Estimation de la visibilité météorologique par caméras routières

Les transports, quel que soit leur mode (aérien, maritime ou routier), font partie des activités humaines sur lesquelles les conditions météorologiques exercent une influence significative, voire critique. C’est la raison pour laquelle il est important de pouvoir connaître, si possible à l’avance, certains paramètres atmosphériques influents. Dans ce contexte, l’observation de la visibilité météorologique constitue un problème à la fois important en termes d’enjeux et difficile en termes de réalisation.

La sécurité routière, l’efficacité des infrastructures de transport ainsi que l’environnement et la santé font partie des principaux enjeux concernés par la visibilité météorologique.

Sécurité routière
La réduction de la visibilité constitue un problème de sécurité routière, qu’elle soit due à la poussière, à la fumée ou au brouillard. Les tempêtes de poussière peuvent ainsi causer des carambolages dramatiques en réduisant la visibilité à zéro. De tels phénomènes se déclenchent dans les zones agricoles sèches sujettes à l’érosion, telle que la route I-5 de la vallée San Joaquin en Californie, sur laquelle un carambolage impliquant 164 véhicules a tué 17 personnes et en a blessé 151 [Pauley et al., 1996], ou encore l’autoroute A19 en Allemagne, où un carambolage impliquant 82 véhicules a tué 8 personnes et en a blessé 100 [Hunfeld et al., 2011]. La fumée produite par les usines ou les incendies à proximité des routes peut également réduire la visibilité de manière drastique [Abdel-Aty et al., 2011]. Les accidents par temps de brouillard sont quant à eux plus graves que la moyenne [Abdel-Aty et al., 2011]. D’après la NOAA [Whiffen et al., 2004], les États Unis connaissent chaque année près de 700 décès dans des accidents causés par le brouillard, caractérisé par une visibilité inférieure à 400 m (1/4 mile). La France subit ce problème avec la même ampleur, en proportion de son nombre d’habitants, avec plus de 100 morts liées à la visibilité réduite sur la route chaque année. Le brouillard génère donc des problèmes d’une importance significative et comparable sur les routes nord-américaines et françaises. La combinaison du brouillard et de la fumée est encore pire, causant des carambolages tels que celui de l’A10 près de Coulombiers en 2002, qui a impliqué 58 véhicules, tuant 8 personnes et en blessant 40. Même si ces deux phénomènes diffèrent dans leurs origines, leur effet combiné est exponentiel, réduisant localement la visibilité à zéro. Et il faut souligner que la solution à ce problème ne réside pas simplement dans une meilleure détection des conditions de faible visibilité, mais tient plutôt dans la réponse des conducteurs à la présence de brouillard lorsqu’elle est détectée.

De fait, les conducteurs adoptent souvent des comportements inappropriés par temps de brouillard (e.g. interdistances réduites, temps de réaction altérés), comportements dont il est difficile de comprendre les origines [Kang et al., 2008]. Plusieurs contre-mesures ont été imaginées et testées pour atténuer les conséquences d’une réduction critique de la visibilité [Shepard, 1996]. Les vallées californiennes de San Joaquin et de Sacramento fournissent un environnement idéal pour réaliser ce genre de test, en raison du phénomène connu par les riverains sous le nom de « Tule Fog ». Dans la région de Stockton, le ministère des transports californiens exploite un système d’alerte automatisé (CAWS pour Caltrans Automated Warning System) composé de stations météorologiques et de visibilimètres installés en bord de route pour détecter le brouillard [Mac Carley, 2005]. Sur une section d’une vingtaine de kilomètres le long de la route nationale 99, Caltrans a récemment déployé un système baptisé « Fog Pilot », qui fait appel à une instrumentation de haute technologie tous les 400 m (1/4 mile).

Exploitation des infrastructures de transport

En plus du problème de sécurité, la faible visibilité génère des délais et des interruptions dans les transports terrestres, mais également maritimes et aériens, que ce soit pour les passagers ou les biens. Sur les autoroutes, les carambolages créent des congestions de trafic exceptionnelles, qui obligent parfois le gestionnaire à fermer temporairement son réseau. Il n’est pas rare que les média se fassent l’écho de tels évènements. L’aéroport d’Heathrow, en Angleterre, a ainsi été bloqué 3 jours durant la période de Noël en 2006. De tels blocages ont naturellement des conséquences économiques importantes [Pejovic et al., 2009]. Selon Perry et Symons [Perry et Symons, 1991], le brouillard a coûté pendant l’année 1974 près de 120 millions de livres sterling (en coût 2010) sur les routes britanniques. Ce chiffre comprend le coût des traitements médicaux, celui des dégâts matériels subis par les véhicules et les biens, ainsi que le coût des service de secours, de police et d’assurance, mais il exclut le coût généré par les retards subis par les véhicules qui furent bloqués sans être directement impliqués dans les accidents.

Environnement et santé

En outre, la visibilité atmosphérique est liée aux questions environnementales. Il arrive qu’on cherche à la protéger pour des motifs esthétiques et paysagers qu’il est difficile de formaliser ou de quantifier. À part dans les parcs nationaux américains [Committee on Haze in National Parks and Wilderness Areas, 1993] ou dans les règlementations sur la publicité au bord des autoroutes, le fait de considérer la visibilité comme une ressource à protéger reste néanmoins exceptionnel.

Mais au-delà de l’aspect esthétique, la faible visibilité constitue également un symptôme de problèmes environnementaux, car elle est associée à la pollution [Hyslop, 2009]. De fait, le lien entre visibilité réduite et mortalité ayant été démontré [Thach et al., 2010], la visibilité fournit un indicateur utile et une alternative à la surveillance des polluants lorsqu’il s’agit d’étudier les effets de la pollution de l’air ambient sur la santé publique.

Prévision météorologique

Pour prévenir les problèmes de sécurité, de mobilité et de santé liés aux conditions de visibilité, il est essentiel de connaître la visibilité météorologique le plus précisément possible, et si possible avec un temps d’avance. La prévision météorologique à court terme (3h, voire 6h) appelée «prévision immédiate», permet de prévoir des évènements locaux tels que des averses et des orages avec une précision raisonnable, ainsi que d’autres phénomènes dont la petite échelle est incompatible avec la résolution des modèles de calcul. Guidard et Tzanos [Guidard et Tzanos, 2007] ont montré que la combinaison de prévisions satellitaires de la couverture nuageuse et d’observations de la visibilité ou de l’humidité au sol permet de calculer une probabilité d’occurence du brouillard .

Les instruments de mesure qui permettent d’observer la visibilité et d’alimenter les modèles de prévision sont malheureusement relativement rares, car réservés à des lieux spécifiques tels que les centres météorologiques et les aéroports. Mais même en incluant les stations météorologiques routières, la densité des points d’observation de la visibilité reste trop faible pour envisager la production de cartes de niveau de visibilité à une échelle compatible avec la nature locale des phénomènes responsables de la réduction de la visibilité.

C’est une des raisons pour lesquelles les météorologues se sont intéressés au potentiel d’observation des caméras, notamment sur les réseaux routiers.

Météo-France a ainsi testé l’utilisation de caméras pour l’observation météorologique. Une caméra a été installée sur la tour de contrôle dans l’aéroport de CherbourgMaupertus dans ce but ; les images, transmises sur une ligne spécialisée et acquises avec un logiciel dédié, permettent à des opérateurs humains d’observer le temps présent à distance. Dans une autre expérience, un réseau de trois caméras a été installé sur des aérodromes pour compléter l’observation humaine ; cette opération a été interrompue en raison du coût de la maintenance de ce réseau. Malgré les résultats d’une étude menée sur le site de Besançon ayant montré un désaccord entre observation directe et observation par caméra dans des conditions délicates telles que le brouillard, Météo-France a mis en place un site répertoriant les webcams de particuliers ou de gestionnaires routiers, pour que les services de prévision puissent observer les conditions météorologiques locales en temps-réel.

D’autres expériences ont été menées par des services météorologiques européens. En suisse, l’Office Fédérale de Météorologie et de Climatologie utilise pour la prévision et pour l’aéronautique un réseau de 26 caméras qui fournissent des images toutes les 10 minutes, que ce soit de jour ou de nuit (en utilisant une caméra infra-rouge). Le service météorologique allemand (DWD) a développé un système d’observation panoramique à l’aide d’une caméra équipée d’un objectif grand-angle visant vers le ciel et d’une caméra rotative visant l’horizon. Pour obtenir une image de l’horizon plus nette dans les situations de faible luminosité, le système moyenne plusieurs images successives. Le service météorologique finlandais (FMI) expérimente les caméras depuis une dizaine d’années. Leurs premiers systèmes, de type analogique, sont encore en service, mais les nouvelles installations sont entièrement numériques. Le service météorologique hongrois (OMSZ) complète les observations humaines à l’aide d’un réseau d’appareils phototographiques de haute qualité, du type Reflex. Les images ainsi acquises permettent à des observateurs de classifier la couverture nuageuse. Les appareils sont connectés en réseau et les images sont transmises à l’observateur par un protocole de transfert de données sans fil. Le service météorologique norvégien (DNMI) exploite quant à lui un réseau de six caméras basé sur des aéroports. Enfin, nous pouvons mentionner l’utilisation de caméras pour observer l’état de la mer sur certains navires.

Toutes ces expériences, que ce soit dans le domaine d’installation de caméras pour l’observation météorologique à distance ou bien le recueil des informations et des observations à l’aide de réseaux de capteurs, ont généré une certaine expertise dans ce domaine et ont conduit à une réduction de l’intervention humaine et de la maintenance des systèmes d’observation. Dans ce contexte, le potentiel des réseaux de vidéosurveillance existants a été identifié [Yvagnes et Brunier, 2011] et commence à être exploré par les instituts de météorologie. Les réseaux de caméras des exploitants routiers sont particulièrement intéressants car ils sont les plus denses et les mieux distribués à l’échelle du territoire, en France et dans de nombreux autres pays du monde .

Table des matières

Introduction générale
1 Enjeux économiques et sociétaux
1.1 Sécurité routière
1.2 Exploitation des infrastructures de transport
1.3 Environnement et santé
1.4 Prévision météorologique
2 Problématique
3 Organisation du mémoire
1 Lois et outils pour la visibilité
1.1 Rappels sur la réduction de la visibilité
1.1.1 Estimation humaine de la visibilité
1.1.2 Phénomènes atmosphériques réduisant la visibilité
1.2 Diffusion par l’atmosphère
1.2.1 Diffusion par une particule
1.2.2 Diffusion par l’atmosphère
1.3 Effets sur la vision
1.3.1 Loi de Beer-Lambert : extinction du flux lumineux
1.3.2 Loi d’Allard : extinction de l’éclairement d’une source
1.3.3 Loi de Koschmieder : modification de la luminance d’un objet
1.3.4 Loi de Duntley : modification du contraste d’un objet
1.4 Définitions des descripteurs de la visibilité dans l’atmosphère
1.4.1 La portée optique météorologique (POM)
1.4.2 Visibilité météorologique (Vmet)
1.4.3 Portée visuelle de piste (PVP)
1.4.4 Visibilité mobilisée (Vmob)
1.5 Techniques de mesure de la visibilité météorologique
1.5.1 Le transmissomètre
1.5.2 Le diffusomètre
1.6 Limitations des instruments de mesure optique
1.6.1 Positionnement et installation
1.6.2 Calibrage et maintenance
1.6.3 Sources d’erreur
1.7 Conclusion du chapitre
2 Travaux antérieurs : méthodes fondées sur les caméras
2.1 Rappels de photométrie
2.1.1 Éclairage dans la scène
2.1.2 Modélisation de la réflexion dans la scène (BRDF)
2.1.3 Équation de transfert radiatif
2.2 Vision humaine et artificielle
2.2.1 Vision humaine
2.2.2 Vision artificielle
2.2.3 Calibrage géométrique et radiométrique des caméras
2.3 Contrastes dans l’image
2.3.1 Contraste local
2.3.2 Contraste global
2.4 Méthodes d’estimation de la visibilité météorologique de jour
2.4.1 Méthodes locales
2.4.2 Méthodes globales
2.4.3 Évaluation qualitative des méthodes existantes
2.5 Conclusion du chapitre
3 Recueil et exploitation de données expérimentales
3.1 Recueil de données expérimentales
3.1.1 Description du site expérimental
3.1.2 Acquisition d’images
3.1.3 Acquisition de données de visibilité
3.1.4 Acquisition de données de luminance
3.1.5 Description des données acquises
3.2 Exploitation des données expérimentales
3.2.1 Principe
3.2.2 Exemple de mise en œuvre
3.3 Conclusion du chapitre
Conclusion générale

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *