Du football aux foot-ball

Le football permet non seulement d’affirmer son rapport à l’autre, mais offre également une image de soi. Yvan Gastaut et Stéphane Mourlane (2006, p. 9) .

Que peut-il être ajouté à l’endroit du sport, des sports et nommément du football ? À première vue, tout semble avoir été écrit à leur sujet : après que le sport, les sports, eurent été des laissés-pour-compte des raisonnements scientifiques, les travaux s’y intéressant, et ce faisant, ceux abordant le plus allégorique d’entre eux, certainement, ont crû depuis le dernier quart du XXe siècle. De la sorte, le foisonnement de cette littérature a permis de rattraper quelque peu le retard accumulé vis-à-vis d’autres phénomènes sociaux, conférant ainsi à ces objets la place qui leur sied davantage, au moins en regard de la considération qui leur est faite simultanément dans l’espace du quotidien.

Il est aisé de constater que la pratique physique, sportive, concerne effectivement toutes les dimensions de notre société, qu’elle est un fait de société, un fait social total (Mauss 2010). Comme le rappelle Christian Pociello (1999a, p. 10), les questions sportives se sont intégrées dans les questions de société. De fait, les publications d’ouvrages ou de documents portant sur le champ sportif sont légion, qu’elles relatent le parcours et les exploits d’un sportif, d’un club, d’une sélection nationale ou d’une pratique dans son ensemble, le plus souvent par une approche « contesque » — « La fabuleuse histoire de… » — ainsi que le remarquent à juste titre Christian Vivier et Jean-François Loudcher (1998, p. 9). Il est désormais fréquent de retrouver une section destinée aux ouvrages consacrés aux sports ou aux sportifs dans les points de vente littéraires. Également, on ne peut passer outre la présence — l’omniprésence pour certains — du fait sportif dans la sphère médiatique, tant au niveau des retransmissions télévisées, où les meilleures audiences recouvrent fréquemment de grands événements sportifs, que dans le secteur de la presse, nationale comme régionale. Ces dispositifs façonnent une complète « sécularisation du champ sportif », qui ressort dans les consciences populaires (Pociello, p. 10).

La volonté de dépasser le cadre de lecture « du » football 

Ainsi, à propos du football, qui polarise la majorité de cette attention, ne dit-on pas que la France compte soixante millions de sélectionneurs (Bontout 2010) ? L’Hexagone n’enregistre pourtant pas soixante millions de footballeurs, pas plus d’ailleurs qu’il ne dénombre soixante millions de « sportifs ». Compte tenu du profil physiologique et de la structure par âge du pays, il sera difficile d’atteindre ce taux maximal de pratiquants au sein de la population nationale. Pour autant, les chiffres de recensement de l’activité physique et sportive tendent à s’en rapprocher : dans ce qu’elle représente de plus large, la pratique sportive est aujourd’hui plébiscitée, encouragée, auprès de l’ensemble des générations comme des sexes, que ce soit dans le cadre de l’éducation, de la lutte contre l’obésité, du maintien d’une bonne santé, ou encore du développement de la cohésion sociale. L’addition séquentielle du « Sport » au ministère de la Santé, de l’Éducation, de la Jeunesse ou de la Vie associative en est la parfaite illustration. Mais de quel sport le pouvoir politique est-il alors en charge ? Sommairement, le ministère a pour responsabilité la mise en œuvre, l’animation, le déploiement d’une certaine politique sportive nationale, mais, au cas par cas, il n’interfère pas, en théorie, dans les problématiques afférentes à chaque sport. Pour s’en tenir à l’exemple du football, ce dernier possède sa propre gouvernance, la Fédération française de football (FFF), instance autonome habilitée à nommer sans sollicitations extérieures ses dirigeants, ses cadres techniques et donc son seul et unique sélectionneur à la tête de l’équipe nationale.

Par conséquent, il est possible de considérer différemment ce « sport » — le football ou un autre — qui se regarde, s’admire, se discute, se critique, et le « sport » qui, pour des millions de Français, se pratique au quotidien, et ce, en dépit de leur assimilation sémantique . En ce sens, une ré-interrogation du terme de « sport », « [c]oncept protéiforme pour certains géographes » (Lefebvre et Roult 2013, p. 8) comme pour d’autres chercheurs, est actée, effective. Elle constitue l’un des nœuds que la communauté scientifique cherche désormais à  démêler, après avoir entrepris initialement, et non sans succès, d’investir le sport avec pour principales perspectives son défrichement et son inscription dans les différents courants de recherche. Depuis plusieurs décennies, une évolution du paysage des activités physiques et sportives est sûrement admise, marquée à sa base par l’apparition de nouvelles pratiques, issues ou non d’autres, historiques. Sans doute le géographe peut-il percevoir plus facilement les différences de teintes au sein de ce paysage, essentiellement au travers de l’utilisation de l’espace par telle ou telle gamme de pratiques. La comparaison de cette inscription spatiale est alors une clé qui lui permet de se positionner clairement sur la définition à adopter pour chacune des activités du champ qu’il examine. À cet égard, William Gasparini et Michel Koebel (2015) rappellent que « [l]es recherches comparées en sciences sociales du sport révèlent la grande diversité des formes de comparaison, dans l’espace et dans le temps, à différentes échelles (infra-locale, régionale, nationale ou supranationale), entre différentes pratiques ou modalités de pratique » (p. 14).

Un nouveau terrain de jeu(x) pour le géographe 

Le géographe trouve effectivement matière à réflexion en mobilisant la diversité de cette conception de l’espace opérée par les pratiques, même si la comparaison des distributions de celles-ci à différentes échelles ne suffit pas à définir les entités confrontées comme sport(s). De nombreux sports, ou du moins, ceux qui de notre point de vue peuvent être considérés comme tels, sont absents, ou quasiment, de l’espace national. Inversement, de nombreuses activités physiques sont aujourd’hui prisées par la population — on peut penser en premier lieu à la pratique du footing — sans que tous les éléments définissant là un sport puissent être décelés. Ce différentiel ne doit pas pour autant restreindre ou annihiler la volonté du chercheur de s’intéresser aux deux phénomènes, parties intégrantes d’un même champ, comme le rappelle Sébastien Darbon (1997) dans son travail consacré au rugby à Marseille :

[c]omme dans tout projet comparatif, les entités censées servir de support à la réflexion peuvent être choisies dans des rapports d’opposition très divers. Ce peut être par exemple, la mise en perspective, face au rugby, de sports à la fois distincts et voisins (comme par exemple le football ou le rugby à XIII), se peut être encore l’opposition entre les pratiques du rugby dans deux pays ou, dans un même pays, entre des localités ou l’implantation du rugby a répondu à des logiques et des dynamiques bien différentes. (p. 10) .

Ainsi, ambitionner de comparer le football avec autre chose soulève au premier abord un grand nombre de réflexions introductives : de quoi « le » football est-il le nom ? En existe-t-il d’autres, de « football » ? Quels éléments sont alors mis en comparaison ? Incontestablement, deux pratiques glorifiées de part et d’autre de l’Atlantique portent bien le même nom de « football » sans pour autant s’agir de la même activité . Ou encore, ce qui est aujourd’hui appelé communément rugby, est à l’origine « un » football, malgré la distinction contemporaine des appellations. Aussi, le football est également lié à des considérations culturelles, politiques, par son inscription dans l’imaginaire collectif national et les identités de jeu qui en découlent, sous-tendant « des » football, pas nécessairement différents mais au moins comparables (Archambault, Beaud et Gasparini 2016). Enfin, au regard de ce qui vient d’être rappelé, le football n’échappe pas à une réalité qui touche les fédérations sportives à plus ou moins grande échelle et avec une plus ou moins forte intensité : l’évolution des pratiques sportives et le foisonnement des formes dérivées de leurs souches initiales. Par conséquent, c’est sous cet angle que sera abordée la question du football et plus justement celle du ou des foot-ball (encadré 1), par l’examen approfondi de l’inscription spatiale de ses offres, laquelle n’est manifestement pas identique d’une pratique à l’autre.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE POUR UNE GÉOGRAPHIE DES CULTURES SPORTIVES
CHAPITRE 1 : LES PRATIQUES SPORTIVES, UN CHAMP À CLARIFIER
CHAPITRE 2 : LIEUX, ESPACES ET TERRITOIRES DES CULTURES SPORTIVES
DEUXIÈME PARTIE : GÉOGRAPHIE DES FOOT-BALL DANS LE MONDE ET EN FRANCE
CHAPITRE 3 : DU FOOTBALL ASSOCIATION À UNE ASSOCIATION DE FOOTBALL : GÉO-HISTOIRE DES CULTURES SPORTIVES « BALLE AU PIED » DANS LE MONDE
CHAPITRE 4 : LOGIQUES DE LOCALISATION DES CULTURES SPORTIVES « BALLE AU PIED » EN FRANCE
TROISIÈME PARTIE : RÉGULATION DE L’OFFRE DE SERVICES DES CULTURES SPORTIVES « BALLE AU PIED » : ÉTUDE DU CAS DE L’AGGLOMÉRATION LILLOISE
CHAPITRE 5 : L’AGGLOMÉRATION LILLOISE POUR TERRAIN DE JEU(X)
CHAPITRE 6 : ORGANISATION SPATIALE ET CULTURELLE DES SERVICES SPORTIFS
CONCLUSION

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