Habiter le décor

Habiter le décor

Car il faut le souligner : l’étude que nous venons de mener montre bien que la peinture reste, en l’absence du mobilier très rarement conservé, le principal vecteur de codage de l’espace domestique. Il n’y a guère qu’à Rome et, éventuellement, dans quelques grandes villas d’Italie centrale, que celle-ci ne semble plus en mesure de marquer, à elle seule, les pièces les plus importantes et se trouve associée à des revêtements de marbre, voire à d’autres formes de décor comme des éléments stuqués. Comment la peinture structure-t-elle l’espace ? Y a-t-il des variations selon les différentes zones stylistiques mises en évidence et selon les périodes ? C’est ce que nous allons essayer de synthétiser à présent, en commençant à l’échelle de la pièce avant de nous intéresser aux programmes décoratifs dans leur globalité.

La pièce comme un tout

Il est très rare d’avoir une perception globale du décor d’une pièce, du sol au plafond. A Ostie536, les quelques cas dont on dispose, dans l’Insula delle Ierodule (OST 09), dans l’Insula delle Volte Dipinte (OST 08) et dans l’Insula del Soffitto Dipinto (OST 07), témoignent de solutions communes. Tout d’abord, le plafond et les parois sont toujours traités dans la même gamme de couleurs, présentant en ce sens une vraie continuité visuelle. On observe cependant une sorte de répartition des motifs, en particulier dans les pièces principales aux décors polychromes : les plafonds sont richement ornés tandis que les parois, structurées par des éléments architecturaux, sont généralement assez pauvres en motifs ornementaux537. Ce foisonnement des décors de plafond s’oppose à la relative sobriété des pavements, avec des compositions géométriques couvrantes le plus souvent assez simples.

contraintes techniques plus importantes pour ces surfaces, ce qui conduisait peut-être à faire travailler là les peintres les plus expérimentés (commentaire personnel au cours d’une visite de l’Insula delle Ierodule dans le cadre de l’ « Ecole thématique internationale sur les entrepôts romains – Ostia Antica (12-23 septembre 2011) »). Cette explication est séduisante ; elle ne peut cependant suffire à expliquer la disparité car, d’une part, on imagine mal que les peintres les plus compétents aient été cantonnés aux plafonds, d’autre part, parce que ce n’est pas tant la qualité de réalisation qui est en jeu que la richesse ornementale. On peut néanmoins émettre l’hypothèse d’une spécialisation, d’autant plus nécessaire que les contraintes techniques sont effectivement différentes : les peintres dédiés aux plafonds acquéraient une maîtrise particulière dans le traitement des motifs ornementaux, tandis que les peintres chargés des parois se spécialisaient dans les motifs architecturaux.

Notons également qu’il n’y a jamais de correspondance entre la structure des pavements et celle des plafonds : dans l’Insula delle Ierodule, les plafonds que l’on a pu restituer sont décorés de compositions centrées, tandis que les pavements sont tous organisés selon des compositions couvrantes ; la situation est la même dans la pièce 1 de l’Insula del Soffitto Dipinto, ainsi que dans l’Insula delle Volte Dipinte où les pièces qui ont conservé leur voûte peinte, toutes à composition centrée, sont pavées soit de mosaïque à motif géométrique couvrant, soit d’opus spicatum. Dans ces ensembles, les pavements, neutres, faisaient en quelque sorte office de faire valoir pour le décor peint, à la fois continu et complémentaire, des parois et du plafond. Si ces cas semblent majoritaires à Ostie, d’autres situations devaient se rencontrer, puisqu’on observe également des pavements plus sophistiqués, qui retiennent le regard autant que le décor des parois. C’est le cas dans les pièces VII et VIII de l’Insula delle Pareti Gialle (OST 10.06 et 07)) ; malheureusement, on ne sait rien de leur couverture et de son décor.

corrélation entre la richesse et/ou la complexité du pavement et celles du décor peint. En effet, même dans les insulae d’Ostie où les pavements sont dans l’ensemble simples, une gradation apparaît. Ainsi, dans la Casa delle Muse nous avions montré une hiérarchie entre des pavements uniformes, des pavements à motifs géométriques simples type damier et des pavements à motifs géométriques plus complexes. Dans un appartement beaucoup plus modeste comme celui de l’Insula del Soffitto Dipinto, la pièce principale est pavée d’une mosaïque géométrique à motif couvrant tandis que, dans les autres espaces, prennent place de simples mosaïques blanches, encadrées, au mieux, d’une bande noire. Par ailleurs, les cas du Caseggiato di Annio ou de l’appartement 26-32 du Caseggiato degli Aurighi montrent que, quand les peintures ne sont pas différenciées entre elles, les pavements ne le sont pas davantage.

Choix d’un décor : des critères partagés

La forme et les dimensions d’une pièce conditionnent bien sûr en partie les choix décoratifs. Pour les parois, le rapport entre la longueur et la largeur joue un rôle important. Les espaces dont la longueur est beaucoup plus importante que la largeur reçoivent de manière privilégiée des compositions à panneaux, sinon parfaitement modulaires, du moins non centrées541. A l’inverse, dans les espaces dont le rapport longueur / largeur est plus équilibré, on privilégie les compositions complexes ou les compositions à panneaux centrées. Pour ces dernières, les rythmes impairs (3 ou 5 panneaux selon la longueur de la paroi) restent très majoritaires. Ce type d’espace peut cependant accueillir, parfois, des compositions modulaires. C’est en particulier le cas en Italie du Nord, comme dans la pièce A bis dans la domus di Via Arena à Bergame, où la restitution d’une composition modulaire est certaine (BER 01.01). La hauteur des parois entre également en jeu. Il semble en effet qu’il y ait eu des hauteurs limites pour la zone principale, tant minimale que maximale. Ainsi les compositions qui se déploient sur plus de trois niveaux sont strictement réservées aux parois particulièrement hautes. Les cas les plus significatifs sont ceux des pièces principales du Caseggiato dei Dipinti (OST 03.06 ; 04.07, 08 ; 05.01, 04) ou du cryptoportique de la domus sous la Velia (ROM 12.01), dont l’élévation est d’environ 6 m). De plus, on ne voit jamais, sur ces mêmes parois, de compositions bipartites ou tripartites qui auraient été adaptées aux bien sur des voûtes en berceau544 que sur des voûtes en croisées545 ou des plafonds plats546. Apparaît seulement, sur le faible échantillon dont on dispose, un emploi des modules quadrangulaires plutôt sur les plafonds plats ou, plus rarement, sur les voûtes en berceau, mais jamais sur les voûtes à croisées où sont préférés les modules circulaires ou octogonaux. La forme de la couverture joue là un rôle évident.

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