Faire une anthropologie de l’éthique entrepreneuriale

Faire une anthropologie de l’éthique entrepreneuriale

Il y a quelques décennies de cela, les moyens utilisés par les entreprises pour atteindre une fin exclusivement monétaire n’étaient jamais interrogés ; l’entreprise se contentait de produire du capital et de conquérir de nouvelles parts de marché. Dans son ouvrage « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », Max Weber démontre que le capitalisme occidental a pu voir le jour grâce au postulat protestant posant le gain d’argent comme une possibilité de fin en soi. Et dans le cas des entreprises, la course du gain les disqualifiait de toute considération morale quant aux modes de production ou de distribution. Parallèlement à la montée en puissance des entreprises dans le domaine politique au début des années 70, de nombreux scandales tels que ceux du Bhopal6 ou de Piper Alpha7 ont provoqué une remise en question de la responsabilité et l’immunité morale de celles-ci. Tous ces moments de reconsidération ont largement contribué à la transformation des frontières de l’action économique et morale des entreprises au sein de la société (Welker, Partridge, Hardin, 2011). La formulation d’un discours éthique s’est formé à partir de ce moment, avec une terminologie largement inspiré de la philosophie morale.

Les années 1970 ont vu naître une profusion de discours sur l’éthique ; cela a pu apparaître comme une initiative du monde de l’entreprise visant à remodeler le mode de fonctionnement du capitalisme en moralisant les moyens ainsi que la fin de celui-ci. C’est véritablement dans les années 1990 que le mouvement éthique connaît un essor considérable. Un infléchissement des politiques d’entreprises multinationales vers un mode de gouvernance dit éthique va progressivement entrer dans les pratiques usuelles. Les entreprises commencent dès lors à se soucier de leur image face à l’intérêt public. Le discours managérial s’est alors fortement teinté de références à la philosophie morale, dès la fin des années 1980, il est assez fréquent de retrouver des références à Kant ou Aristote (Koestenbaum, 1987). Ladite philosophie de  l’entreprise est par ailleurs incluse dans la « culture d’entreprise » (Salmon, 2007), elle devient un atout sur lequel il faut capitaliser. institutionnelle fut progressive. L’éthique devient alors une production de l’entreprise et sort du domaine philosophique. L’utilisation du terme éthique dans le monde économique ne correspond cependant pas à celle de son homologue philosophique. En entreprise, il est surtout utilisé comme un synonyme de morale appliquée au monde des affaires, alors qu’en philosophie morale, l’éthique — bien que sujet à débat (Edel, 1953) — décrit au contraire la manière particulière à l’homme de remettre en question la morale sur le plan individuel, elle désigne cet espace de négociation entre la raison et la morale héritée – appelé également le jugement éthique (Edel, 1953, 1962 ; Illies, 2003). Il arrive qu’elle puisse aussi être simplement le synonyme grec de morale (du latin mos, mores) dans certains cas, mais surtout dans les autres sciences humaines.

Cette rencontre entre la philosophie morale et le monde des affaires va faire naître l’éthique appliquée ainsi que les expressions : éthique des affaires et éthique entrepreneuriale. Cette rencontre est née, selon la sociologue Anne Salmon, du besoin de trouver du sens et de la légitimité à ses actions et à ses fins. Comme elle le souligne, « Dans l’histoire du capitalisme, ce sens avait été fourni jusqu’à présent par ce que l’anthropologie nomme les deux grandes éthiques transcendantes, l’esprit protestant du capitalisme et la morale de l’œuvre collective associée à l’idée de progrès. » (Salmon, 2000 : 3). La manière qu’ont les entreprises contemporaines de repenser les moyens de leur production ainsi que leurs mobiles est révélatrice de logiques sociales plus larges. Les entreprises sont cependant constamment sujettes à des pressions extérieures, qui remettent en question leur production.

Un climat social défavorable aux puissantes multinationales, tant au niveau des états (loi française8), de l’Europe, que de l’influence historique des institutions internationales (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale), a mené à la création de « standards ». Lors du discours de Kofi Annan9 au forum de Davos en 1999, le « Pacte mondial » pose un cadre politique et pratique aux engagements des entreprises. Les standards exogènes, d’abord impulsés par les États et les institutions, que sont les normes ISO10 ont tenté de poser des guides de bonne conduite. La norme ISO 26000, depuis 2010, a posé les bases d’une ligne de conduite pour les entreprises prêtes à poursuivre un engagement RSE. Contrairement aux autres normes, elle n’est pas suivie par une certification, elle est exclusivement basée sur le bon vouloir des chefs d’entreprise et le volontariat.

 

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