Différentes modalités de construction des savoirs liés aux déchets

Un objet géographique et sociétal

Dans ce deuxième chapitre, nous examinerons un certain nombre de perspectives universitaires qui traitent des déchets solides. Nous ne prétendons pas étudier de façon exhaustive les différentes modalités de construction des savoirs liés aux déchets, car cet objet d’étude est largement utilisé par diverses disciplines de tous les domaines de connaissances : sciences humaines et sociales, biomédicales, de l’ingénieur, sciences de la Terre et artistiques. Nous nous limiterons ici à l’examen des textes participant à la construction de la géographicité des déchets et qui nous servirons à traiter les études de cas de la deuxième partie de la thèse, dans le but spécifique de puiser quelques éléments dans le « tournant épistémologique » qu’a connu les sciences humaines et sociales dans les années 1970. Les déchets sont à la fois des objets de recherche polysémiques et pluridisciplinaires et aussi facteurs d’a ménagement du territoire. D’une géographicité qui se construit par des processus (ramassage, élimination, recyclage…) à la conception des déchets comme objet géographique, objectif de cette première partie de la thèse, il existe tout un cheminement qui a rarement été exploité par les géographes. De fait, les déchets ont bien plus attiré l’attention en tant que facteurs d’aménagement du territoire ou du fait de leur impact environnemental, qu’ils n’ont suscité de discussion épistémologique sur leur propre géographicité. Ce qui exige aussi de s’entendre sur les mots et dans cette perspective nous proposons dans le deuxième point de ce chapitre un lexique franco-brésilien ordonné du vocabulaire concernant les déchets.

OBJET DISCIPLINAIRE OU TRANSDISCIPLINAIRE ?

Au cours des deux premiers siècles qui ont marqué l’invention des déchets urbains, ou plus précisément entre 1790 et 1970, les médecins et les ingénieurs étaient presque les seuls à se saisir du sujet des restes produits par les villes. La spectaculaire croissance démographique et l’urbanisation du siècle dernier, conjuguées à l’émergence d’un programme environnemental au sein duquel la durabilité et la lutte contre le changement climatique ont gagné en importance, ont fait entrer les déchets dans le champ des controverses en sciences humaines et sociales. On pourra suivre le développement des thèmes et des écoles de pensée sur la figure d’une galaxie qui représente l’extension du domaine de l’étude des déchets telle que nous l’avons perçu au cours de nos années de recherche, de la Rudologie à l’Economie circulaire nous suivrons le cheminement des groupes de recherche, de leurs thématiques et des leurs principaux résultats. Les années 1970 ont vu émerger une science naissante qui apporte un changement considérable en réintroduisant le déchet dans la société. L’apparition de la garbology (Rathje, 1971, 1984) aux États-Unis, par exemple, a permis aux citoyens de prendre précisément conscience de tout ce qui était éliminé et jeté dans les décharges par l’ensemble de la société. En France, la Rudologie (Gouhier, 1972, 1988) a suivi un chemin similaire en s’intéressant aux « véritables traces » laissées par la société, proposant une approche qui permette de caractériser la société (ou un système) à partir de ses traces marginales. Les deux écoles, la nord-américaine et la française, incarnent le premier pas en direction d’une étude des déchets comme outil « des » et « pour les » sociétés.

L’originalité de la réponse française à partir de la Rudologie inscrite comme une science géographique place l’espace (et les recherches de terrain) au centre des études et approche le déchet dans son existence quotidienne comme un révélateur social. Le fondateur de cette école, Jean Gouhier, dont la thèse de doctorat datant de 1972 s’intitule « Eléments pour une géographie des déchets, essai d’inventaire et d’analyse comparée dans le Maine et la région liégeoise », a créé un institut de Rudologie et un Master académique d’ingénierie des déchets à l’Université du Mans, laquelle forme actuellement sa troisième génération de « rudologues ». Il a ainsi été le premier à défendre et illustrer l’existence d’une « Géographie des déchets ». Mathieu Durand, géographe de la même université, a produit récemment des travaux originaux qui appliquent la méthodologie de l’école du Maine en Amérique du Sud – et en particulier au Pérou – comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin.

 

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