Du délire au rétablissement

Du délire au rétablissement

Place du délire dans le trouble schizophrénique

Le diagnostic de schizophrénie repose sur la caractérisation d’un ensemble de symptômes (sur une durée de plus de six mois) qui associe à divers degrés des signes positifs (idées délirantes, hallucinations), négatifs (abrasement affectif, pauvreté du langage, isolement social, apragmatisme…) et de désorganisation (au niveau affectif, comportemental et intellectuel), entraînant un retentissement fonctionnel marqué notamment pendant la période critique des troubles . A ces symptômes s’associent une atteinte de diverses fonctions cognitives (mémoire, attention, fonctions exécutives…). Si dans la classification actuelle proposée par le DSM-V-TR, le symptôme « idées délirantes » constitue l’un des cinq critères cliniques (avec au moins deux critères nécessaires) pour pouvoir porter le diagnostic de schizophrénie, la question de la place du délire dans le diagnostic de schizophrénie a fait l’objet de nombreux débats au cours de l’histoire de la psychiatrie et de sa nosographie. En effet, si le délire représente l’expression la plus manifeste des symptômes positifs de la maladie, le délire n’est en rien spécifique de la schizophrénie ; il peut se retrouver dans diverses pathologies psychiatriques (tels que les épisodes psychotiques brefs, les troubles délirants persistants, les troubles de l’humeur) ainsi que dans des étiologies organiques (syndrome confusionnel, démence, toxiques, encéphalite…). Aussi, alors que certains auteurs tel que H. Ey le tiennent à une place centrale dans la pathologie, d’autres le voient comme un symptôme de second ordre ou encore comme une modalité d’existence. Nous allons donc dans un premier temps revenir sur les différentes approches de la schizophrénie et de son délire qu’ont pu présenter certaines grandes références psychiatriques telles qu’E. Bleuler et H. Ey ainsi que le phénoménologue L. Binswanger. 

Le chaos délirant

 A l’origine du terme de schizophrénie, E. Bleuler   définissait la schizophrénie comme une « scission » des fonctions psychiques associée à un détachement du monde extérieur et une prédominance de la vie intérieure. E. Bleuler met ainsi l’accent sur l’atteinte de la cohésion des idées, trouble premier de l’affection, entrainant une perturbation profonde des rapports avec le monde extérieur. Pour reprendre la définition qu’il en donne : « Ce groupe est caractérisé par une altération de la pensée, du sentiment et des relations avec le monde extérieur d’un type spécifique et qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Il existe dans tous les cas une scission plus ou moins nette des fonctions psychiques (…) La vie intérieure acquiert une prépondérance pathologique (…) Les schizophrènes les plus graves vivent dans un monde en soi (…) Ils limitent le contact extérieur autant que possible. Nous appelons autisme ce détachement de la réalité ». Ici, la schizophrénie et le délire ne se trouvent pas systématiquement associés, et si le délire peut faire partie de la maladie, E. Bleuler considère cette dimension plutôt comme des « idées délirantes » du fait de leur organisation non systématisée; en effet, les idées délirantes « souffrent de contradictions et d’impossibilités (…) ne sont pas facilement ordonnées en un système logiquement élaboré ». Le terme d’idée délirante serait donc plus adapté que celui de délire, en tant qu’unité logique. Ce « chaos délirant » semble être consécutif du relâchement associatif de la pensée, trouble fondamental de la schizophrénie pour notre auteur. Ainsi, E. Bleuler propose une classification des différents symptômes de la schizophrénie. Il décrit d’abord le groupe des symptômes « fondamentaux et accessoires » et regroupe sous le terme « fondamentaux », les symptômes qui sont présents dans tous les cas de schizophrénie qu’ils soient latents ou manifestes. Dans ce groupe, E. Bleuler inclut les troubles dissociatifs qu’il considère comme la caractéristique la plus importante de la schizophrénie et l’autisme en tant que type particulier de pensée et de comportement. Quant aux symptômes « accessoires », ce sont ceux qui peuvent ou non se produire et ne représentent pas une composante essentielle pour poser un diagnostic. Parmi ce groupe de symptômes, il inclut notamment les délires et les hallucinations. Ces symptômes dits « accessoires » peuvent notamment être présents dans le portrait clinique d’autres désordres que la schizophrénie. A cette distinction « descriptive », E. Bleuler ajoute une deuxième distinction, cette foisci d’ordre psychopathologique, avec des symptômes dits « primaires et secondaires ». Les symptômes primaires sont la base du processus pathologique, les symptômes secondaires résultent de la lutte de la personnalité du sujet contre les symptômes primaires, autrement dit contre les effets de la dissociation. Les symptômes secondaires couvrent cependant une bonne partie de la symptomatologie et regroupent notamment l’autisme et les altérations de la réalité (hallucinations, idées délirantes). Ainsi, pour E Bleuler, ces idées délirantes chaotiques que nous donne à voir la schizophrénie, sont à la fois « accessoires et secondaires ». 

Le délire, au cœur de la schizophrénie

 Pour H. Ey (7), la schizophrénie est une espèce singulière de délires chroniques. Toutes les formes de schizophrénies sont délirantes puisque ce qui caractérise la schizophrénie c’est le bouleversement délirant des rapports du sujet avec la réalité et avec autrui : « ce qui caractérise avant tout la forme d’existence schizophrénique, c’est le délire ». Bien que les formes cliniques de la schizophrénie soient variées « le commun dénominateur des diverses formes de schizophrénie c’est l’autisme, et l’autisme c’est le délire ». Le délire, élément central du trouble, bouleverse la relation avec le monde et ferme de plus en plus la communication avec l’extérieur et autrui d’où la notion de « délire autistique». La schizophrénie se caractérise par la manifestation d’une tendance profonde à cesser de construire son monde en communication avec autrui pour se perdre dans une pensée autistique c’est à dire un chaos imaginaire. H. Ey saisit ainsi l’existence schizophrénique dans sa structure positive qui est essentiellement celle d’une existence délirante. La schizophrénie est une forme d’existence délirante qui comporte des expériences délirantes primaires (expérience d’étrangeté, dépersonnalisation, influence…) et une élaboration autistique secondaire dans la constitution du monde autistique. Il faut entendre par le mot autisme la constitution d’un monde propre qui tend à se clore sur lui-même. Le délire dans sa forme authentiquement schizophrénique dépasse celui des expériences délirantes : il les prolonge et les organise en monde autistique. Le délire construit un monde hermétique, fermé à la communication, clos et labyrinthique. L’autisme ici n’est pas présent d’emblée mais survient donc au cours de l’évolution de la maladie : au fur et à mesure que la maladie se confirme et évolue la constitution de ce monde délirant représente le noyau même de l’existence schizophrénique. La schizophrénie serait ainsi une forme particulière de délire, qui aboutit progressivement à une désorganisation de l’existence ordinaire et à un monde autistique

Table des matières

Introduction
I) L’histoire de Mme
II) Place du délire dans le trouble schizophrénique
A. Le chaos délirant
B. Le délire, au cœur de la schizophrénie
C. Le délire en tant que présence
III) Le délire : approche neurocognitive et phénoménologique
A. Le délire : définition et modèles théoriques explicatifs.
1. Modèle rationaliste
2. Modèle empiriste
3. Questions soulevées
B. Approche croisée phénoménologique et neurocognitive du délire
1. Jaspers et la question du délire
1) Le délire, une expérience incompréhensible ?
2) L’incorrigibilité du « délirer »
2. De l’expérience naturelle à l’expérience délirante
1) Une projection d’un monde sans fondement
2) La réalité, ce monde commun
3) Un renversement de l’expérience
4) La mécanique de l’expérience délirante
3. Transformation du cadre de l’expérience : les expériences subjectives précoces
1) L’atmosphère délirante
1) a. Modèles neurocognitifs
1) b. L’immersion dans le monde ambiant : approches phénoménologiques
2) Les troubles primaires du soi dans la schizophréni
2) a. Une transformation du monde extérieur et intérieur : l’œuvre de K. Conrad
2) b. Le concept de soi et son altération dans la schizophrénie
2) c. Bases cognitives des troubles basiques du soi dans la schizophrénie
3) Les vécus précoces de la psychose débutante : une transition vers le délire
4. Vers une rencontre de la présence délirante
1) La présence délirante
1) a. Le délire autistico-solipsiste
1) b. Subjectivité et monde
1) c. Le délire et son partage
1) d. Qui délire
1) e. Le réseau du mode par défaut
2) Des créatures jusqu’à nous
2) a. Le statut de la réalité délirante
2) b. La théorie des réalités multiples : une rencontre possible
2) c. Une co-présence
III) Au-delà du délire : vers le rétablissement
A) Le rétablissement expérientiel
1 . Rémission symptomatique, rémission fonctionnelle et rétablissement expérientiel
2. Vers un nouveau concept
3. Aspects du rétablissement et modèle dynamique de compréhension
1) Aspects du rétablissement.
2) Le rétablissement : un processus dynamique
B) Le rétablissement identitaire
1. La présence, sa continuité et sa mise en intrigue
2. La question de l’identité dans les troubles du spectre schizophrénique
3. Se rétablir : un processus narratif
1) Le récit, synthèse de l’hétérogène
2) Le récit, une réappropriation du sens de l’existence
3) Le récit, un réengagement dans l’existence
4) Vers une thérapie narrative
4. La place de l’autre dans le rétablissement
1) L’autre dans le soi
2) Vers une alliance thérapeutique
3) La question éthique
Conclusion
Bibliographie

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