Étude des rayonnements Bétatron et Compton dans l’accélération d’électrons par sillage laser

En physique relativiste, le terme ‘d’accélération de particules’ est trompeur. En effet, par rapport aux capacités des accélérateurs de particules, une relativement faible accélération est nécessaire pour qu’une particule atteigne une valeur proche de c, la vitesse de la lumière. Après cela, on n’augmente plus guère sa vitesse, mais on peut néanmoins augmenter considérablement son énergie. C’est dans ce sens d’accroissement de l’énergie qu’il faut donc comprendre le terme d’accélération de particules.

L’intérêt d’étudier ce sujet est double. D’un côté les particules accélérées peuvent être directement utilisées dans de multiples domaines : dans l’industrie par exemple, la lithographie à faisceau d’électrons utilise ces particules à faibles énergies pour la gravure de circuits imprimés. À bien plus hautes énergies, la collision de particules est aussi utile en physique fondamentale pour chercher à valider – ou à infirmer – des théories avancées (modèle standard, supersymétrie…) comme l’a montré la découverte du boson de Higgs en 2012 sur le LHC. À des énergies intermédiaires, le domaine médical fait également une utilisation abondante de particules accélérées en tant que sources pour traiter des cancers par la radiothérapie. D’un autre côté, toute particule chargée soumise à une accélération émet un rayonnement, et il est aussi possible de tirer profit indirectement de ces particules en exploitant le rayonnement qu’elles produisent. Ce rayonnement peut-être hautement énergétique – avec une énergie photonique supérieure au keV : c’est ce que Röntgen a appelé les rayons X en les découvrant en 1895, ce type de radiations étant alors inconnu. Très rapidement utilisés en dentisterie – quelques mois après leur découverte seulement – les rayons X sont de nos jours bien sûr utilisés en médecine pour des radiographies ou des radiothérapies, mais aussi dans des domaines très variés pour diagnostiquer la matière : spectroscopie X, imagerie d’œuvres d’art, diagnostics pour la chimie ou la biologie, imagerie moléculaire ou encore l’application à la sécurité pour scanner le contenu de sacs sans les ouvrir.

Si les applications en sont aujourd’hui multiples, l’accélération de particules a initialement été motivée dans les années 1930 par les besoins de particules suffisamment énergétiques pour pouvoir enclencher des désintégrations atomiques. Pour accélérer des particules chargées (électrons, ions, positrons…), il est nécessaire de s’appuyer sur l’utilisation de champs électriques de très haute amplitude ; d’après la force de Lorentz, un champ magnétique ne pourra lui que dévier la particule. De plus, pour courber la trajectoire de la particule, le champ magnétique devra être d’autant plus fort que la particule est énergétique. Ainsi dans les cyclotrons, mis au point dans les années 30, le champ magnétique était constant et les électrons étaient accélérés périodiquement par un champ électrique selon une trajectoire en spirale. Après la seconde guerre mondiale, ce principe a été amélioré dans les synchrotrons avec la mise en place d’un champ magnétique variable adapté à l’énergie de la particule permettant d’avoir des trajectoires circulaires et d’atteindre des énergies plus importantes. Cependant ces accélérateurs, dits conventionnels, sont limités par deux facteurs :

– les particules sont accélérées dans des cavités radio-fréquences. Or les champs électriques maximaux soutenus par ces cavités sont inférieurs à 100 MV/m, limités par la rupture des constituants de la cavité et l’ionisation des parois pour de plus grandes valeurs de champs. Ainsi pour atteindre des énergies importantes, il faut alors accélérer les particules sur des distances conséquentes (un électron devra être accéléré sur plus de 1 kilomètre pour gagner une énergie de 100 GeV).
– les particules en mouvement circulaire subissent une accélération transverse et dissipent une partie de leur énergie sous forme de rayonnement. L’énergie maximale qu’elles peuvent atteindre est limitée par le rayon de leur trajectoire. Ainsi, l’atteinte d’énergies élevées nécessite des installations de grandes tailles, et donc coûteuses que celles-ci soit circulaires ou non.

C’est ici que se justifie le développement d’une nouvelle méthode d’accélération de particules par interaction laser-plasma. Un plasma est un état de la matière partiellement ou totalement ionisé : la matière a été fortement chauffée, et des atomes ont perdu certains de leurs électrons qui ne leur sont plus liés. Ces milieux déjà ionisés sont donc à priori adaptés pour soutenir de très hauts champs électriques.

Proposée en 1979 [Tajima & Dawson, 1979], l’accélération par sillage laser (ou LWFA, de l’anglais Laser WakeField Acceleration) consiste à envoyer une impulsion laser ultra-courte et ultra-intense sur un jet de gaz. Devant les fortes intensités en jeu, le gaz est ionisé par le début de l’impulsion laser et la grande majorité de l’impulsion laser interagit avec le plasma ainsi créé. À l’instar de la vague créée dans le sillage d’un navire, le laser va créer une onde plasma dans son sillage , caractérisée par une modulation de la densité électronique et l’apparition de champs électromagnétiques de grande ampleur. L’ordre de grandeur des champs accélérateurs créés est en effet de 100 GeV/m : la distance nécessaire pour atteindre une énergie donnée est de trois ordres de grandeur inférieure à celle des accélérateurs conventionnels ! Certains électrons du plasma sont susceptibles d’être piégés et accélérés dans cette onde de sillage en suivant l’impulsion laser. Avec cette technique les distances d’accélération sont très souvent de l’ordre du millimètre ou du centimètre. Si, aujourd’hui, les énergies maximales obtenues (quelques GeV pour les électrons) ne sont pas encore prêtes à venir concurrencer les très hautes énergies obtenues dans les accélérateurs conventionnels, elles sont néanmoins considérées comme prometteuses à court terme pour des applications médicales nécessitant des électrons de quelques dizaines ou centaines de MeV.

Un autre avantage de l’accélération par sillage laser tient aux caractéristiques du faisceau d’électrons émis, qui est plus court et plus fin que ceux émis dans les accélérateurs conventionnels. Si on utilise le rayonnement émis par ce faisceau, dont la durée et la taille de source peuvent en général être similaires à celles du faisceau émetteur, on pourrait obtenir une meilleure résolution spatiale et temporelle pour des applications de radiographie. On peut distinguer différents types de sources X basées sur l’accélération d’électrons par sillage laser [Corde et al., 2013a]. Parmi eux, le rayonnement bétatron [Esarey et al., 2002, Rousse et al., 2004] est le plus simple de tous à obtenir car il est émis intrinsèquement lors de l’accélération. En effet, en plus d’être accélérés longitudinalement, les électrons oscillent transversalement dans le sillage, ce qui émet un rayonnement X appelé rayonnement bétatron. C’est donc une source facile à mettre en œuvre et très compacte. C’est le type de rayonnement qui sera principalement étudié dans ce manuscrit. Le rayonnement Compton [Esarey et al., 1993, Schwoerer et al., 2006] est une autre source qui va être rencontrée au cours de cette thèse : une fois les électrons accélérés, ils rencontrent un deuxième laser contra-propagatif, et vont fortement osciller dans ce champ laser. Les difficultés d’un schéma à deux lasers rendent cette source plus compliquée à mettre en œuvre. Ce schéma fournit par contre un rayonnement plus énergétique. Il est également possible d’envoyer un faisceau d’électrons issu de l’accélération par sillage laser sur un onduleur conventionnel dont le champ magnétique va les forcer à osciller. Cette technique est moins compacte et difficile à réaliser.

Enfin, le faisceau d’électrons accéléré peut être envoyé sur une cible solide. Contrairement aux rayonnements précédents, le rayonnement émis dans ce cas n’est pas dû à des oscillations transverses des électrons, mais à leurs collisions avec les noyaux des électrons de la cible. Dans ce schéma, les électrons sont progressivement déviés et ralentis lors de ces collisions, d’où le nom de rayonnement ‘bremsstrahlung’ (rayonnement de freinage). Si cette source peut produire des photons très énergétiques, les électrons diffusent dans la cible, conduisant à des tailles de sources plus élevées.

Table des matières

I Introduction
I.1 Contexte
I.2 Objectifs de la thèse
I.3 Organisation du manuscrit
II L’accélération par sillage laser – Éléments théoriques
II.1 Notions de base sur l’interaction laser-plasma
II.1.1 Plasma
II.1.2 Laser
II.1.3 Interaction laser-plasma
II.2 Accélération d’électrons par sillage laser
II.2.1 Création de l’onde de sillage
II.2.2 Piégeage et accélération
II.2.3 Injection et beamloading
II.3 Modélisation tri-dimensionnelle du sillage laser
II.3.1 Régime du blowout
II.3.2 Mouvement transverse dans le régime de la bulle
II.4 La source de rayonnement bétatron
II.4.1 Rayonnement d’une particule chargée relativiste
II.4.2 Rayonnement synchrotron d’une particule en mouvement circulaire instantané
II.4.3 Rayonnement bétatron
III Modélisation : le code Particle-in-Cell (PIC)
III.1 Fonctionnement d’un code PIC
III.1.1 Principe général de la méthode PIC
III.1.2 La boucle PIC
III.1.3 CALDER-Circ et autres codes
III.2 Implémentation du calcul du rayonnement
III.2.1 Incohérence du rayonnement
III.2.2 Fréquence limite
III.2.3 Code ‘tout-en-un’ ou post-traitement ?
III.2.4 Validation du code
III.2.5 Rayonnement classique et rayonnement quantique
IV Conclusion

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