Exploration des généralités concernant les troubles mentaux graves

On constate des fluctuations fréquentes, quant à l ‘importance des structures et des intervenants non professionnels, tels que les membres des familles (Wallot, 1998); tantôt, on reproche à la famille de se débarrasser aisément de son malade, et tantôt, pour des raisons de contraintes budgétaires étatiques, la famille devient un partenaire privilégié dans la gestion et la prise en charge de la folie .

Ce n’est que depuis peu que l’on avance des explications psychologiques possibles aux causes de la maladie mentale. Auparavant, l’étiologie de la maladie mentale et sa compréhension étaient teintées de conceptions d’ordre religieux, alors que la personne atteinte était possédée du démon ou que ses péchés étaient si nombreux et importants qu’ils l’ava ient corrompues. Vient ensuite la compréhension scientifique et médicale de la mal adie mentale, influencée par Hippocrate qui attribue la mélancolie à un dérèglement de la bile (bile noire). On y va aussi d’une explication morale de la maladie mentale en soutenant qu’elle est causée par une fa iblesse ou une faute morale et qu’ell e découle d’un dérèglement de la volonté et de l’entendement. (Wallot, 1998 ; Davison et Neale, 1994).

Les premi ères explications psychologiques que l’on fournit, quant à la cause de la maladie mentale, sont avancées au début du XXe si ècle et sont principalement d’ordre psychanalytique et ont un impact très marquant face aux famill es, que l’on responsabilise et que l’on accuse quant à la présence de problèmes de santé mentale chez leur proche. Rousseau ( 1998) résume bien l’impact des explications psychanalytiques sur la responsabilité parentale; pour Freud par exemple, la maladie mentale tire ses racines dans l’attachement excessif au père durant l’enfance ; Klein, quant à elle, croit plutôt qu’elle serait due à une trop grande implication de la mère, tandis que Sullivan avance le rejet parental comme explication; à ce sujet d’aill eurs, From-Reichmann développe le concept de «mère schizophrénogène)) qui décrit cette mère froide, distante et dominatrice, qui entrave le développement de son enfant et le rend schizophrène. Bien qu’aucune de ces hypothèses n’ait pu être confirmée sci entifiquement, ce courant psychanalytique fut prépondérant dans la documentation de l’étiologie des troubles mentaux jusqu’à la fin des années 50. On entrevoit les dommages que cette conception de responsabilisation des parents, pour la maladie mentale de leur enfant, a sur le sentiment de honte, de culpabilité et de rej et que les proches de personnes atteintes de maladies mentales ressentent toujours (Guttman, 1996). Publiquement, et surtout scientifiqu ement, on cible les membres des familles comme principaux responsables de la souffrance de leur proche; le ton était donné pour la stigmatisation sociale et la marginalisation sociale intransigeantes des personnes atte intes de maladies mentales ainsi que de leurs familles.

Les années 60 vo ient émerger des théori es du courant systémique pour expliquer les causes des probl èmes de santé mentale. Ainsi, des modèles de communi cations et de relations pathologiques ou défici entes entre les membres des famille s sont à la base d’une désorganisation de la pensée qui cause l’apparition de la maladie mentale. Les confl its tàmili aux so nt ciblés comme mettant potentiellement à risque les indi vidus de déve lopper une ma ladie mentale (Rousseau, 1998). Bien qu’une fois encore, cette théorie n’a pu être prouvée, car on n’a en effet pas pu démontrer que les types dysfonctionnels de relations et de communication ne sont pas davantage présents chez les personnes atteintes de maladie mentale que chez celles sans maladie et donc n’est pas la cause de cell e-ci, la famille reste to ujours ciblée comme facteur déterminant de l’étiologie de la maladie mental e. L’émergence de ces théories aura au moins pu permettre d’élargir l’analyse en considérant des facteurs autres que purement individuels dans la cause de la maladie mentale, en portant son analyse sur les relations entre les personnes. Il faudra cependant attendre les travaux de la Commission Castonguay-Nepveu du début des années 70 pour entrevoir, du moins par écrit, une conception politique et sociale de la maladie mentale (Wallot, 1998).

En tenant la famille responsable de la maladie mentale, le traitement indiqué est donc de séparer la personne atteinte de problèmes de santé mentale de son environnement familial «nocif», «dangereux», «pathologique» et l’institutionnalisation se révèle être le moyen tout indiqué pour la «guérison». Wallot (1998) note que, en conséquence de cette conception culpabilisante envers la famille, cette dernière n’est pas incitée par le personnel hospitalier à rendre visite à un proche psychiatrisé. Les visiteurs ne sont donc pas les bi envenus, pou vant à tout moment «perturber» le traitement par des schèmes de comportements inadéquats ou conflictuels qui sont, ne l’oublions pas, à la base même du problème mental de la personne hospitalisée. De plus, notons que les conditions de vie difficiles ainsi que l’absence presque constante de stimulations du milieu asilaire en faisaient un lieu plutôt inquiétant et désolant que les proches redoutaient de visiter et que les administrateurs, somme toutes, préféraient probablement protéger de la probable appréciation péjorative du public.

Le contexte socio-économique du milieu des années 60 initiera un changement dans la place que les pratiques psychiatriques accordent à la famille. En effet, les impératifs de réduction des coûts «correspondent» à une conscientisation de la population quant au traitement asilaire des personnes souffrant de maladie mentale; la parution du livre «Les fous crient au secours>> (Pagé, 1961) et le dépôt du Rapport Bédard en 1962 (cité dans Wallot, 1998) préparent la venue du mouvement de désinstitutionalisation qui sera officiellement enclenché en 1971 après la Commission CastonguayNepveu. On renverse donc la tendance: alors que la famille est considérée potentiellement menaçante pour l’équilibre psychique et social de l’individu (Guttman, 1996), par ses mesures de désinstitutionalisation, l’État rétablit le rôle d’aidant en sollicitant davantage leur participation en ce qui concerne le retour en mili eu naturel des personnes ayant des problèmes de santé mentale (Guberman, 1990).

Mais les préj ugés sociaux sont tenaces et même si les dernières décennies mettent l’accent sur la présence d’une variété de facteurs causaux, dans l’apparition d’un problème de santé mentale, les impacts de cette vision longtemps admise, qui responsabilise les membres des familles pour la maladie mentale d’un proche, perdurent. Depuis 1970, les familles s’organisent et créent des groupes de soutien et des groupes de défenses de droits desquels découl ent en majeure partie des préoccupations actuelles.

Encore aujourd’hui, les groupes de soutien et les groupes de défense des proches de personnes atteintes de maladie mental e critiquent le manque de considération de la part des intervenants à leur égard; les membres des familles perçoivent qu’ils sont considérés comme accessoire au traitement ou au sui vi de leur proche ayant des problèmes de santé mentale et que leur potentiel, en tant qu’aidant naturel, est exploité à l’extrême sans pour autant être reconnu comme étant essentiel. Les familles déplorent le fait d’avoir à quémander l’information et les renseignements relatifs au traitement de leur proche ainsi que le fait d’être considérées comme des aidants de deuxième ordre au lieu de réels collaborateurs (Guberman, 1990; Côté et al., 1998).

Sabetta (1984) note que le «sentiment de choc, d’impuissance ou de culpabilité devant la maladie mentale d’un proche» (p. 169) est toujours ressenti par les membres des familles, ce qui semble d’ailleurs être corroboré par les études auprès des personnes concernées (Rousseau, 1998): les conjoints s’interrogent fréquemment sur l’aide qu’ils auraient pu apporter pour éviter l’apparition d’un trouble mental chez l’autre, les parents s’imputent encore trop souvent la responsabilité de la maladie (Guttman, 1996) et la honte et l’embarras des proches sont souvent douloureux dans un contexte social de stigmatisation de d’étiquetage (Sévigny, 1999).

Les familles critiquent également le manque de support qui leur est alloué face au travail et aux responsabilités qui incombent à la prise en charge d’une personne ayant une maladie mentale, ce qui avait d’ailleurs été noté dans le Rapport du vérificateur général de 1996 (cité dans Wallot, 1998) ainsi que dans le Bilan d’implantation de la politique en santé mentale en 1997 (cité dans Wallot, 1998). Le Ministère de la santé et des services sociaux (MSSS), dans sa Politique officielle de santé mentale du Québec de 1988, a formulé un de ses objectifs en faveur du maintien ou du retour des personnes vivant des problèmes de santé mentale dans leur milieu de vie naturel. Mais, plus de dix ans plus tard, le constat est lourd pour les familles concernées qui remarquent le manque de soutien qui leur est accordé (Boily, 2000). La charge des familles est considérable et ce sont les femmes qui sont le plus souvent pourvoyeurs de soins dans le présent contexte (Guberman, 1990). Il semble de plus en plus probant que la politique met le milieu familial à risque de détresse psychosociale en lui imposant des responsabilités de soins et des stress substantiels. Les femmes, plus particulièrement, semblent avoir à porter l’intensité de ce fardeau, alors que leurs conditions de vie et de travail se détériorent à mesure que les charges d’aidantes naturelles s’alourdissent (Guberman, 1990; Côté et al., 1998).

On perçoit donc un retour du balancier quant à l’implication des familles. Alors qu’à la période préasilaire, les familles prenaient entièrement et exclusivement en charge leur proche vivant avec une maladie mentale, l’apparition des institutions asilaires les décharge de ces soins, l’explication médicale les rendant même responsables de la présence de maladie mentale chez un de leur membre. La deuxième moitié du XXe siècle viendra une fois de plus renverser la tendance avec la désinstitutionalisation des années 70 et le virage ambulatoire du milieu des années 90, alors que la famille sera directement pressentie pour prendre en charge ses proches atteints de problèmes de santé mentale.

En 1989 était publiée la Politique de santé mentale qui visait, entre autres choses, l’intégration sociale et le maintien dans le milieu de vie des personnes vivant avec un trouble de santé mentale grave; près de quinze ans plus tard, force est de constater que les écarts so nt notables entre le document de la politique et l’application de celle-ci.

«La concentration des dépenses publiques consacrées à l’hospitalisation, le nombre élevé de lits hospitaliers dédiés aux soins psychiatriques, la répartition inégale des dépenses en santé mentale entre les différentes régions ainsi que la rareté des services offerts autre que l’hospitalisation dans plusieurs régions ont aillSi mis en lumière zm virage vers la communauté, qui ne s ‘est que partiellement réalisé.» (MSSS, 1997, 1998, 2001, cité dans Pen·eault, Provencher, St-Onge et Rousseau, 2002, p. 199).

L’implication des aidants familiaux était alors directement sollicitée par la Politique; il est pertinent de sonder leur expérience et ainsi mieux connaître ce qui se passe dans le quotidien des personnes vivant avec un problème de santé mentale et dans celui de leur famille.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE ET RECENSION DES ÉCRITS
1. Exploration des généralités concernant les troubles mentaux graves
2. Les besoins des membres des familles qui s’investissent auprès d’un proche qui vit avec un problème de santé mentale
3. Les interventions : les avenues actuelles qui prévalent dans le domaine de la santé mentale
3.1 Revue de quelques interventions et programmes visant le suivi d’une personne vivant un problème de santé mentale
3.1.1 Le modèle de Madison (Stein et al. , 1990, cité dans Gélinas, 1997)
3.1 .2 L’approche psychoéducative familiale (Boucher et Lalonde, 1982)
3 .1.3 La réhabilitation par 1′ approche psychosociale-relationnelle intégrée, en consultation externe (Siani, 1993)
3.1.4 Les appartements protégés (supervisés 24 heures sur 24 ou supportés par des visites sporadiques) (Mercier, 1986; Friedrich et al., 1999)
3.1.5 Les pratiques de réseaux (Elkaïm, 1987)
3.1.6 La théorie des systèmes comme ligne directrice à une meilleure compréhension des interactions entre les membres des familles dont 1 ‘un vit avec un problème de santé mentale (Belsky, Spanier et Lerner, 1983)
3.2 La sollicitation de 1 ‘implication des familles par les avenues actuelles qui prévalent en intervention auprès des personnes atteintes de maladie mentale
4. La notion d’aidant
5. La notion de fardeau : les conséquences familiales d’être pourvoyeurs de soins … le fardeau objectif et subjectif
6. La pertinence de la notion de contrôle
7. La pertinence pratique et sociale du stage
CHAPITRE 2: LE CADRE THÉORIQUE; STRESS, SOUTIEN SOCIAL ET ADAPTATION DES FAMILLES
l. Le concept de stress
2. Le paradigme stress-coping
2.1 L’appréciation ou l’évaluation cognitive
2.2 Les stratégies d’adaptation
2.2.1 Les stratégies d’adaptation centrées sur les émotions
2.2.2 Les stratégies d’adaptation centrées sur le problème
2.3 Le modèle structural de stratégies d’adaptation
3. Les ressources internes et externes de soutien
4. Le rôle du soutien social et des stratégies d’adaptation dans l’expérience vécue par les familles
4.1 Les types de soutien social
4.2 La perception du soutien social
5. Relation entre le soutien social et les stratégies d’adaptation sur l’expérience du stress et le concept de fardeau
6. Les questions au centre de la présente démarche d’exploration
7. Les quatre dimensions à l’étude
CHAPITRE 3 : PRÉSENTATION DU MILIEU DE STAGE; LE CENTRE DE SANTÉ VALLÉE-DE-L’OR
l. Perspectives historiques du développement des Centres locaux de services communautaires (CLSC)
1.1 Historique des Centres locaux de services communautaires (CLSC) et des Centres de santé (CS) au Québec
1.2 Les domaines d’intervention des CLSC et CS
1.3 Historique et développement du Centre de santé de la Vallée-de-l’Or
2. La place du Centre de Santé Vallée-de-l’Or dans la dispensation des services en santé mentale à la population
2.1 L’évolution des services psychiatriques et des services dans le domaine de la santé mentale en Abitibi-Témiscamingue- des années 60 jusqu’à aujourd’hui
2.2 Les orientations théoriques des services de santé mentale en Abitibi-Témiscamingue : la contribution du modèle de psychiatrie communautaire en CLSC -contexte d’apparition et éléments de contenu
2.3 L’établissement d’un réseau intégré de services en santé mentale dans la MRC de la Vallée-del’Or
3. Présentation du Centre de Santé Vallée-de-l’Or
3.1 La mission du Centre de Santé Vallée-de-l’Or
3.2 La structure du Centre de Santé
4. La pratique du travail social en CLSC
5. Le projet de stage : présentation du projet et observations sur le terrain
CONCLUSION

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