Effets potentiels des changements climatiques sur les espèces productrices de petits fruits

Expansion arbustive

Au cours des 20 dernières années, les changements climatiques ont entraîné un verdissement de l’hémisphère Nord qui est en grande partie dû à une expansion rapide et très répandue de la strate arbustive dans la zone circumpolaire (p. ex., Shabanov et al. 2002, lia et al. 2003, T0mmervik 2004, Myers-Smith et al. 2011 , McManus et al. 2012, lu & Masek 2016). L’avancée récente des espèces arbustives dans la toundra implique surtout des arbustes érigés décidus, en particulier des bouleaux, saules et aulnes (Myers-Smith et al. 2011). Une augmentation arbustive fut observée au cours des dernières décennies au Nunavik (Ropars & Boudreau 2012, Tremblay et al. 2012, Provencher-Nolet et al. 2015). Notamment, dans la vallée Tasiapik et sur la côte au sud du village d’Umiujaq, la strate arbustive a considérablement pris de l’ampleur entre 1990 et 2010, surtout dans les zones de pergélisol en dégradation (Provencher-Nolet et al. 2015).

Les espèces productrices de petits fruits dans la zone d’étude se développent en compagnie d’ arbustes érigés décidus (Retula glandulosa Michx, SaUx spp. et Alnus viridis subsp. crispa (Aiton) Turrill). Ces espèces arbustives possèdent un taux de croissance élevé, une grande plasticité phénotypique. Elles sont présentes dans la majorité des milieux de la région et sont très bien adaptées pour coloniser rapidement le milieu lors de légères variations environnementales favorables (Uchytil 1991 , Aerts et al. 2006, Aiken et al. 2007, Tollefson 2007, Myers-Smith et al. 2011). Le bouleau glanduleux, Betula glandulosa Michx., est l’arbuste le plus présent dans le paysage et semble être la principale espèce associée à ce changement (Tremblay et al. 2012). Ce changement rapide de la strate arbustive pourrait avoir des conséquences non négligeables au niveau de la structure et de la dynamique des écosystèmes toundriques. Entre autres, ce phénomène diminue la température au soli ‘ été par ombrage, augmente la captation de neige et diminue la richesse spécifique (Sturm et al. 2005, Cornelissen et al. 2007, Myers-Smith et al. 20 Il).

Impacts potentiels de la présence d’arbustes érigés sur les espèces productrices de petits fruits Les changements de distribution varient selon les seuils physiologiques de chaque espèce (Woodward 1987). C’est pourquoi certaines espèces tels les arbustes décidus qui ont une croissance rapide suivront les tendances décennales de réchauffement rapidement en prenant de l’expansion en hauteur, en largeur ainsi qu’en altitude et en latitude alors que d’ autres en seront incapables (Aerts et al. 2006, Myers-Smith et al. 2011). De plus, avec l’augmentation des températures, la disponibilité en nutriments peut être plus élevée, ce qui favorise d’autant plus les espèces à croissance rapide (van Wijk et al. 2004). En toundra arbustive, les espèces opportunistes, comme les arbustes érigés, profitent beaucoup des changements climatiques, envahissent le milieu, déplacent les autres espèces moins compétitives et intolérantes à l’ombre et diminuent ainsi la richesse spécifique de cet habitat (Fig. 1.4; Wilson & Nilsson 2009, Pajunen et al. 20 Il).

L’augmentation du couvert arbustif érigé engendre une compétition interspécifique pour les ressources (Nutriments, lumière, eau; Shevtsova et al. 1997, Gerdol et al. 2000) et modifie les facteurs abiotiques du milieu (Fig. 1.4; Forseth et al. 2001). Cette compétition grandissante (lumière, eau et nutriments) peut ralentir la croissance (Parsons et al. 1994, Press et al. 1998) ou inhiber la reproduction des espèces présentes avant l’envahissement tel les espèces à petits fruits (Wookey et al. 1995, Jacquemart 1996, van Wijk et al. 2004). Suite à l’expansion des arbustes érigés, la lumière disponible pour les plantes sous couvert pourrait grandement diminuer. L’assimilation de carbone via la photosynthèse est donc diminuée sous couvert affectant ainsi négativement la croissance, la floraison et la fructification (Chapin & Shaver 1985, Shevtsova & Ojala 1995, Bazzaz et al. 2000, Kudo et al. 2008, Wang et al. 2009). De plus, probablement à cause du manque de lumière, les plantes sous ombrage assimilent moins de nutriments (Chapin et al. 1995, Chapin & Shaver 1996).

La réduction de lumière engendrée par le couvert arbustif érigé diminue la température au sol en été (Fig. 1.4; Pelletier 2015), ce qui pourrait également défavoriser les trois espèces productrices de petits fruits à l’étude qui sont sensibles aux changements de température. Le réchauffement artificiel accélère le débourrement végétatif et augmente la croissance et la masse des rameaux de celles-ci (Parsons et al. 1994, Jacquemart 1996, Shevtsova 1997). La diminution de la lumière n’ affecte pas V vitis-idaea, mais diminue la masse des parties aériennes d’E. nigrum (Chapin et Shaver 1985). Vaccinium uliginosum quant à elle est une plante héliophile rarement retrouvée dans des peuplements denses où la compétition pour la lumière est forte (Jaquemart 1996). En milieu forestier les espèces à petits fruits sont plus abondantes et productives dans les milieux ouverts et lorsque la végétation dominante est basse avec une faible densité (Noyce & Coy 1989, Hébert et al. 2008).

Cette diminution semble également être présente en milieux arbustif (Lavallée 2013). Myers-Smith & Hik (2013) ont démontré que la strate arbustive érigée n’a pas d’impact clair sur le taux de décomposition, les flux de carbone et le cycle de l’ azote. La litière d’ arbustes décidus est davantage récalcitrante que celle en toundra herbacée (Hobbie 1996; Comelissen et al. 2007; Baptist et al. 2010) ce qui implique un taux de décomposition réduit sous arbustes. Cependant, d’autres recherches ont constaté que la quantité d’ azote et son taux de minéralisation étaient plus élevés sous arbustes érigés comparativement aux arbustes nains et aux milieux humides (Buckeridge et al. 2010, Chu & Grogan 2010). Ces résultats contrastés suggèrent que malgré une litière récalcitrante sous arbustes érigés, l’ effet de l’ arbustation sur la disponibilité en nutriments est encore peu compns. L’expansion arbustive pourrait engendrer une perte localisée des espèces productrices de petits fruits. Effectivement, Pearson et al. (2013) prédisent que, d’ ici 2050, les arbustes érigés pourraient remplacer les graminoïdes, les herbacés et les arbustes prostrés, et cette problématique affecterait de 50 à 70 % des communautés arctiques.

Discussion

L’ arbustation qui semble généralisée à l’échelle circumpolaire (Myers-Smith et al. 2011) est très importante près de la limite des arbres à Umiujaq (Provencher-Nolet et al. 2015). Nous avons ici testé l’hypothèse selon laquelle la présence des arbustes érigés avait des effets négatifs à travers toute la variabilité environnementale et arbustive des habitats étudiés sur les trois espèces à petits fruits en diminuant leur fréquence d’occurrence (plants et fruits), leur productivité, leur recouvrement et/ou leur mûrissement. L’analyse comparative de la performance des espèces à petits fruits à travers le gradient étudié démontre une réduction du recouvrement et de la productivité sous arbustes érigés à travers tout le gradient de recouvrement et de hauteur de la strate arbustive érigée démontre que seulement par leur présence, les arbustes érigés ont le potentiel de diminuer l’abondance et la productivité des espèces à petits fruits (Annexe A). Les réponses varient légèrement entre les espèces, l’impact du couvert arbustif diminue clairement la performance pour E. nigrum et V uliginosum ainsi que pour V vitis-idaea dans les milieux où le couvert au sol n’est pas dominé par le lichen (> 84.5 % du temps).

Ces résultats démontrent que les conditions environnementales sont en général plus favorables pour les trois espèces en milieux ouverts qu’en milieu fermé. Lors d’une augmentation de la compétition interspécifique, il est fréquent d’observer une diminution de la richesse spécifique au détriment des espèces plus basses et moins compétitives (Parsons et al. 1994, Chapin et al. 1995, Jumpponen et al. 1998, Bret-Harte et al. 2001 , Totland et al. 2004, Pajunen et al. 2011). Nos résultats sont cohérents avec des études qui ont démontré que la densité, la croissance, la biomasse aérienne et l’effort reproducteur d’arbustes nains tels qu’E. nigrum, V uliginosum et V vitis-idaea pouvaient être diminués sous arbustes érigés, en milieu forestier et par ombrage artificiel (Iason & Hester 1993, Tolvanen 1995, Totland 2002, Pajunen et al. 20 Il). Cette réduction de performance pourrait être attribuable à la diminution de la lumière accessible et de la température estivale sous arbustes (Kuusipalo 1988, Wookey et al. 1993, Shevtsova 1997, Totland & Esaete. 2002). L’augmentation de la température favorise de manière générale la crOIssance végétative des espèces à l’étude (Parsons et al. 1994, Shevtsova et al. 1997, Wada et al. 2002, Kudo & Suzuki 2003), il est donc cohérent que le couvert des espèces à petits fruits soit généralement supérieur en milieu ouvert où les conditions sont plus chaudes en été (Myers-Smith & Hik 2013, Paradis et al. 2016, Pelletier 2015). Les espèces à feuilles pérennes, telles que V vitis-idaea et E. nigrum, peuvent profiter de la lumière accessible avant le débourrement de l’espèce compétitrice dès la fonte du couvert nival pour assimiler du carbone (p. ex. Billings & Mooney 1968, Aerts et al. 2006, Letts et al. 2012).

Table des matières

REMERCIEMENTS
AVANT -PROPOS
RÉSUMÉ
LISTE DES FIGURES
LISTE DES T ABLEAUX
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1 Mise en contexte du site d’étude.
1.2 Espèces productrices de petits fruits
1.2.1 Empetrum nigrum
1.2.2 Vaccinium uliginosum
1.2.3 Vaccinium vitis-idaea
1.3 Effets potentiels des changements climatiques sur les espèces productrices de petits fruits
1.3.1 Température
1.3.2 Changements hydrologiques
1.3.3 Nutriments
1.4 Expansion arbustive
1.5 Impacts potentiels de la présence d’arbustes érigés sur les espèces productrices de petits fruits
1.5.1 Compétition
1.5.2 Facilitation
1.6 Les impacts d’une diminution de productivité de fruits
1.6.1 Communautés inuites
1.6.2 Communautés animales
1.7 Objectifs et hypothèses
1.8 Méthodes
1.8.1 Objectif1
1.8.2 Objectif 2
1.9 Résultats
1.9.1 Objectifl
1.9.2 Objectif 2
CHAPITRE II LES IMPACTS NÉGATIFS DU COUVERT ARBUSTIF SUR L’ABONDANCE ET LA PRODUCTIVITÉ D’EMPETRUM NIGRUM, VACCINIUM ULIGINOSUMET VACCINIUM VITIS-IDAEA À UMIUJAQ (NUVAVIK°)
Résumé
Introduction
Méthodologie
Résultats
Discussion
Remerciements
Références
CHAPITRE III CONDITIONS ENVIRONNEMENTALES FAVORISANT L’ABONDANCE ET LA PRODUCTIVITÉ D’EMPETRUM NIGRUM, VACCINIUM ULIGINOSUM ET VACCINIUM VITIS-IDAEA À UMIUJAQ (NUVAVIK
Résumé
Introduction
Méthodologie
Résultats
Discussion
Remerciements
Références
CHAPITRE IV CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPIDQUES
ANNEXE A VARIABILITÉ DU PATRON OBSERVÉ POUR LE RECOUVREMENT ET LA PRODUCTIVITÉ DES ESPÈCES À PETITS FRUITS EN FONCTION DES COMPOSANTES ENVIRONNEMENTALES ET ARBUSTIVES ÉTUDIÉES
ANNEXE B RÉSULTATS DES TESTS DE CHI-CARRÉ ET DES TESTS À POSTERIORI  DE cm CARRÉ SUR L’OCCURRENCE DES ESPÈCES À PETITS FRUITS DANS LES QUATRES POSITIONS ÉTUDIÉES À UMIUJAQ (NUNA VIK
ANNEXE C RÉSULTATS DES TESTS DE FRIEDMAN ET DES TESTS À POSTERIORI DE WILCOXON, NEMENYI, MCDONALD-THOMPSON COMPARANT LA VARIANCE DU RECOUVREMENT ET DE LA PRODUCTIVITÉ DES ESPÈCES À PETITS FRUITS À UMIUJAQ, NUNA VIK
ANNEXE D EFFET DE L’AUGMENTATION EN HAUTEUR ET DE LA DENSIFICATION DE LA STRATE ARBUSTIVE ÉRIGÉE SUR LE RECOUVREMENT ET LA PRODUCTIVITÉ DES ESPÈCES À PETITS FRUITS
ANNEXE E OCCURRENCE ET COOCCURRENCES DES ESPÈCES À PETITS FRUITS À UMIUJAQ, NUNAVIK
ANNEXE F COMPARAISON DE LA PRODUCTIVITÉ PAR COUVERT DES ESPÈCES À PETITS FRUITS ENTRE LES QUATRE POSITIONS À UMIUJAQ, NUNA VIK
ANNEXE G COMPARAISON DE LA PRODUCTIVITÉ EN PETITS FRUITS ENTRE LES ANNÉES 2014 ET 2015
ANNEXE H EFFICACITÉ DE L’ESTIMATION VISUELLE DE LA PRODUCTIVITÉ PAR COUVERT

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