Effets du comportement sur la performance métabolique

L’hiver des régions continentales froides induit une détérioration des conditions climatiques et une baisse de la productivité des habitats. Afin de faire face à ces contraintes, on observe deux stratégies chez les espèces aviaires affrontant des hivers difficiles : la migration vers des habitats plus cléments ou la résidence. Que ce soit pour effectuer de longs déplacements en vol ou pour faire face aux basses températures, les oiseaux doivent ajuster leurs fonctions physiologiques et leurs comportements afin de répondre au mieux aux contraintes imposées par l’utilisation de ces deux stratégies.

La migration
La migration peut impliquer des dépenses énergétiques considérables et représenter un défi physiologique appréciable (Piersma 20 Il). Si la migration peut prendre plusieurs formes en fonction des espèces (Berthold 2001), la migration de longue distance chez les limicoles est probablement celle qui demande les changements physiologiques les plus importants. Par exemple, la barge rousse (Limosa lapponica baueri) peut parcourir jusqu’à Il 500 kilomètres sans escale (Piersma et Gill 1998, Gill et al 2008). Ainsi, ce type de migration printanière de longue distance vers l’arctique est associé à de longues périodes de vol, ce qui nécessite une réorganisation physiologique à différentes échelles durant les périodes pré-migratoires et migratrices (Piersma 1998 ; Piersma et al 1999). Ainsi lors de ces migrations printanières vers les aires de reproduction arctiques, on observe, chez plusieurs espèces telles que le bécasseau maubèche (Calidris canutus), une hypertrophie des organes nutritionnels pendant l’accumulation des réserves en préparation pour le premier envol et pendant les pauses migratoires (Piersma et al 1999 ; Bauchinguer et al 2005). Dans les jours précédant le départ, ces oiseaux subissent ensuite une atrophie des organes nutritionnels (estomac, intestin et foie) au profit d’une hypertrophie des organes liés à l’exercice (muscles pectoraux, cœur) (Piersma 1998; Piersma et al 1999), augmentant ainsi leur capacité de vol. Les périodes de vol sont caractérisées par une perte de masse de la majorité des organes internes (Battley et al 2000), qui se reconstruisent à l’ arrivée sur les aires de reproduction (Morrison et al 2005).

La résidence
Si la migration permet d’éviter les climats hivernaux rigoureux, les espèces non migrantes qui passent l’année dans les régions de hautes latitudes doivent faire face en hiver à de basses températures nécessitant une production de chaleur couteuse en énergie tandis que les ressources alimentaires diminuent et sont moins accessibles (Hogstad 1989 ; Cooper 2000). Les petites espèces sont d’ autant plus affectées par ces mauvaises conditions en raison de leur faible ratio surface/volume (Aschoff 1981 ; Calder 1984) qui augmente les pertes de chaleur, et de leur petite taille qui limite l’accumulation de réserves lipidiques.

Ainsi, bien que la reproduction ait été considérée comme la période de demande maximale chez les espèces nidicoles (Drent et Daan 1980; V ézina et Sai vante 2010), certaines études ont récemment démontré que les dépenses énergétiques quotidiennes (DEE pour daily energy expenditure) hivernales chez les paridés des régions nordiques peuvent être égales ou supérieures à celles de leur reproduction (Cooper 2000 ; Doherty et al 2001). En effet, si les raisons de ces dépenses énergétiques hivernales élevées ne sont pas claires (Doherty et al 2001) il semble que la réduction de la disponibilité alimentaire (Weathers et al 1999) et l’augmentation du coût de la thermorégulation (Dawson et O’Connor 1996; Broggi et al 2004) en soient les causes les plus probables.

Ajustements physiologiques 

Afin de faire face aux contraintes engendrées par l’hiver, plusieurs ajustements corporels se mettent en place lors du processus d’acclimatation hivernale. L’acclimatation réfère à la réponse adaptative de l’organisme à un changement dans l’ environnement (Mckechnie 2008) et est à la base du processus de flexibilité phénotypique (Piersma et Drent 2003) qui s’exprime à plusieurs niveaux.

La Mue
En hiver, afin de réduire les pertes de chaleur causées par les basses températures, plusieurs espèces de passereaux augmentent la densité de leur plumage et améliorent ainsi son isolation (Cooper 2002 ; Lill et al 2006). C’est le cas de la mésange de Gambel (Poecile gambeli) dont la masse du plumage est 104 % plus élevée en hiver qu’ en été (Cooper 2002), ou du junco ardoisé (Junco hyemalis) qui est 32% plus isolé en hiver comparativement à l’été (Swanson 2001). Cependant, les espèces de petite taille sont limitées dans les ajustements apportés à leur isolation, car l’augmentation de la densité du plumage peut affecter leurs habilités de vol et ainsi augmenter leur vulnérabilité face aux prédateurs (Metcalfe et Ure 1995).

La performance métabolique
On observe également en hiver une augmentation de la performance métabolique rassemblant deux indicateurs : le taux métabolique de base (BMR pour basal metabolic rate) et la capacité maximale de production de chaleur par frissonnement (Msum pour summit metabolic rate).

Le BMR correspond à la consommation minimale d’énergie d’un animal adulte, à jeun, dans un état de repos, en condition de thermoneutralité et représente la demande énergétique nécessaire pour maintenir les fonctions physiologiques (Swanson 2010). Chez les espèces résidentes de petites tailles hivernant en climat froid, le BMR est généralement plus élevé en hiver qu’ en été (Cooper et Swanson 1994, Liknes et Swanson 1996 ; Swanson et Olmstead 1999 ; Liknes et al 2002 ; Cooper 2002 ; Arens et Cooper 2005 ; Mckechnie 2008 ; Zheng et al 2008). C’ est le cas du moineau domestique (Passer domesticus) dans le Wisconsin, pour qui l’on observe une augmentation de 69% du BMR en hiver comparativement à l’ été (Arens et Cooper 2005). Si les causes des variations saisonnières du BMR ne sont pas claires (Mckechnie 2008; Swanson 2010), on s’accorde généralement à dire que ces variations reflètent les changements de taille des organes internes et de leur intensité métabolique (i.e. consommation d’énergie par unité de masse). En effet, certains organes tels que le cœur ou les reins, bien que peu représentés dans la masse corporelle totale (Daan et al 1990), sont très actifs même au repos (Krebs 1950). Une variation significative de leur taille peut alors augmenter ou réduire la quantité totale de tissu actif et avoir un effet marqué sur le BMR (Mckechnie 2008).

Un certain nombre d’études suggèrent que les organes digestifs seraient la force motrice de l’ augmentation du BMR chez les oiseaux hivernant en climat froid (Williams et Tieleman 2000 ; Mckechnie 2008 ; Cavieres et Sabat 2008 ; Zheng et al 2008). En effet, la DEE en hiver peut surpasser celle mesurée en été chez les oiseaux résidents (Swanson 2010). Ces dépenses énergétiques forceraient l’individu à se nourrir d’avantage et à développer son système digestif. De plus, en hiver plusieurs espèces changent leur alimentation, passant d’une diète estivale composée d’insectes à une diète hivernale composée de graines moins digestibles (Karasov 1990), or une étude réalisée sur les cailles japonaises (Coturnixjaponicaf dom) a montré une augmentation de la taille du gésier et de la longueur de l’intestin en réponse à une proportion élevée de fibres végétales dans l’ alimentation (Starck et Rahmaan 2003). Ainsi le développement du système digestif, influencé par les dépenses énergétiques totales, ferait augmenter le BMR en hiver en raison de la consommation disproportionnée d’ énergie par ces organes chez l’animal au repos (Williams et Tieleman 2000 ; Zheng et al 2008).

Ainsi, chez les espèces résidentes, la performance métabolique hivernale (BMR et Msum) augmente en hiver afin de permettre aux individus de répondre aux contraintes induites notamment par les basses températures, ce qui nécessite une allocation d’énergie plus importante dans la thermorégulation et donc un métabolisme adapté.

Ajustements comportementaux 

L’utilisation de cavité nocturne et de l’hypothermie contrôlée
En plus des ajustements physiologiques, des changements comportementaux se mettent en place durant l’hiver et contribuent à rendre les espèces résidentes mieux acclimatées à cet environnement contraignant. Par exemple, pour réduire les pertes de chaleur pendant la nuit, certaines espèces utilisent des cavités faites par excavation dans des troncs d’ arbres ou dans la neige (Hogstad 1989 ; Cooper 1999). Ces petits espaces réduisent la perte de chaleur convective et radiative, et permettent à l’individu d’élever la température ambiante de la cavité (Andre ev 1980 ; Walsberg 1986). Ces espaces à demi-fermés protègent aussi l’oiseau contre les précipitations. Ainsi, l’utilisation de cavités permet de réduire les dépenses énergétiques liées à la thermorégulation en hiver. Par exemple, La mésange boréale (Poecile montanus) peut économiser jusqu’à 38% des coûts de thermorégulation nocturne en se réfugiant dans une cavité (Cooper 1999). Cependant, si l’utilisation d’une cavité réduit les coûts de thermorégulation, ces derniers peuvent toutefois s’avérer suffisamment élevés pour nécessiter des ajustements additionnels.

L’utilisation de l’ hypothermie nocturne contrôlée, émanant d’une décision de l’individu, permet de réduire d’avantage les dépenses énergétiques en diminuant la température corporelle. Ainsi, une réduction de la température corporelle de 3 à 11°C peut conduire à une économie d’énergie allouée à la thermorégulation de 50% chez la mésange à tête noire (Poecile atricapillus) comparativement à une nuit où la température corporelle serait maintenue à la même température que durant le jour (OIson et Grubb, 2007).

L’organisation sociale
Plusieurs espèces de passereaux non migrant passent l’hiver en groupe. En effet, une formation grégaire fournit plusieurs avantages tels qu’un meilleur succès dans la recherche de nourriture et une augmentation du temps moyen d’ alimentation, tout en en réduisant le risque de prédation individuel (Hogstad 1989). Ainsi, Pravosudov et Lucas (2000) ont démontré que pour des mésanges de Caroline (Poecile carolinensis) maintenues en captivité à une température de 19°C, les individus appartenant à un groupe ont une masse corporelle plus importante que lorsqu’ils sont solitaires. De plus, lors d’une attaque, un prédateur a moins de chance de capturer un individu au sein d’un groupe que lorsque celui-ci est solitaire (Caraco 1979).

La définition structurale de la dominance de Drews (1993) indique que : « La dominance est le résultat d’interactions répétées et agonistiques entre deux individus caractérisés par la victoire répétée en faveur du même individu et la défaite répétée de son adversaire. Le statut du gagnant est désigné dominant et celui du perdant est subordonné ». C’ est pourquoi, en fonction du statut des individus, la vie en groupe hiérarchique influence plusieurs éléments tels que l’ accès à la nourriture, la survie ou encore la reproduction. En effet, le rang de dominance a un impact sur plusieurs variables liées à l’ aptitude adaptative et cela se transpose généralement en un meilleur succès de reproduction (Mennill et al 2004) et un meilleur taux de survie pour les dominants (Ekman et Askenmo 1984 ; Desrochers et al 1988). Par exemple, les dominants ont un meilleur accès à la nourriture, parce qu’ils excluent les subordonnés des sites riches (Pravosudov et Lucas 2000), et parce qu’ils monopolisent les meilleurs endroits pour cacher leur nourriture (Glase 1974). Les dominants peuvent également chasser les subordonnés des habitats sécuritaires (Ekman et Askenmo 1984 ; Ekman 1989 ; Desrochers 1989), augmentant ainsi le risque de prédation des subordonnés. De plus, les subordonnés sont moins compétents face aux prédateurs parce qu’ils sont généralement plus jeunes et moins expérimentés (Glase 1974; Ekman 1989; Desrochers 1989; Koivula et al 1994). Enfin, dans un environnement avec ajout de nourriture, les subordonnés s’exposent à un plus grand risque de prédation en attendant leur tour près des mangeoires pour y accéder (Waite 1987).

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. La migration
2. La résidence
2.1 Ajustements physiologiques
2.2 Ajustements comportementaux
2.3 Effets du comportement sur la performance métabolique
3. Contribution originale
CHAPITRE 1 LES DOMINANTS DE LA MESANGE A TETE NOIRE NE PAYENT PAS DE COUTS ENERGETIQUES DE MAINTENANCE SUPPLEMENTAIRES POUR LEUR STATUT HIVERNAL ET NE SONT PAS PLUS ENDURANT AU FROID QUE LES INDIVIDUS SUBORDONNES
RÉSUMÉ EN FRANÇAIS DE L’ ARTICLE
Introduction
Materials and methods
Results
Discussion
Acknowledgments
CHAPITRE 2 CONCLUSION

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