Est-ce que l’hameçon circulaire peut réduire la mortalité à la remise à l’eau sans diminuer le succès de pêche?

La pêche récréative est une activité économique importante dans beaucoup de pays industrialisés, et peut globalement avoir un impact négatif majeur sur l’état des stocks de poissons (Cooke & Cowx 2004). On estime que 12 % des poissons récoltés dans le monde sont issus de la pêche récréative, comptant pour environ 17 milliards de poissons annuellement (Cooke & Cowx 2004). Au Canada, près de 10 % de la population s’adonne à cette activité au moins une fois par an (Pêche et Océans Canada 2012). À la différence de la pêche commerciale, la pêche sportive vise le loisir plutôt que la consommation. Ainsi, les pêcheurs recherchent d’abord et avant tout la capture, mais pas nécessairement la récolte. Ceci fait en sorte que seulement une fraction des poissons capturés est récoltée (Cooke & Cowx 2004). Au Canada, seulement 38 % des 193 millions de poissons capturés annuellement sont conservés (Pêche et Océans Canada 2012). Ces 56 millions de poissons non récoltés sont donc graciés, c’est-à-dire qu’ils sont remis à l’eau par les pêcheurs. Cette pratique, qui existe depuis plusieurs siècles (Policansky 2002), est généralement effectuée dans l’objectif précis de retourner le poisson dans la population pour que celui-ci atteigne une taille plus grande et se reproduise avant d’être capturé à nouveau plus tard (Wydoski 1977). Entre 1995 et 2010, le taux de remise à l’eau des poissons par les pêcheurs canadiens a augmenté de 12 % (Pêche et Océans Canada 1997, 2012). Le Québec ne fait pas exception à cette tendance, bien que les pêcheurs québécois relâchent moins leurs prises que ceux des autres provinces. Cette hausse du taux de remise à l’eau peut être expliquée par l’implantation croissante de mesures législatives (c.-à-d. limites de taille), couplée à une conscientisation des pêcheurs sportifs vers l’exploitation durable, incitant de plus en plus de pêcheurs à remettre une partie de leurs prises à l’eau (Arlinghaus et al. 2007). Par exemple, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a récemment mis en place des plans de gestion de la pêche pour certaines espèces en déclin, qui impliquent des réglementations nécessitant la remise à l’eau de certaines tailles. Ainsi, le doré jaune (Sander vitreus) et le touladi (Salvelinus namaycush) sont deux espèces très prisées des pêcheurs sportifs pour lesquelles les remises à l’eau sont plus fréquentes depuis 2011 et 2014 respectivement (Arvisais et al. 2012; Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs 2014). D’un autre côté, l’omble de fontaine est l’espèce la plus exploitée au Québec, mais n’est encadrée par aucun plan de gestion pour le moment (Pêche et Océans Canada 2012). Cela représente une opportunité pour mener des travaux afin d’évaluer si des mesures de gestion impliquant de la remise à l’eau sont envisageables.

Chaque évènement de remise à l’eau se base sur la prémisse que le poisson survivra au fait d’être capturé, manipulé hors de l’eau pendant un certain temps, puis remis à l’eau. Ce n’est toutefois pas toujours le cas : une fraction des poissons graciés subissent de la mortalité, pour différentes raisons. Dès les années 1930, des recherches ont été effectuées pour identifier les facteurs responsables de la mortalité des poissons remis à l’eau (Westerman 1932). Depuis, des centaines d’études ont été publiées sur le sujet, permettant de mieux comprendre la mortalité à la remise à l’eau, ses causes et ses effets (Muoneke & Childress 1994). De récentes revues de la littérature ont estimé que 16 à 18 % des poissons remis à l’eau dans les pêcheries récréatives mondiales mourraient (Bartholomew & Bohnsack 2005; Hühn & Arlinghaus 2011). La mortalité à la remise à l’eau présente des conséquences négatives sur plusieurs aspects : pour ceux qui la pratiquent volontairement, cela contrevient avec leur objectif de faire survivre le poisson. Pour les gestionnaires de la ressource, elle diminue l’efficacité des mesures de gestion impliquant de la remise à l’eau de poissons de tailles spécifiques (Wydoski 1977). Si par exemple les poissons d’une gamme de taille doivent être remis à l’eau, une forte mortalité à la relâche peut contrecarrer l’objectif de la mesure de gestion en éliminant les poissons que l’on souhaite protéger (Cooke et al. 2005). Il est aujourd’hui connu que la mortalité à la remise à l’eau est causée par un ensemble de facteurs biologiques et anthropiques. Les caractéristiques biotiques et abiotiques associées au milieu influenceront le risque de mortalité des poissons remis à l’eau, incluant : l’espèce (Hühn & Arlinghaus 2011; Muoneke & Childress 1994), la taille du poisson (Bartholomew & Bohnsack 2005), la température de l’eau (Gale et al. 2013) et la profondeur à laquelle le poisson est pêché (Muoneke & Childress 1994). D’autre part, plusieurs paramètres sont contrôlés par les pêcheurs dans leur façon de capturer le poisson tels que le type et la taille de l’hameçon utilisé, le type d’appât ou de leurre, la technique de pêche, la durée du combat avec le poisson, la durée de l’exposition du poisson à l’air, la manipulation du poisson et le site de ferrage (c.à.d. l’endroit où se pique l’hameçon lorsqu’un poisson est capturé; résumés dans Bartholomew & Bohnsack 2005; Hühn & Arlinghaus 2011; Muoneke & Childress 1994). Ce dernier est cependant le facteur le plus influent sur la mortalité des poissons relâchés. Plus précisément, un poisson ferré profondément (dans les branchies ou l’œsophage) courra un risque plus élevé de mourir qu’un poisson ferré dans la mâchoire ou la bouche (Muoneke & Childress 1994). De la même façon, les hameçons trop petits pour l’espèce ciblée augmentent les risques de ferrage profond (Alos et al. 2008a). Au niveau de l’engin de pêche, les appâts naturels sont reconnus comme étant plus mortels que les leurres artificiels, car leur utilisation cause plus souvent des ferrages profonds (Bartholomew &  Bohnsack 2005). La technique de pêche employée influencera la manière dont le poisson mordra à l’engin de pêche. Les techniques plus actives comme la pêche à la traîne produiront moins de ferrages profonds comparativement aux techniques passives comme la pêche à ligne morte, où le poisson dispose de plus de temps pour avaler l’hameçon (Lennox et al. 2015).

Finalement, le type d’hameçon utilisé peut affecter grandement les chances de survie du poisson gracié. En général, les hameçons utilisés dans les pêcheries sportives sont divisés en deux types : l’hameçon simple (ou en « J ») et le trépied, ci-après appelés hameçons conventionnels (Muoneke & Childress 1994). Un hameçon en « J » a toujours la pointe parallèle à la hampe, tandis qu’un trépied est formé de trois hameçons simples soudés par la hampe, ayant la forme d’un grappin (Cooke & Suski 2004; ). Bien qu’ils soient parfois utilisés pour pêcher les mêmes espèces, ces deux types d’hameçons seront associés à des risques de mortalités différents. Dans la littérature, il est souvent décrit que l’hameçon en « J » va procurer des taux de mortalité élevés dû aux blessures qu’il occasionne lorsque ferré profondément (Muoneke & Childress 1994). Le trépied, de par ses dimensions plus imposantes, est moins facilement avalé par le poisson, mais est en général plus difficile à décrocher dû à ses pointes multiples, qui demandent une durée de manipulation et d’exposition à l’air plus longue, augmentant du même coup les risques de mortalité (Muoneke & Childress 1994). Bien que ces types d’hameçons possèdent tous deux des avantages, l’hameçon en « J » est reconnu pour causer de la mortalité à la remise à l’eau plus fréquemment que le trépied (Muoneke & Childress 1994). De nombreux efforts ont été effectués dans les dernières années pour développer ou populariser des types d’hameçons réduisant la mortalité à la remise à l’eau. Par exemple, les hameçons sans ardillons sont un bon moyen de réduire les blessures associées au ferrage et la durée d’exposition à l’air pour lesquels plusieurs recherches ont été menées (p. ex. Gutowsky et al. 2011; Meka 2004). L’hameçon circulaire est un autre type d’hameçon publicisé en tant qu’outil pour la remise à l’eau (Cooke & Suski 2004).

D’un point de vue de design, l’hameçon circulaire consiste en un hameçon simple avec une courbure plus prononcée, faisant en sorte que la pointe forme un angle de 90° avec la hampe (Cooke & Suski 2004; Serafy et al. 2012; Figure 1). La forme arrondie de l’hameçon circulaire est la différence qui lui conférerait des avantages par rapport aux autres pour réduire la mortalité due au ferrage. En étant perpendiculaire à la hampe, la pointe de l’hameçon est moins exposée, ce qui diminue les risques de ferrage profond lorsque le poisson avale l’hameçon (Cooke & Suski 2004). Cela permettrait à l’hameçon de glisser hors du fond de la bouche du poisson dans la plupart des cas et de s’accrocher au premier obstacle rencontré: la mâchoire (Cooke & Suski 2004; Johannes 1981). En diminuant l’incidence du ferrage profond, l’hameçon circulaire diminuerait donc les risques de mortalité.

Les pêcheries commerciales avec palangre ont été les premières pêcheries modernes à employer les hameçons circulaires à grande échelle. Ces derniers étaient plus efficaces que les hameçons en « J » pour capturer les poissons (McEachron et al. 1985). Les palangres étant d’énormes lignes dormantes, la forme de l’hameçon circulaire permettait de garder les poissons accrochés plus longtemps sur la ligne (Bjordal 1988). Comme beaucoup de prises accessoires étaient effectuées dans les pêches commerciales, ce type d’hameçon présentait aussi un avantage en réduisant la mortalité à la remise à l’eau de ces poissons (Trumble et al. 2002). Ce n’est qu’au début des années 1990 que les hameçons circulaires ont présenté un intérêt pour les pêcheurs récréatifs et ont commencé à gagner en popularité (Cooke & Suski 2004). Cependant, leur utilisation est aujourd’hui encore peu répandue, car ils sont relativement peu connus des pêcheurs. Ainsi, on ne les retrouve pas encore dans tous les magasins d’équipement de pêche. De plus, aucune province canadienne n’a de réglementation obligeant l’utilisation de ce type d’hameçon, et seulement trois provinces (Colombie-Britannique, Ontario et Saskatchewan) en font la recommandation pour la pêche avec remise à l’eau.

Table des matières

I – INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 OBJECTIFS DU PROJET
II – EFFECTS OF CIRCLE HOOKS USE ON THE RELEASE MORTALITY AND
FISHING SUCCESS FOR TWO FRESHWATER SALMONIDS
2.1 INTRODUCTION.
2.2 MATERIALS AND METHODS
2.2.1 Study design
2.2.2 Sampling
2.2.3 Hook metrics
2.2.4 Statistical analyses
2.4 DISCUSSION
2.4.1 Lake trout
2.4.2 Brook trout
III – EFFETS DE L’HAMEÇON CIRCULAIRE SUR LA MORTALITÉ À LA REMISE À L’EAU ET LE SUCCÈS DE PÊCHE DU DORÉ JAUNE
3.1 PROBLÉMATIQUE
3.2 MATÉRIEL ET MÉTHODES
3.3 RÉSULTATS
3.4 DISCUSSION
IV – SÉLECTIVITÉ DES ENGINS DE PÊCHE SPORTIVE
4.1 PROBLÉMATIQUE
4.2 MÉTHODOLOGIE
4.3 RÉSULTATS
4.4 INTERPRÉTATION
CONCLUSION

Cours gratuitTélécharger le document complet

 

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *