Développement d’un programme de rééducation du membre supérieur post A VC

Données épidémiologiques

Au Canada, un AVC survient toutes les 9 minutes (Fondation des maladies du coeur et de l’AVC, 2015). Le nombre d’hospitalisations reliées à l’AVC ne cesse de s’accroître. En effet, les hospitalisations sont passées de 35869 en 2007 à 43 132 en 2016 (données non disponibles pour le Québec, le Yukon et le Nunavut), ce qui représente une hausse de 20 % (Institut canadien d’information sur la santé, 2007-2016). Les personnes de 65 ans et plus sont les plus touchées par l’A VC, représentant 75 % des personnes qui en sont victimes (Louchini & Daigle, 2005). Au cours de la dernière décennie, l’A VC est survenu davantage chez les personnes dans la cinquantaine: les ischémies cérébrales ont augmenté de 42 % et les hémorragies cérébrales de 27 % pour ce groupe d’âge de 2007 à 2016 (Institut canadien d’information sur la santé, 2007- 2016). L’incidence est aussi en hausse chez les adultes âgés de moins de 50 ans en raison de l’augmentation de la prévalence des facteurs de risque (p. ex., l’ hypertension artérielle, le diabète, la sédentarité) et d’une meilleure détection des AVC mineurs (Lanthier, 2015) : une hausse de 28 % des ischémies cérébrales parmi les 20 à 29 ans, de 35 % parmi les 30 à 39 ans et de 18 % parmi les 40 à 49 ans (Institut canadien d’information sur la santé, 2007-2016). D’ autre part, l’augmentation du nombre d’AVC au pays devrait se poursuivre au cours des prochaines années. En effet, puisque l’incidence d’un AVC augmente avec le vieillissement, le nombre d’AVC au pays risque d’ augmenter dans les années à venir, car la population canadienne de 65 ans et plus est appelée à croître de 8 % pour atteindre 23 % en 2031 (Organismes caritatifs neurologiques du Canada, Agence de la santé publique du Canada, Santé Canada, & Instituts de recherche en santé du Canada, 2014).

L’A VC figure au quatrième rang des causes de décès au Canada: 13 893 personnes ont succombé à des maladies vasculaires cérébrales en 2017 (Statistique Canada, 2019). Toutefois, de moins en moins de personnes décèdent d’un AVC. En effet, plus de 83 % des personnes hospitalisées en raison d’un AVC survivent, une hausse de 9 % depuis 10 ans (Fondation des maladies du coeur et de l’AVC, 2015). L’accès plus rapide à des services d’ urgence et à des services hospitaliers spécialisés ainsi que les innovations médicales et pharmacologiques telles que la thrombolyse et les nouvelles procédures endovasculaires expliquent en grande partie la diminution des décès reliés à l’A VC (Fondation des maladies du coeur et de l’A VC, 2015). La plupart des survivants de l’A VC, soit 85 %, retournent vivre à leur domicile après un séjour dans une unité de réadaptation (Institut canadien d’information sur la santé, 2009). Toutefois, ces personnes vivent de plus en plus avec des séquelles permanentes. L’étude de Krueger et al. (2015) rapporte une hausse de 31 % du nombre de personnes vivant avec les séquelles de l’AVC depuis le nouveau millénaire, s’établissant maintenant à 405000 canadiens. Ce nombre devrait augmenter à 726000 d’ici 2038, ce qui fait de l’AVC, l’une des principales causes de handicaps au Canada (Agence de la santé publique du Canada, 20 Il; Krueger et al., 2015; Partenariat canadien pour le rétablissement de l’AVC, 2016).

Déficiences, limitations et récupération du membre supérieur

Parmi les séquelles de l’A VC, les déficiences et les limitations au membre supérieur sont fréquentes et contribuent de façon significative au développement des situations de handicaps (Broeks, Lankhorst, Rumping, & Prevo, 1999; Clarke, Black, Badley, Lawrence, & Ivan Williams, 1999; Desrosiers et al., 2003; Desrosiers et al., 2006; Hunter & Crome, 2002; Sveen, Bautz-Holter, Margrethe Sodring, Bruun Wyller, & Laake, 1999). Environ 70 % des survivants présentent des atteintes à un membre supérieur après un A VC, lesquelles touchent la plupart du temps les fonctions motrices, sensorielles et, dans une moindre mesure, perceptuelles (Intercollegiate Stroke Working Party, 2012; Nakayama, Stig Jorgenson, Otto Raaschou, & Skyhoj OIsen, 1994). L’une des principales problématiques motrices du membre supérieur est la paralysie complète (hémiplégie) ou partielle (hémiparésie) avec une augmentation du tonus musculaire (spasticité). La personne éprouve alors des difficultés à contrôler et à isoler des mouvements pour tenir, transporter, déposer, atteindre ou saisir des objets (Woodson, 2014). De plus, une faiblesse musculaire limite l’utilisation du membre supérieur contre résistance (force) sur une période prolongée (endurance) (Whelan, 2014). En dernier lieu, des problèmes de coordination se manifestent dans l’exécution de gestes précis, rapides et peuvent grandement affecter la manipulation d’objets (dextérité).

Du côté des fonctions sensorielles, jusqu’à 60 % des survivants y présentent des atteintes à la suite d’un AVC (Winward, Halligan, & Wade, 1999). Une perte de la sensation de la douleur ou de la température expose la personne à un risque de blessure. Des changements dans la proprioception (sens de la position), la kinesthésie (sens du mouvement) ou du toucher léger diminuent les habiletés de préhension, de manipulation et les personnes ont alors tendance à échapper des objets. Certaines personnes ne réagissent pas à un stimulus du côté paralysé allant même jusqu’à ignorer la présence du membre supérieur atteint. Cette négligence spatiale unilatérale, fréquemment associée à une lésion du côté droit du cerveau, se manifeste dans plus de 30 % des cas après un AVC (Menon et al., 2015). Elle rend difficile, voire impossible, la réalisation de tâches bilatérales où les deux mains doivent se coordonner simultanément. Par ailleurs, la récupération du membre supérieur atteint post AVC se révèle souvent partielle et moindre que le membre inférieur touché (Foley et al., 2016). Parmi les survivants avec une hémiplégie, 60 % d’entre eux ne développeront aucune fonction à la main. Environ 70 % des personnes avec une hémiparésie présenteront quant à eux une récupération incomplète (Houwink, Nijland, Geurts, & K wakkel, 2013).

Ainsi, le rétablissement du membre supérieur est souvent identifié comme une priorité élevée parmi les survivants post AVC dans la communauté et constitue l’un des motifs de référence les plus fréquemment rencontrés en ergothérapie (Woodson, 2014). Bien que les symptômes neurologiques puissent s’atténuer dans les premiers jours en réponse aux traitements médicaux, la majeure partie de la récupération après un AVC dépend d’un long processus de réorganisation cérébrale: la neuroplasticité postlésionnelle (Seitz & Donnan, 2012). Les neurones peuvent réorganiser leur structure, leur fonctionnement et leur connexion à la suite d’une lésion cérébrale (Cramer et al., 2011). Les recherches en neurosciences et les avancées en imagerie cérébrale ont permis d’identifier deux principales conditions pour favoriser une neuroplasticité postlésionnelle (Carey, Polatajko, Connor, & Baum, 2012) : 1) une exposition à des stimuli qui représentent des tâches fonctionnelles significatives, pratiquées à répétition, de façon intensive (Kleim & Jones, 2008) et 2) une pratique qui requiert l’apprentissage de nouvelles habiletés et qui est motivée par un but (plautz, Milliken, & Nudo, 2000).

Efficacité sur la récupération du membre supérieur post AVe La 17C édition de la révision critique des essais cliniques randomisés avec l’échelle PEDro par le Evidence-Based Review of Stroke Rehabilitation (F oley et al., 2016) fournit des données favorables sur les effets du TOT par rapport aux approches traditionnelles (p. ex., le traitement neurodéveloppemental) pour améliorer les fonctions motrices du membre supérieur post A VC. Ces auteurs demeurent toutefois prudents dans leur conclusion quant à l’efficacité du TOT sur la récupération du membre supérieur, soulignant que les interventions sont insuffisamment décrites et variées, puis appliquées dans des phases différentes de récupération, ce qui limite les comparaisons. Une métanalyse Cochrane de French et al. (2008) avait rapporté précédemment un effet modéré des interventions TOT sur la récupération du membre supérieur post A VC. La quantité de temps allouée au suivi apparaît jouer un rôle, car les effets sur la récupération du bras et de la main tendent à être plus élevés si les séances d’intervention totalisent plus de 20 heures (French et al., 2008). French et al. (2008) n’ont toutefois pas confirmé l’efficacité du TOT, ni recommandé une intensité de pratique en raison de la qualité inégale des études et des différences dans les méthodes d’intervention évaluées. French et al. (2008) ont donc suggéré d’orienter les recherches vers le développement de programmes de rééducation du membre supérieur post AVC basés sur le TOT pour faciliter le passage des évidences à la pratique clinique.

Le TOT présenterait un bon rapport coûtslbénéfices lorsqu’appliqué en groupe ou lorsque la pratique est enseignée dans le milieu de vie de l’usager 1.2.3 Composantes clés de l’intervention Une revue systématique de Nilsen et al. (2015), réalisée dans le cadre du développement des lignes directrices américaines sur les interventions ergothérapiques post AVC (Wolf & Nilsen, 2015), a recensé des effets positifs du TOT sur la récupération du membre supérieur dans l3 des 17 études cliniques considérées de bonne qualité. Quatre études sur six ont également montré les bienfaits du TOT sur des mesures d’activité et de participation. Les auteurs ont identifié 1) la pratique de tâches personnalisées, 2) axée sur les objectifs des usagers et 3) encourageant la répétition fréquente de mouvements comme des composantes communes de l’intervention dans les études qui ont démontré l’efficacité du TOT sur le rétablissement du membre supérieur. Les auteurs ont ainsi souligné le lien étroit entre les composantes du TOT et l’utilisation de l’occupation signifiante comme moyen thérapeutique à privilégier pour promouvoir la rééducation du membre supérieur post A VC. Le constat de Nilsen et al. (2015) converge avec les conclusions d’une revue antérieure sur les techniques de rééducation du membre supérieur en réponse aux découvertes sur la neuroplasticité postlésionnelle : « La répétition intensive du geste dans un objectif fonctionnel est la base de la rééducation du membre supérieur post A VC » (Oujamaa et al., 2009). Hubbard, Parsons, Neilson et Carey (2009) ont recommandé cinq moyens pour appliquer le TOT en clinique afin de favoriser le rétablissement du membre supérieur post A VC : les tâches doivent 1) être signifiantes pour l’usager et pratiquées dans son milieu de vie ou dans un milieu clinique qui reflète sa réalité, 2) décomposées en ses actions qui seront travaillées séparément et graduellement combinées, 3) répétées dans son entier, 4) variées et 5) accompagnées de rétroaction positive en temps opportun de la part du thérapeute. Toutefois, les composantes de l’intervention TOT qui produiraient les plus grands effets sur la récupération du membre supérieur (p. ex., la pratique en milieu de vie ou en clinique, unilatérale ou bilatérale, sur les capacités motrices ou sur l’utilisation du membre supérieur au quotidien, la quantité de répétitions) demeurent inconnues à ce jour.

Rowe et Neville (2018) ont été les premiers auteurs à explorer les effets du TOT à domicile auprès de quatre usagers en phase subaiguë de l’A VC. Après 30 séances de thérapie à domicile, l’activité du membre supérieur atteint dans le quotidien est significativement plus élevée qu’à l’évaluation initiale. Les usagers ont aussi rapporté une plus grande confiance à utiliser leur membre supérieur atteint pour réaliser leurs occupations. Toujours selon cette étude, la rééducation du membre supérieur dans le milieu de vie de l’usager contribuerait à faciliter l’adaptation de l’usager à sa condition. De son côté, Blennerhassett et Dite (2004) se sont davantage intéressés à l’ajout d’un circuit d’entraînement TOT aux thérapies usuelles offertes dans une unité de réadaptation post A VC. En plus de recevoir des thérapies usuelles à dose comparable, 30 usagers ont été répartis aléatoirement dans deux groupes : 15 usagers ont participé à un circuit axé sur la pratique de tâches avec le membre supérieur atteint tandis que l’autre moitié a pratiqué des tâches de mobilité fonctionnelle. Après 4 semaines, les participants du circuit d’entraînement comportant la pratique de tâches avec le membre supérieur atteint affichaient des gains substantiels de contrôle moteur au bras et de dextérité par rapport au groupe ayant effectué des tâches de mobilité fonctionnelle. De plus, ces gains se maintenaient à 6 mois post AVC. Les chercheurs ont conclu que les résultats soutiennent l’ajout d’un circuit TOT en clinique à la réhabilitation habituelle durant la phase subaiguë de l’A VC. Le traitement en circuit serait un moyen efficace pour augmenter la fréquence des pratiques. Toutefois, les résultats de cette étude ne permettent pas de conclure que ces améliorations se traduisent par une plus grande utilisation du membre supérieur atteint au quotidien malgré les gains mesurés en clinique.

Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Problématique
1.1 L’accident vasculaire cérébral
1.1.1 Données épidémiologiques
1.1.2 Déficiences, limitations et récupération du membre supérieur
1.2 Thérapie axée sur la répétition de tâches fonctionnelles
1.2.1 Efficacité sur la récupération du membre supérieur post A VC
1.2.2 Programmes de rééducation du membre supérieur post A VC
1.2.3 Composantes clés de l’intervention
1.3 Développement d’un programme de rééducation du membre supérieur post A VC en ergothérapie et du modèle logique
1.4 Résumé de la problématique
Chapitre 2 : Méthode
2.] Méthode Delphi
2.1.1 Échantillonnage et recrutement
2.1.2 Instruments de mesure
2.1.3 Déroulement
2.2 Technique de groupe nominal
2.2.1 Échantillonnage et recrutement
2.2.2 Instruments de mesure
2.2.3 Déroulement
2.3. Analyse des données
Chapitre 3 : Résultats
3.1 Participants à la méthode Delphi
3.2 Participants à la technique de groupe nominal
3.3 Résultats de la méthode Delphi : évolution du modèle logique
3.3.1 Objectifs
3.3.2 Nature de l’intervention
3.3.3 Ressources
3.3.4 Activités et extrants
3.4 Résultats de la technique de groupe nominal: effets ciblés
3.5 Modèle logique découlant de l’étude
Chapitre 4 : Discussion
4.1 Discussion sur l’évolution du modèle logique
4.2 Principales forces de l’étude
4.3 Principales limites de l’étude
4.4 Retombées de l’étude
Conclusion
Références bibliographiques
Annexe A
Annexe B
Annexe C
Annexe D
Annexe E
Annexe F
Annexe G

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