Études empiriques sur l’évaluation de programmes de sentinelles

Formation de sentinelles

Il existe différentes formations de sentinelles dont la durée peut varier d’une à quatorze heures, mais dont l’objectif demeure toujours le même, c’est-à-dire rendre des individus aptes à identifier et à référer des personnes présentant un risque suicidaire. Du côté américain, la formation de sentinelles Question, Persuade and Refer (QPR), c’est-à-dire Questionner, Persuader et Référer, est la plus étudiée (Cross, Matthieu, Cerel, & Knox, 2007; Matthieu, Cross, Batres, Flora, & Knox, 2008; Tompkins & Witt, 2009; Wyman et al., 2008) et leurs résultats seront présentés dans la section sur l’évaluation de programme. Dans un texte exposant le rationnel et la théorie sous-jacente au QPR, Quinnett (2007) décrit en détail ce programme offert par des formateurs certifiés qui ont suivi un cours composé de dix modules intégrant les aspects théoriques de la relation d’aide et du suicide, l’enseignement du contenu du programme, et les façons adéquates de répondre aux questions des futures sentinelles.

La formation QPR offerte aux sentinelles est d’une heure au minimum, mais elle peut s’étendre jusqu’à deux heures, lorsqu’on y incorpore des exercices pratiques comme des jeux de rôles. On apprend d’abord aux futures sentinelles à reconnaitre les signaux d’alarme pouvant indiquer qu’une personne présente un risque suicidaire : changement de comportement, perte d’ intérêt pour diverses activités, discours par rapport à mort, etc. Elles sont aussi préparées à questionner les personnes vulnérables afin d’évaluer l’urgence suicidaire. Elles apprennent également à interagir de façon à optimiser la collaboration de l’individu suicidaire, c’est-à-dire en ayant une écoute active et en développant leurs habiletés de persuasion. Finalement, on renseigne les sentinelles sur les ressources fiables vers lesquelles elles peuvent orienter les personnes suicidaires. L’Applied Suicide Intervention Skills Training program (ASIST) (Gould, Cross, Pisani, Munfakh, & Kleinman, 2013 ; Shannonhouse, Lin, Shaw, & Porter, 2017) est un programme de formation de 14 heures qui a la particularité de donner plus de responsabilités aux sentinelles.

Les responsables du programme considèrent que de référer directement à un professionnel la personne à risque n’est pas toujours la meilleure option (Rodgers, 2010). L’accent est mis sur la qualité de l’ interaction entre la personne à risque et la sentinelle, ainsi que sur la façon dont cette relation peut diminuer le risque à l’ aide de la création d’un safeplan (plan pour assurer la sécurité). Ce plan peut être d’orienter la personne vers un professionnel, mais la sentinelle pourrait considérer d’autres options comme celle d’interpeler des membres de sa famille ou des amis. Cette décision se base sur divers facteurs: risques présents et futurs, ressources disponibles et les besoins de la personne à risque. La durée de la formation permet de faire davantage de jeux de rôle pour exercer les habiletés acquises. On peut toutefois se questionner sur la pertinence de laisser à la sentinelle le choix des options, ce qui peut présenter certains risques. Plus le nombre de décisions prises par la sentinelle augmente, plus le danger de se tromper augmente. Donner cette responsabilité aux sentinelles pourrait décourager certaines personnes de s’impliquer.

Au Québec, ce sont les CPS qui offrent les formations pour devenir sentinelles et celles-ci s’étendent habituellement sur une journée de sept heures. Dans son cadre de référence sur l’ implantation des réseaux de sentinelles en prévention du suicide, le MSSS précise qu’un individu devrait répondre à certains critères de sélection avant de pouvoir suivre la formation: être majeur, avoir un intérêt à devenir sentinelle dans un milieu particulier, ne pas être suicidaire et ne pas avoir été touché par le suicide récemment (Gouvernement du Québec, 2006). La formation doit atteindre certains objectifs au niveau du savoir (connaissances), du savoir-être (attitude) et du savoir-faire (habiletés). Ces trois éléments constituent les bases de la relation d’aide. L’objectif n’est pas de former des professionnels en relation d’aide, mais plutôt de fournir à des non professionnels un bagage suffisant leur permettant d’établir une relation de confiance avec un individu présentant un risque suicidaire. Au niveau des connaissances, elle doit reconnaitre les signaux d’alarme et être apte à vérifier si quelqu’un présente un risque suicidaire et, le cas échéant, à en évaluer l’urgence. Elle doit comprendre ce qui nuit ou favorise une demande d’aide afin d’encourager la personne à faire appel au soutien professionnel.

Une connaissance de certaines ressources, surtout celles où elle aura à référer la personne suicidaire, est essentielle afin qu’elle puisse orienter adéquatement les personnes en détresse. La formation vise aussi à renseigner les participants sur les particularités de certains groupes d’individus et leur vulnérabilité au suicide (p. ex., personnes âgées, hommes), ainsi que sur le milieu où elles seront appelées à intervenir (régions éloignées, milieu urbain ou rural, etc.) afin qu’ elles en saisissent les spécificités. Elles doivent être sensibilisées au fait que leur rôle se limite à repérer et à référer les individus en détresse et non d’intervenir auprès de ceux-ci pour gérer directement la crise suicidaire. En ce qui concerne la problématique, elles sont sensibilisées au fait que le suicide fait partie d’un processus de crise qui comporte des étapes et aux éléments qui en influencent l’aboutissement. Au niveau des attitudes, il est aussi nécessaire qu’elles prennent conscience de leurs croyances et de l’impact que celles-ci auront sur la façon dont elles réagiront lorsqu’elles seront confrontées à la problématique du suicide. Au niveau des habiletés, la sentinelle doit être en mesure d’identifier et de référer la personne présentant un risque suicidaire. Bien que la formation soit structurée, une certaine latitude est laissée aux formateurs en ce qui concerne le choix des exemples et des jeux de rôle qui permettront d’illustrer les comportements à adopter ou les paroles à prononcer, car les sentinelles seront appelées à intervenir auprès de populations variées. Comme la plupart des stratégies en prévention du suicide, les programmes de formation de sentinelles doivent être évalués, afin d’en vérifier la pertinence et la valeur. Les études qui portent sur l’évaluation de ce genre de programme seront présentées dans la section suivante.

Attitudes et sentiment d’efficacité personnelle (savoir-être).

L’attitude favorable d’ un individu à l’égard de l’ intervention qu’ il pourra effectuer auprès de personnes suicidaires, c’est-à-dire la reconnaissance de son droit d’ intervenir, favorise sa propre mise en action auprès de celles-ci. Le Suicide Intervention Questionnaire (SIQ), développé par Tierney (1988), est un outil permettant d’évaluer l’attitude d’un individu à l’égard de l’ intervention faite auprès de personnes suicidaires. Un score élevé correspond à une attitude favorable. Le SIQ est composé de 20 items du type : « J’ai le droit d’ intervenir si quelqu’un est à risque de se suicider ». L’individu doit spécifier à quel point il est en accord avec ces affirmations, sur une échelle de type Likert en cinq points. À l’aide de 10 des 20 items originaux du SIQ, Stuart, Waalen et Haelstromm (2003) sont arrivés à la conclusion que la formation offerte aux sentinelles avait un impact positif sur les attitudes des participants. Le score moyen avait significativement augmenté entre le prétest et le post-test. Toutefois, il y a eu une diminution significative du score moyen entre le post-test et la relance trois mois plus tard.

Les auteurs ne fournissent pas d’hypothèses pour expliquer cette diminution. Parmi les lacunes de cette recherche, on remarque l’absence d’un groupe contrôle ne bénéficiant pas de la formation. Avec une étude de même type, une autre équipe de chercheurs (Chagnon, Houle, Marcoux, & Renaud, 2007) a utilisé 19 des 20 items du SIQ (un item ayant été éliminé à cause d’un problème de terminologie lors de la traduction de l’anglais au français). Ils ont également observé une amélioration des attitudes. Néanmoins, contrairement à l’ étude de Stuart et al. (2003), l’amélioration s’est maintenue entre le post-test et la relance réalisée six mois plus tard. De leur côté, Keller et al. (2009) ont évalué le changement d’ attitude quant à l’ inévitabilité du suicide à la suite d’une formation de sentinelles. Les participants devaient noter leur degré d’accord, sur une échelle de type Likert en cinq points, avec huit énoncés représentant des mythes et des attitudes associés à la fatalité du suicide.

Malgré une diminution du score moyen entre le post-test et la relance six mois plus tard, l’amélioration notée, comparativement au prétest, est demeurée significative. Le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) réfère à la « croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités» (Bandura, 2003, p. 12). Cette croyance est subjective et ne doit pas être considérée comme une mesure de compétence objective (Marcoux, 2004). Cela étant dit, qu’ il soit préexistant chez l’individu ou acquis, le SEP aurait un effet positif sur la motivation, l’apprentissage et la performance (Salas & Cannon-Bowers, 2001). Keller et al. (2009) ont demandé à des personnes ayant suivi une formation de sentinelle, leur degré d’accord avec certains énoncés tels que: « J’ai les habiletés nécessaires pour discuter de suicide avec des jeunes ». Ils sont parvenus à la conclusion que le SEP avait augmenté de façon significative par rapport au niveau observé au prétest et que ces gains, malgré un certain déclin, sont demeurés significatifs même après six mois.

Table des matières

Sommaire
Liste des figures
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
Suicide et prévention du suicide chez les personnes âgées
Définition du suicide
Le processus suicidaire
Prévalence du suicide chez les personnes âgées
Les facteurs de risque et de protection
La prévention du suicide
La prévention indiquée
La prévention sélective
La prévention universelle
Place et pertinence de la formation de sentinelles
Les sentinelles
Définition et fonction de la sentinelle
Formation de sentinelles
Évaluation de programmes
Approches théoriques
Études empiriques sur l’évaluation de programmes de sentinelles
Compétence des sentinelles
Connaissances (savoir)
Attitudes et sentiment d’ efficacité personnelle (savoir-être)
Habiletés (savoir-faire)
Satisfaction et diffusion d’ informations à la suite de la formation
Maintien des acquis dans le temps
Objectifs
Méthode
Déroulement
Participants
Instruments de mesure
Résultats
Connaissances (savoir)
Attitudes et sentiment d’ efficacité personnelle (savoir-être)
Expérience des sentinelles
Discussion
Impact de la formation sur les participants
Limites et forces de l’étude
Améliorations suggérées à la formation et recherches futures
Habiletés de communication et caractéristiques des futures sentinelles
Jeux de rôle
Màintien des acquis dans le temps
Conclusion
Références
Appendice A. Prétest
Appendice B. Post-test

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