique favorise la distinction entre le dessin et la figure (Grugeon & Duvert, 2001 ; Assude & Grugeon, 2004) en faisant mieux apparaître les liens entre propriétés spatio-graphiques et propriétés géométriques car la figure construite doit respecter un certain nombre de contraintes même déplacée sur l’écran (Laborde, 2005 ; Soury-Lavergne, 2007). Ainsi, l’enseignant peut, par exemple, faire remarquer que l’orientation horizontale ou verticale des côtés perpendiculaires d’un triangle rectangle (positions prototypiques) est une propriété spatio-graphique liée à une configuration particulière mais n’est pas une propriété géométrique du triangle rectangle. Le déplacement peut également permettre de séparer les propriétés conjoncturelles, des propriétés constitutives (Mithalal, 2010, p. 26). Par exemple, le triangle peut avoir l’air rectangle sans que cela soit pertinent pour la résolution en cours. Les propriétés constitutives sont alors des « invariants du déplacement, ce qui conduit certains auteurs à parler de réification des propriétés » (Mithalal, 2010, p. 26, c’est nous qui soulignons). Balacheff définit la réification de connaissances comme la « visualisation et manipulation directe d’entités abstraites donnant à voir des comportements évocateurs de leurs propriétés » (Balacheff, 1994b, p. 367). Le déplacement dans l’environnement de géométrie dynamique permet ainsi de réifier des relations entre les objets géométriques qui restent la plupart du temps implicites dans l’environnement papier-crayon. Enfin, le déplacement des objets à l’écran est aussi un moyen d’obtenir plus de configurations d’une même figure (Lagrange & C.-Dedeoglu, 2009, p. 198-199). Il peut ainsi être utilisé pour lutter contre l’installation des figures prototypiques. Cependant, le déplacement ne va pas de soi pour l’élève (Laborde & Capponi, 1994 ; Mariotti, 2000 ; Soury-Lavergne, 2007). Non seulement, il doit savoir qu’il peut effectivement déplacer les objets à l’écran mais il doit également apprendre à interpréter géométriquement ce déplacement. Or, même quand l’élève pense à déplacer les figures, il ne déplace pas forcément tous les points libres pertinents de sa construction et pas non plus dans toutes les directions, ce qui peut l’empêcher de constater certaines déformations (Soury-Lavergne, 2007, pp. 327-328). Ainsi le déplacement fait lui aussi l’objet d’une genèse instrumentale, il n’est pas « une fonctionnalité évidente de la géométrie dynamique, mais […] un instrument pour faire des mathématiques qui doit être construit par les élèves au cours de leur interaction avec le logiciel […]. L’instrument est construit par l’élève quand ce dernier est capable d’utiliser cette possibilité de l’environnement pour résoudre un problème particulier » (Soury-Lavergne, 2007, pp. 328-329). L’élève construit ainsi différents instruments « déplacement » selon les finalités qu’il lui donne : déplacer pour identifier une propriété invariante, déplacer pour remarquer qu’une propriété ne se conserve pas, déplacer pour émettre une conjecture, déplacer pour valider ou invalider une construction, etc. (Soury-Lavergne, 2007, p. 340). 

Paradigme des constructions molles 

Assez logiquement d’après ce que nous venons de voir, le déplacement est souvent présenté par les enseignants comme un moyen de vérifier que sa construction est correcte car ne se déformant pas lorsque ses points sont déplacés. C’est ce que Laborde (2005) appelle le paradigme des constructions robustes. Cependant, comme nous avons commencé à le souligner, le déplacement peut être utilisé à d’autres fins et en particulier dans le cadre du paradigme des constructions molles (Laborde, 2005). Ce type de déplacements permet de positionner les points de la figure dans une configuration faisant apparaître certaines propriétés (Gousseau-Coutat, 2006, p. 67), ce qui favorise l’élaboration d’une argumentation heuristique. Les propriétés réalisées sont alors éphémères et la construction réalisée est appelée une construction molle. Les élèves (de tous les niveaux scolaires) utilisent souvent « naturellement » ce paradigme comme le montre, par exemple, Jones (1998) qui observe quatre étudiants diplômés en mathématiques résoudre le problème de construction d’un cercle tangent à deux droites sécantes. Pendant les premiers essais, ces étudiants construisent un cercle qu’ils ajustent en le déplaçant et en faisant varier sa taille (c’est-à-dire en déplaçant un des points du cercle de manière à l’éloigner ou le rapprocher du centre). Ils recommencent ainsi plusieurs fois la construction en utilisant de plus en plus de propriétés géométriques au fur et à mesure qu’ils les découvrent et de moins en moins le paradigme de la construction molle. La plupart du temps, les élèves ou étudiants qui agissent de même ne présentent à l’enseignant que leur travail final dans lequel les constructions molles successives n’apparaissent pas, l’enseignant ne les remarque donc pas (Laborde, 2005). Selon Laborde, les constructions molles devraient être officiellement introduites par l’enseignant et exploitées en classe au même titre que les constructions robustes. Elles paraissent en effet particulièrement pertinentes dans une phase heuristique. Dans la section 3.1.4, nous avons montré que les représentations d’une figure géométrique et en particulier un schéma codé ont une forte fonction heuristique. Dans l’environnement de géométrie dynamique, le déplacement des figures à l’écran constitue une autre source d’heuristiques. Cependant, dans les tâches de construction que nous proposons aux élèves, nous visons la construction de figures robustes. L’élève doit donc remettre en jeu les propriétés potentiellement découvertes dans une phase heuristique de construction molle en faisant le lien avec les outils de construction disponibles dans le milieu. 

Les outils de construction des logiciels de géométrie dynamique

 Le déplacement n’est donc pas le seul outil à disposition des élèves dans l’environnement de géométrie dynamique. S’il est particulièrement utilisé pour valider la robustesse d’une figure géométrique, celle-ci est en fait construite à partir des primitives proposées par les logiciels (Laborde & Capponi, 1994). Ces primitives sont aussi appelées « commandes », « méthodes de construction » ou encore « outils » par Bellemain (1992). Nous choisissons de parler d’outils, et en particulier d’outils de construction, conservant le vocabulaire que nous avons adopté jusque-là, désignant à la fois les outils de l’environnement informatique et de l’environnement papier-crayon. a. Différences entre les outils de construction des environnements papiercrayon et informatique Les outils de construction des environnements de géométrie dynamique sont souvent nommés à partir de l’objet qu’ils permettent de construire. Par exemple, l’outil « droite » de Cabri ou de GeoGebra est utilisé pour construire une droite à l’écran. Ce sont ces outils de construction qui permettent à l’élève de communiquer au logiciel le programme de construction qu’il a établi dans la phase heuristique pour construire sa figure (Bellemain, 1992 ; Laborde & Capponi, 1994). Les autres outils de construction sont souvent nommés à partir d’une propriété géométrique. Par exemple, les outils « perpendiculaire » ou « parallèle ». C’est une autre réification des propriétés dans l’environnement de géométrie dynamique. Par la suite, en particulier dans la partie II de cette thèse, nous parlerons souvent des outils de report de longueur et de construction d’angles. Le premier se traduit la plupart du temps par l’outil « cercle » dans les logiciels de géométrie dynamique, en lien avec la caractérisation du cercle comme ensemble des points à la même distance du centre. On trouve aussi des outils « compas » dans les environnements Cabri et GeoGebra 5 mais nous les laisserons de côté. Le constructeur d’angle correspond aux outils nommés à partir de l’objet qu’ils permettent de construire (« angle » dans Cabri et « angle de mesure donnée » dans GeoGebra par exemple). Enfin, d’autres outils du logiciel ne permettent pas de construire un objet géométrique mais servent à mesurer (un angle, une longueur ou une distance, une aire, etc.) ou sont liés à la gestion de l’affichage sur l’écran (outil pour écrire du texte, pour afficher/cacher un objet, etc.). Nous ne nous intéressons pas à ces outils par la suite. Les logiciels de géométrie dynamique proposent ainsi un certain nombre d’outils de construction ou non que l’élève peut sélectionner dans un menu. De la même manière que l’enseignant peut empêcher l’élève d’utiliser un outil spécifique dans l’environnement papier-crayon, il peut masquer certains outils de l’interface du logiciel : « le fait de confronter l’élève à un ensemble réduit de commandes peut être l’occasion de privilégier l’apparition de certaines stratégies dans la résolution d’un problème » (Bellemain, 1992, p. 82). Mais l’enseignant peut également créer, ou faire créer de nouveaux outils par l’élève, beaucoup plus facilement que dans l’environnement papier-crayon. Ces nouveaux outils sont en fait des macros qui englobent une série d’actions (Laborde, 2002). Il est ainsi possible de prendre en charge certains opérations « pratiques » mais coûteuses en temps d’exécution pour se concentrer sur des aspects conceptuels (Bellemain, 1992, p. 82). C’est-à-dire, en reprenant les notions de valences pragmatiques et épistémiques des techniques (cf. section 2.3.3), de proposer des techniques utilisant des outils avec une meilleure valence pragmatique mais aussi une meilleure valence épistémique. Soury-Lavergne (2003) et Athias (2014) montrent que le passage des outils de construction usuels aux outils de construction du logiciel se fait en appui sur des techniques anciennes. Les élèves et les enseignants parlent par exemple du compas 5. Leur fonctionnement est très différent. Dans Cabri, le fonctionnement se rapproche de celui du compas dans l’environnement papier-crayon : le compas est représenté à l’écran, il faut cliquer sur un premier point (le centre) puis sur un deuxième et faire glisser la pointe du compas pour tracer un arc de cercle. Dans GeoGebra, il faut cliquer sur un segment déjà créé pour que le logiciel crée instantanément un cercle de rayon de même longueur que le segment. On peut ensuite déplacer ce cercle sur l’écran. À noter qu’on peut déjà utiliser l’outil « cercle » de Cabri de cette façon. ou de l’équerre à la place des outils « cercle » ou « perpendiculaire » du logiciel car ils n’associent pas forcément l’instrument dans l’environnement papier-crayon avec la propriété géométrique qu’il embarque et qui apparaît directement dans un environnement de géométrie dynamique. L’utilisation des outils de construction du logiciel peut d’ailleurs se rapprocher de celle mise en œuvre dans le contexte papier-crayon, par exemple la création des points libres, des segments ou des droites. Cependant, d’autres démarches sont particulières au logiciel comme la construction du cercle qui se fait traditionnellement en utilisant un compas mais qui nécessite de cliquer sur deux points (le centre et un point du cercle) pour l’outil « cercle » le plus courant dans l’environnement informatique (Assude & Gélis, 2002 ; Soury-Lavergne, 2003). Un autre exemple est celui de l’outil « point » qui permet en fait de construire trois types de points (libre, sur un objet ou non attrapable) comme nous l’avons vu dans la section 6.1.1. Même si on peut généralement construire ces trois types de points avec le même outil « point », les logiciels proposent également des outils « point sur objet » et « intersection » afin de les distinguer, ce qui n’est pas possible dans l’environnement papier-crayon. b. Caractéristiques des outils de construction de géométrie dynamique Dans l’EIAH MindMath nous nous appuyons sur certaines caractéristiques des outils de construction de l’environnement de géométrie dynamique. Les outils de construction d’un environnement de géométrie dynamique peuvent ainsi faciliter une vision non iconique et la mobilisation des déconstructions dimensionnelles et instrumentales des objets géométriques. Par exemple, l’élève sur le logiciel n’utilise pas une équerre (outil qui favorise une vision en deux dimensions) pour tracer l’angle droit d’un carré mais l’outil « perpendiculaire » qui, sur une droite donnée et en un point donné, construit une autre droite, favorisant une vision en une dimension. Il passe ainsi d’une vision 2D de la figure géométrique à une vision 1D. De plus, parce que l’outil « perpendiculaire » trace des droites et non des segments, les côtés du carré vus comme « finis » dans l’environnement papier-crayon sont plus facilement vus comme des droites qui se coupent perpendiculairement deux à deux en quatre points dans l’environnement logiciel. Contrairement à ce qui se passe dans l’environnement papier-crayon, l’utilisation d’un logiciel de géométrie dynamique amène également une certaine hiérarchie de dépendances entre les objets construits à l’écran qui ne peut pas être modifiée sans recommencer toute la construction (Jones, 2000, p. 59). Ce phénomène peut être profitable, notamment parce que l’élève passe ainsi « d’une logique de description à une logique de construction géométrique » (Grugeon & Duvert, 2001). Ainsi, dans la section 3.5.2, nous avons vu qu’un jeu sur les outils de construction à disposition pouvait permettre de favoriser la mobilisation de différentes propriétés. Cependant, ce jeu sur les outils de construction montre certaines limites dans l’environnement papier-crayon. Laborde et Capponi (1994) citent par exemple la recherche de Grenier (1988) qui étudie la construction de l’axe de symétrie d’un trapèze isocèle à la règle non graduée et au compas par des élèves de 6e . Pour résoudre cette tâche, des élèves détournent l’utilisation des outils de construction qui leur sont proposés. Ils utilisent la section de leur règle comme unité de mesure alors que l’enseignant attend la mobilisation de la propriété d’intersection de deux droites homologues (par la symétrie axiale) sur l’axe. Cependant, « il ne peut le dire aux élèves car il les empêcherait de trouver seuls la solution au problème (paradoxe de la dévolution des situations, Brousseau 1986, p.66). Il refuse donc l’une après l’autre les solutions proposées par les différents groupes en arguant du fait qu’elles ne sont pas précises, ce qui est incompréhensible par les élèves, pour lesquels le recours à la mesure est associé à précision » (Laborde & Capponi, 1994, p. 185). Ici, parce que les élèves comprennent la tâche « comme portant sur un tracé et non sur le procédé » (Laborde & Capponi, 1994, p. 185), le jeu sur les outils de construction ne suffit pas à les amener à mobiliser les propriétés attendues. Or, contrairement aux outils de construction classiques de l’environnement papiercrayon, il est plus difficile de détourner les outils de construction du logiciel de leur fonction (Bellemain, 1992, p. 82). Par exemple, on ne peut pas directement utiliser l’outil qui permet de mesurer pour reporter une longueur dans le logiciel alors que les élèves peuvent détourner la règle graduée pour cet usage dans l’environnement papier-crayon. Nous nous appuyons sur cette particularité dans la conception des tâches de construction que nous proposons pour imposer la mise en œuvre de certaines propriétés grâce à la restriction des outils de construction ou de mesure à disposition. Les outils du logiciel pouvant plus difficilement être détournés, et encore plus difficilement être détournés pour obtenir une figure robuste, valide géométriquement (Laborde & Capponi, 1994, p. 185), retirer certains des outils à disposition revient à empêcher complètement l’utilisation de certaines propriétés, qu’elles soient pertinentes ou non pour la construction visée. 

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