Évolution de la profession enseignante au Québec

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L’enseignant en transformation

La commission Parent des années 60 soulève la nécessité de former des enseignants compétents pour engendrer la réforme désirée en éducation (Lessard et Tardif, 1996). La formation des enseignants était jusqu’alors offerte dans les écoles normales bien que les universités dispensaient parallèlement une formation aux futurs enseignants depuis les années 50 (Lessard et Tardif, 1996). Il faut néanmoins attendre 1967 pour que le rôle de formation des enseignants soit entièrement accordé aux établissements universitaires (Proulx, 2009). Cet évènement marquera l’autonomie et l’émancipation du système scolaire face à l’Église (Lessard et Tardif, 1996). Il sera alors question de faire carrière en enseignement : l’occupation sera reconnue socialement (Mukamurera, 1999).
À ses débuts, le baccalauréat en enseignement s’étend sur trois ans et s’accompagne de stages en milieu scolaire, suivi d’une période d’essai (ou stage probatoire). Le brevet d’enseignement autorisant la pratique est délivré lorsque l’enseignant réussit cette période d’essai. Cette méthode connait des difficultés d’application (Proulx, 2009). Les problèmes soulevés étaient notamment le manque de continuité dans la progression de l’apprentissage des futurs enseignants en raison d’une longue période d’attente avant l’obtention d’un stage et une disparité dans les programmes d’insertion professionnelle entre les milieux scolaires (Nault, T., 2003). La difficulté pour les responsables des stages probatoires à intervenir adéquatement auprès des nouveaux enseignants et à superviser leur entrée sur le marché du travail, n’étant pas formés en ce sens, est également soulevée (Nault, T., 1993). De plus, il faut souligner qu’au début des années 80, la demande en personnel enseignant devient moins grande que le nombre d’enseignants disponibles à l’emploi en raison, notamment de la facilité d’accès aux programmes de formation à l’enseignement (CSE, 2004).
Depuis 1994, la formation des enseignants a une durée de quatre ans (Nault, T., 2003) incluant des périodes de stage en milieu scolaire cumulant au moins sept-cents heures (Lacourse, Martineau et Nault, T., 2011). Les universités prennent en charge l’évaluation des stagiaires et le brevet d’enseignement est maintenant délivré par le MEES pour quiconque obtient son diplôme universitaire. L’évaluation s’axe, depuis 2001, sur un référentiel des douze compétences professionnelles (MEQ, 2001) qui soutient l’entreprise du MEES de bonifier le statut de l’enseignant en lui conférant le statut de professionnel de l’éducation. Le référentiel des douze compétences fait d’ailleurs partie des changements apportés à la formation initiale des enseignants dont l’objectif est de rapprocher la théorie et la pratique (Fournier et Marzouk, 2008). Le baccalauréat en enseignement, à quelques exceptions près, est aujourd’hui un passage obligé pour être autorisé à enseigner au sein du système éducatif québécois. Or, afin de pallier le manque de main-d’œuvre dans certains programmes, une autorisation provisoire d’enseigner peut être délivrée à un enseignant diplômé hors Québec ou à un enseignant de la formation professionnelle inscrit à un baccalauréat en enseignement (Lacourse, et al., 2011). La proportion d’enseignants ne disposant pas de toutes les qualifications requises dans les établissements primaires et secondaires du Québec n’atteint toutefois pas plus de 4 % des effectifs (OCDE, 2005).
Si 1980 ne fut pas une bonne décennie pour entrer dans la profession enseignante, l’ouverture de classes préscolaires (Mukamurera, 1999) et le contrôle des admissions aux programmes universitaires en enseignement (Martel, Ouellette et Ratté, 2003), qui s’effectua selon des prévisions ministérielles, facilitent l’insertion professionnelle des enseignants dans les années 1990. Toutefois, l’anticipation de la clientèle scolaire par le ministère demeure une simple ligne directrice, car, en réalité, « force est de constater que les prévisions des besoins de recrutement et celles des effectifs enseignants disponibles pour répondre à ces besoins sont impossibles à réaliser avec certitude » (CSE, 2004, p. 48). En effet, on ne saurait notamment prévoir la répartition des enseignants sur le territoire québécois même si on y formait le nombre nécessaire d’enseignants chaque année (CSE, 2004). Une disproportion difficilement contrôlable demeure ainsi selon les régions, voire selon les commissions scolaires : tantôt il y a surplus, tantôt pénurie. Aux États-Unis, Shakrani (2008) rapporte que les universités forment suffisamment de personnel enseignant, mais qu’il y a pénurie parce que trop d’enseignants quittent la profession. Il ajoute que des études soulèveraient même l’étroit lien entre la pénurie d’enseignants dans une région donnée et son taux d’abandon de la profession.
En somme, la profession enseignante se transforma considérablement au lendemain de la Révolution tranquille. La formation des enseignants se bonifia au cours des décennies suivantes permettant de rehausser le statut de la profession. Toutefois, le domaine de l’enseignement connaitra une « précarisation persistante » pendant toutes ces années (Gingras et Mukamurera, 2008)4.

L’abandon de la profession enseignante : un problème au cœur de l’éducation

L’éducation est un des piliers de la santé socioéconomique de tout pays et l’enseignant y est défini comme l’un des acteurs les plus influents (OCDE, 2005). Pour une éducation de qualité, il faut des enseignants de qualité (Alliance for Excellent Education [AEE], 2014; Hattie, 2003). Ces derniers influencent, plus que tout autre facteur scolaire, les résultats des élèves (Coleman, Campbell, Hobson, McPartland, Mood, Weinfeld, et al., 1966 dans Borman et Dowling, 2008) et sont les plus susceptibles d’améliorer la qualité de l’éducation (OCDE, 2005). Or, l’enseignement est la profession qui présente le plus haut taux d’abandon en Amérique du Nord (King et Peart, 1992). Ailleurs dans le monde, les enseignants quittent aussi leur profession en plus grande proportion que les autres professionnelles : une réalité qui, en plus de nuire à la qualité de l’enseignement (Ingersoll, 2001!; Karsenti, et al., 2013!; Karsenti, 2015!; Sauvé, 2012), coute très cher financièrement (Karsenti et Collin, 2009!; Karsenti, Colin et Dumouchel, 2013!; Karsenti, 2015!; Mukamurera, Martineau, Bouthiette et Ndoreraho, 2013!; OCDE, 2005). Les pertes financières sont notamment liées au cout « de la formation initiale, du recrutement, de l’embauche et du développement professionnel des enseignants » (Karsenti et Collin, 2009, p.4). En effet, aux États-Unis, l’AEE (2014) a évalué à deux-milliards par année, le cout de l’abandon de la profession enseignante. Une étude de Barnes, Crowe et Schaefer (2007) estime entre 4!000 $ et 18!000 $, selon les régions étudiées, le cout lié à l’abandon d’un seul enseignant. Ces couts servent notamment au recrutement, à l’engagement et à la formation de nouveaux enseignants. De plus, quand le personnel d’un établissement scolaire n’est pas régulier, la cohésion de l’équipe-école en est affectée notamment, ce qui a un effet négatif sur la qualité de l’enseignement (Ingersoll, 2001) sans compter que l’abandon en enseignement ne serait pas « sain », au sens où le système ne tendrait pas à dégager naturellement les moins bons enseignants, mais au contraire, à se séparer de ses enseignants les plus qualifiés (Borman et Dowling, 2008!; Weva, 1999). La forte influence des enseignants sur la société est également quantitative, le corps enseignant représentant un très grand groupe de travailleurs, le plus important au Canada possédant une formation universitaire (Tardif, 2012).

L’abandon et ses statistiques

Les écarts entre les taux d’abandon de la profession enseignante sont considérables compte tenu de la diversité des définitions associées à ce concept (De Stercke, 2014!; Macdonald, 1999). Partons d’une définition qui semble relativement neutre de l’abandon de la profession enseignante pour mieux cerner ses variations. « L’abandon d’un enseignant débutant est généralement constaté au vu de son absence du système éducatif de son pays à un temps donné » (De Stercke, 2014, p. 30). Dans un premier temps, le terme « abandon » fait davantage référence à une action volontaire. Or, si des chercheurs s’entendent pour décrire le décrochage enseignant comme un départ volontaire (Borman et Dowling, 2008!; Macdonald, 1999!; OCDE, 2005), d’autres soutiennent que la décision est tantôt volontaire, tantôt subie (Karsenti, et al., 2013!; Sauvé, 2012), reconnaissant dès lors des facteurs externes à l’individu. On pourrait alors préférer le terme « attrition » qui apparait plus inclusif (Sauvé, 2012). L’OCDE (2005) préfère, quant à elle, le terme « taux de déperdition », incluant à ses statistiques, la retraite, le congédiement, l’émigration et le départ pour des raisons personnelles ou familiales, mais excluant les congés ou les déplacements de milieux scolaires, voire le passage du public au privé et vice-versa. De plus, si De Stercke (2014) ne reconnait que l’abandon des enseignants comme le « décrochage effectif de la profession » (p. 31), Barnes et ses collègues (2007) ainsi qu’Ingersoll (2001) s’intéressent à d’autres formes d’abandon : outre ceux qui quittent la profession, les « leavers » (Barnes, et al., 2007), il existe un phénomène d’abandon qui se définit par le déplacement des enseignants entre différents milieux scolaires. Ces enseignants, les « movers » (Barnes, et al., 2007), se répartissent en deux catégories : ceux qui changent d’école au sein d’un même district5 et ceux qui changent complètement de district (Barnes, et al. 2007). Cette rotation des enseignants ne serait pas sans conséquence selon Barnes, et al. (2007). En effet, ces derniers soutiennent que le déplacement des enseignants aurait un impact sur les résultats des élèves tout autant que les faibles résultats des élèves feraient augmenter le déplacement des enseignants, créant ainsi un phénomène cyclique.
Dans un deuxième temps, le terme « enseignant débutant » est imprécis. D’abord, certaines études ne tiennent pas uniquement compte des enseignants « débutants » puisqu’elles incluent à leurs statistiques, les départs à la retraite (Ingersoll, 2001!; OCDE, 2005). Il peut être aussi question d’une absence liée à une maladie, à un congé de maternité, à une inactivité temporaire (De Stercke, 2014) ou à un congédiement (Ingersoll, 2001). Ensuite, si on s’intéresse plus précisément à la définition d’un enseignant débutant, il appert que là encore, les sens sont pluriels. Que l’abandon soit considéré comme un départ prématuré (Borman et Dowling, 2008!; Macdonald, 1999!; OCDE, 2005) ou précoce (De Stercke, 2014), il semble que les auteurs ne souhaitent pas cantonner l’abandon des débutants dans une période de temps fixe et qu’ils ne le font qu’à des fins statistiques. Ainsi, des études s’intéresseront au départ des enseignants dans leur première année en fonction alors que d’autres identifieront les départs durant les cinq premières années d’enseignement par exemple.
Toutes ces variantes expliquent notamment qu’au Québec, le taux d’abandon de la profession enseignante oscille entre 3 % (OCDE, 2005) et 20 % (Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant [COFPE], 2002!; Martineau, 2006), le MELS (2006) établissant à 15 % le taux d’abandon de la profession chez les nouveaux enseignants dans leurs cinq premières années. Mais en dehors de ces écarts, l’enseignement demeure en tête de liste des professionnels québécois quittant le plus massivement leur carrière (De Stercke, 2011). Au Canada, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE, 2004) rapportait en 2004 un taux d’abandon de 30 % durant les cinq premières années.
Aux États-Unis, il est question d’un taux d’abandon de 15 % pour les enseignants quittant après la première année d’enseignement (Sénéchal, et al., 2008), de 33 % au cours des trois premières années (Shakrani, 2008) et de 50 % au cours des cinq à six premières années (Shakrani, 2008!; Sénéchal, et al., 2008). Selon Shakrani (2008), en divisant le nombre d’enseignants qui quittent la profession sur une année par le nombre de jours d’école, c’est 1000 enseignants américains qui abandonnent l’enseignement pour chaque jour de classe.
La problématique de l’abandon du personnel enseignant est mondiale. En Belgique francophone, le taux d’abandon des enseignants serait de 34 % (De Stercke, et al., 2010) alors qu’au Royaume-Uni, il atteindrait les 40 % chez les enseignants de moins de trois années d’expérience (Stoel et Thant, 2002). Selon l’OCDE (2005), les taux d’abandon les plus élevés, atteignant au moins 6 %, se retrouvent aux États-Unis, en Angleterre et dans les Pays de Galles, en Suède, en Israël et en Belgique flamande. Si les taux rapportés par l’OCDE (2005) paraissent moins alarmants, il n’en demeure pas moins que la déperdition des enseignants est une question qui préoccupe fortement l’organisation. Ces taux plus conservateurs peuvent notamment s’expliquer par l’accessibilité de l’organisation aux données des différents pays : chaque pays ayant été invité à transmettre les informations à l’OCDE. Enfin, les statistiques liées à l’abandon de la profession enseignante peuvent aussi différer selon les organisations qui les émettent : une instance gouvernementale et un syndicat n’ayant pas les mêmes intentions en divulguant leurs chiffres. En somme, c’est l’imprécision liée au concept d’abandon qui expliquerait les différences statistiques importantes associées au taux d’abandon de la profession enseignante, voire, qui serait une « source d’erreurs dans le calcul du taux de décrochage » (De Stercke, 2014, p. 263).

Les causes de l’abandon

Si l’on définit que l’abandon de la profession enseignante n’est pas qu’une décision volontaire (Karsenti, et al., 2013), on soulève un élément fort important : le problème se décentralise de l’enseignant. Tout en reconnaissant que les caractéristiques d’un enseignant peuvent influencer l’abandon d’une carrière, plusieurs autres facteurs entrent en jeu pour expliquer cette réalité (Johnson, Berg et Donaldson, 2005!; Karsenti et Collin, 2009!; Ingersoll, 2001!; Macdonald, 1999!; Ouyang et Paprock, 2006!; Sauvé, 2012). L’abandon des enseignants s’expliquerait par l’accumulation de ces facteurs, laquelle serait facilitée par leur interdépendance, à savoir que plusieurs facteurs seraient propices à en impliquer logiquement d’autres (Karsenti et Collin, 2009). La littérature scientifique dresse un large éventail de facteurs expliquant l’abandon de la profession enseignante qui se découpent généralement selon trois catégories : les facteurs propres aux caractéristiques personnelles des individus, ceux liés à la tâche enseignante et ceux liés à l’environnement social (Karsenti, et al., 2013!; Ouyang et Paprock, 2006).
Sur le plan des caractéristiques personnelles des individus, c’est dans la sélection des candidats admissibles aux programmes universitaires en enseignement que l’on pourrait agir comme c’est le cas dans certains programmes de santé (Bowles, Hattie, Dinham, Scull et Clinton, 2014). Une étude portant sur les causes de l’abandon des enseignants (Kirsch, 2006) indique que sur le plan personnel, l’incapacité à décrocher mentalement du travail, le perfectionnisme, la sur responsabilisation et la difficulté à assumer un rôle d’autorité serait caractéristique des enseignants ayant prématurément abandonné l’enseignement. Or, Sauvé (2012) appelle à la prudence à l’égard de ces constats soulignant qu’une bonne analyse de l’abandon d’un enseignant doive impliquer toutes les catégories de facteurs en cause. Dans l’étude de Sauvé (2012), les facteurs les plus fréquemment soulevés par les participants pour expliquer leur départ du milieu de l’enseignement étaient premièrement les difficultés liées à la gestion de classe et deuxièmement, la précarité d’emploi et les difficultés liées à l’insertion professionnelle. Des facteurs similaires sont soulevés par De Stercke (2014) : lourdeur de la tâche, gestion de classe, insécurité financière due à la précarité. Pour ce dernier, dont les résultats de recherche établissent la concordance entre les motifs d’abandon de la profession et les attentes professionnelles des enseignants, c’est aussi la « distorsion » (De Stercke, 2014) entre les attentes des enseignants et la réalité de la profession qui encourageait l’abandon. L’étude de Karsenti (2015) nomme la charge de travail trop importante comme facteur premier du décrochage, suivi par la gestion de classe, le climat à l’école, le manque de formation initiale ou continue, le manque de ressources et la gestion difficile des élèves en difficulté. Enfin, la discipline est un facteur qui, il y a 30 ans, revenait fréquemment dans les études portant sur la profession enseignante (Varah, Theune et Parker, 1986) et qui semble encore aujourd’hui prédominante, quoiqu’on y préfère de nos jours l’appellation gestion de classe.

L’abandon significatif des nouveaux

Si les taux d’abandon en enseignement diffèrent de manière importante, ils convergent néanmoins tous vers des abandons significativement plus élevés en début de carrière (Borman et Dowling, 2008!; Macdonald, 1999!; OCDE, 2005). Ceci s’expliquerait par la lourdeur de la tâche, le manque d’expérience et de soutien (Sénéchal, et al., 2008), la prise en charge de classes difficiles généralement attribuées aux nouveaux enseignants (Karsenti, et al., 2013!; Mukamurera, et al., 2013), les conditions d’embauche et d’affectation (Karsenti, 2015) et l’insécurité résultant de la précarité d’emploi (De Stercke, 2014!; Mukamurera, et al., 2013) Cette précarité obligerait notamment une grande proportion des nouveaux enseignants à occuper un emploi n’exigeant pas de compétences spécifiques à leur champ de formation (CSE, 2004!; Désormeau, 2009!; Fournier et Marzouk, 2008). Pourtant, le domaine des sciences de l’éducation a le plus haut taux de placement selon une étude portant sur l’insertion professionnelle des bacheliers de dix domaines d’étude différents. Son taux d’emploi est même de vingt pour cent supérieur à la moyenne. Or, les sciences de l’éducation dégringolent au classement en termes d’emploi à temps plein. Le domaine de l’éducation se classe deuxième, tout juste derrière celui des arts, en ce qui a trait au domaine ayant le plus de diplômés exerçant un emploi à temps partiel qui soit lié à leur champ d’étude (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie [MESRS], 2013).

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