EPISTEMOLOGIE DE LA RECHERCHE : PROBLEMATISATION D’UNE QUESTION EMPIRIQUE

EPISTEMOLOGIE DE LA RECHERCHE : PROBLEMATISATION D’UNE QUESTION EMPIRIQUE

Nous rendons compte dans cette première grande partie de la façon dont s’est construite notre recherche et de notre cheminement entre des éléments tirés de notre expérience à l’université Galatasaray et de plusieurs cadres conceptuels. Un premier chapitre (I) présente des réflexions issues de notre expérience au sein de l’université Galatasaray (I). Le deuxième chapitre rend compte de notre recherche de cadres conceptuels permettant de guider la recherche empirique (II). Le troisième précise les orientations épistémologiques de la recherche avant d’en présenter les orientations empiriques sous forme de problématique et d’hypothèses (III). Enfin, le dernier chapitre expose les choix méthodologiques effectués pour traiter des questions d’institutionnalisation du statut du français comme langue d’enseignement dans des contextes globalement non francophones (IV). L’université Galatasaray en Turquie est un « contexte expérientiel » : nous y sommes intervenue comme enseignante de français. L’université sert de cadre aux premières réflexions et à l’étude empirique. S’il apparaît relativement banal de trouver aujourd’hui des formations universitaires en langue anglaise un peu partout dans le monde – sans pour autant qu’elles soient consensuelles -, le cas de formations universitaires de langue française, hors du « monde francophone », est lui plutôt rare et fait figure d’exception dans des paysages sociaux, culturels, universitaires globalement « non francophones », comme celui de la Turquie. Nous appelons contextes « francophones » des contextes où le français est langue des principaux échanges sociaux et, en l’occurrence, langue principale des enseignements universitaires. Nous appelons « non francophones » des contextes où la langue française n’est pas utilisée dans les principaux usages sociaux, mais où marginalement, exceptionnellement, elle est instituée langue d’enseignement. Il s’agit évidemment de formules raccourcies : les situations sociolangagières sont beaucoup moins absolues que les formulations adoptées pour les désigner.

Du fait de cette « exceptionnalité », le cas de l’université Galatasaray, où le français a le statut de langue d’enseignement dans les formations délivrées, est un cas qui suscite plusieurs questions. Nous avons souhaité observer le statut du français de langue des enseignements en sortant de notre poste d’observation privilégié : celui d’enseignante de français. L’université Galatasaray ne relève pas a priori de la catégorie « formation francophone » : elle la recouvre largement. Nous considérons cependant qu’elle est « francophone » parce qu’il existe des formations en langue française au sein de l’université. Comme les formations implantées de manière relativement isolées au sein d’autres universités, beaucoup plus modestes, les formations de l’université ne visent pas la formation de futurs spécialistes en langue ou cultures françaises, ce ne sont pas de formations de didactique des langues, ni de philologie française, ni de traduction, mais des formations orientées sur des disciplines variées en sciences sociales, en ingénierie, en sciences « dures »2. L’université Galatasaray est même un cas d’autant plus intéressant que, précisément, il ne s’agit pas d’une formation isolée mais d’un ensemble de formations, qu’elle jouit d’une notoriété certaine à l’intérieur et hors des frontières de la Turquie et qu’elle a fêté ses vingt ans d’existence en 2012. La longévité de ses formations où le français jouit du statut de langue des enseignements dans un contexte

social et universitaire « non francophone » constitue, selon nous, un paradoxe, que nous nous attacherons à préciser plus loin. Comment comprendre la longévité de formations universitaires en langue française dans des contextes non francophones ? Avant de nous engager plus avant, il convient de faire quelques précisions terminologiques sur ce que nous entendons par « formation universitaire francophone ». Pourquoi utiliser le terme de « formation », alors que les institutions de coopération (MAE et AUF) utilisent celui de « filière » ? Qu’est-ce qui, en outre, justifie l’usage de la qualification « francophone » et que recouvre-t-elle ? L’AUF3 et le gouvernement français, par la voix du ministère des Affaires étrangères4 et de sa Direction générale à laquelle sont rattachées les actions culturelles5, tendent à parler / tendaient à parler de « filières universitaires francophones ».

Il n’existe pas de définition unique et consensuelle de ce qu’est une « filière ». Quand elles existent, les définitions varient selon l’un ou l’autre organisme, et même au sein du même organisme, dans des documents d’époque différente, mais aussi au sein de la même époque, au point que l’on peut se demander de qui une filière est filière6. Nous n’avons pas adopté le terme de « filière » que nous jugeons problématique et nous avons choisi d’utiliser le terme plus neutre de « formation » universitaire que nous entendons comme une organisation centrée sur un curriculum d’apprentissage et d’enseignement permettant d’accéder à un diplôme universitaire7 . Quant à la qualification « francophone », qui signifie, par raccourci, que le français a le statut de langue d’enseignement, elle pourrait être appliquée à n’importe quelle formation dans le monde qui institue le français langue des enseignements – formations universitaires en France comprises. Mais ses usages visent à souligner une particularité, une singularité dans les champs sociaux et universitaires dans lesquels elles sont implantées.

Le critère retenu par le MAE est celui de la rareté : qualifier des formations de « francophones » ne signifie pas seulement que des enseignements y sont délivrés en français, mais aussi que de telles formations en langue française sont rares dans les champs universitaires où elles sont implantées. Quelle étendue donner alors à cette rareté ? Les répertoires de 1997 et 2006 produits par le MAE présentent des définitions sensiblement différentes qui dénotent là aussi un certain tâtonnement quant à ce que recouvre la désignation. Dans un répertoire des « filières francophones » de 1997, le MAE / DGRCST propose d’exclure des formations « francophones » les universités des pays où le français est d’utilisation normale dans l’enseignement supérieur (Belgique, Suisse, Québec, pays francophones d’Afrique et pour certaines disciplines, Maghreb) »8. L’adjectif « normal » est non seulement imprécis, mais éminemment discutable : quelles frontières tracer entre des usages « normaux » et des usages « moins normaux ».

 

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