Influence des phases amorphes dans la réponse optique des régolites planétaires

Influence des phases amorphes dans la réponse optique des régolites planétaires

 Spectroscopie 

Spectre électromagnétique 

Le milieu naturel offre la possibilité d’observer différentes ondes électromagnétiques, qui résultent de la superposition d’ondes sinusoïdales simples caractérisées par leur propre longueur d’onde. Ces composantes spectrales sont étudiées spécifiquement en télédétection suivant les informations que l’on cherche à retirer d’un rayonnement. La figure 1.1 présente le spectre électromagnétique et les principales gammes spectrales utilisées en télédétection, du rayonnement gamma aux ondes radio. Chacune d’elles permet d’accéder à des informations variées, de la présence d’éléments chimiques grâce au rayonnement gamma, à la texture et l’analyse de la subsurface grâce au radar. Mais dans toute la suite, nous ne nous intéresserons qu’à un domaine relativement étroit du spectre électromagnétique, le domaine optique, qui s’étend du visible au proche infrarouge, soit entre 400 nm et 2.50 μm. 10 GeV 10 MeV 104 eV 103 eV 102 eV 10 eV 1 eV 10-1 eV 10-2 eV 10-3 eV 10-4 eV 10-5 eV 10-6 eV rayons gamma ondes radio ondes submillimétriques rayons X infrarouge ultraviolet micro-ondes λ 10-16 m 10-11 m 0.1 nm 1 nm 10 nm 100 nm 1 μm 10 μm 0.1 mm 1 mm 1 cm 10 cm 1 m 10 m 100 m 400 nm 700 nm Violet Jaune Bleu Orange Vert Rouge 400 nm 700 nm Violet Jaune Bleu Orange Vert Rouge visible Petite longueur d’onde Haute fréquence Photons de haute énergie Grande longueur d’onde Petite fréquence Photons de faible énergie ondes centimétriques Ultra Haute Fréquence Fig. 1.1 : Spectre électromagnétique. 

Principes de la spectroscopie 

La spectroscopie trouve ses racines dans le XVIIème siècle, lorsque Newton, en 1666, découvre que la lumière blanche résulte en fait de la superposition de lumières monochromatiques, en faisant passer la lumière du Soleil à travers un prisme. Mais il faut attendre 1802 pour la construction du premier spectroscope par le scientifique anglais William Wollaston, et c’est le début du XIXème siècle qui voit la spectroscopie émerger comme technique majeure de l’astronomie moderne, avec l’étude des bandes d’émission des photosphère et chromosphère solaires. 1.1. Spectroscopie 21 La spectroscopie a d’abord été étudiée depuis la Terre avec des télescopes munis de filtres interférentiels, puis de réels spectromètres, et l’évolution de la technique a permis de passer de l’étude de points à de l’imagerie multispectrale. Aujourd’hui, les spectromètres sont des instruments indispensables à bord des satellites d’observation de surfaces planétaires, mais également des rovers (Mars Exploration Rovers, Mars Science Laboratory), permettant d’élargir le domaine spectral de perception de l’œil humain au spectre électromagnétique entier et en sélectionnant des gammes de longueurs d’onde spécifiques. Ils permettent de décomposer le rayonnement qu’ils reçoivent avec une résolution toujours plus grande : des spectres à cinq canaux réalisés à partir de la caméra multispectrale UV-Vis de la sonde lunaire Clementine (1994), aux spectromètres actuels qui offrent des données hyperspectrales de plusieurs centaines de canaux (e.g., le spectromètre Spectral Profiler à bord de SELENE avec 296 canaux sur le domaine 0.5–2.6 μm, cf. Yokota et al. [2011]). Leur sensibilité est également en constante amélioration, ce qui permet d’accéder, en plus des domaines classiques de la discipline que sont l’ultraviolet, le visible et le proche infrarouge (physicochimie des surfaces planétaires), aux domaines de l’infrarouge moyen et lointain (étude des objets froids du Système Solaire). En pratique, la spectroscopie étudie la réflectance, c’est-à-dire le rayonnement incident réfléchi par une surface, en fonction de la longueur d’onde. Ce rayonnement réfléchi contient deux composantes : • la composante spéculaire, pour laquelle il n’y aucune interaction en profondeur avec la surface (c’est le cas d’un miroir) ; • la composante diffuse, pour laquelle la radiation incidente a pénétré dans au moins un grain avant d’être renvoyée vers l’observateur (cas de poudres par exemple). C’est cette composante-ci qui renferme les informations de composition de la surface. La façon de décomposer le rayonnement réfléchi n’est cependant pas unique, et dépend du niveau où l’on se place dans la phénoménologie des processus d’interaction rayonnement/matière. Une autre décomposition pourrait être : composante de diffusion simple, composante de diffusion multiple volumique, cette dernière pouvant elle-même être divisée en partie cohérente et incohérente. Le domaine spectral étudié dépend de la présence ou non d’atmosphère, de l’intensité de la radiation thermique émise par le corps considéré, et du domaine de sensibilité du détecteur utilisé. C’est pourquoi les études spectroscopiques sont de façon générale menées entre 0.4 et 2.5 μm (visible à infrarouge proche). L’interaction des radiations électromagnétiques d’une source (le Soleil par exemple) avec une surface solide produit des bandes d’absorption dans le spectre de réflectance en raison de l’absorption sélective des radiations à certaines longueurs d’onde par les constituants minéralogiques du matériau. Elles résultent soit de transitions électroniques (transferts d’électrons entre des niveaux d’énergie différents dans les atomes, les principaux éléments de transition étant Fe2+, Ti3+ et Cr3+), soit de transitions vibrationnelles (excitations moléculaires à l’intérieur du réseau cristallin). Une bande d’absorption caractérise un élément (fer, titane, etc.) et sa position dans le réseau cristallin. La position (longueur d’onde λ) et la profondeur de chacune des bandes d’absorption par rapport au continuum constitue la signature minéralogique du matériau présent à la surface. Les transitions électroniques génèrent des bandes d’absorption localisées dans l’UV, le visible et le proche infrarouge, alors que les transitions vibrationnelles sont à l’origine de bandes d’absorption dans l’infrarouge moyen (Le Bras et Erard [2003]). Méthodes optiques d’analyse des surfaces planétaires 22 À noter que les phases amorphes (ou verres) ne présentent pas par définition de structure cristalline, i.e. leur réseau atomique ne présente pas de périodicité à longue distance. De ce fait, ce type de matériau ne présente pas en théorie de bande d’absorption marquée (spectre plat). Cependant, il est difficile de refroidir un matériau en fusion suffisamment rapidement pour prévenir complètement toute cristallisation, ce qui peut expliquer les faibles bandes d’absorption parfois observées pour des verres. La spectroscopie peut être appliquée à tout type de minéraux et de roches (magmatiques, plutoniques ou volcaniques, sédimentaires,…), mais dans toute la suite nous nous concentrerons sur des matériaux d’origine magmatique, dominés par trois minéraux : les pyroxènes, le plagioclase et l’olivine. 

 Spectres de minéraux et roches 

En effet, les pyroxènes, l’olivine et le plagioclase sont les minéraux majeurs des roches magmatiques plutoniques et volcaniques, et les principaux minéraux présents à la surface de la Lune (Shkuratov et al. [2011]). Les travaux présentés ici étant centrés sur l’étude de matériaux volcaniques, une brève description des caractéristiques spectrales de ces minéraux et des roches dont ils sont les principaux constituants est donnée dans cette partie, ainsi que leur implication dans l’étude de la croûte lunaire. Dans le cas de minéraux contenant du fer et du magnésium, tels que l’olivine et les pyroxènes, on parlera de minéraux mafiques (terme dérivé de magnésium et fer). Une roche étant un assemblage de différents minéraux, on la qualifiera de mafique si le plagioclase (minéral felsique) constitue plus de 20% de la roche (e.g., le basalte), et d’ultramafique lorsque la majorité de ses minéraux constitutifs correspond à de l’olivine et/ou du pyroxène (e.g., cas des péridotites). Les pyroxènes Les pyroxènes sont des minéraux essentiels des roches magmatiques et métamorphiques. De formule (Mg,Fe2+,Ca)SiO3, ils sont classés suivant leur composition dans un diagramme ternaire de pôles Fe, Mg et Ca, présenté à la figure 1.2. augite pigeonite enstatite ferrosilite diopside hedenbergite Fig. 1.2 : Diagramme ternaire du pyroxène. Du point de vu de leur organisation cristalline, ils sont divisés en deux familles : • les orthopyroxènes (OPX) ont un système orthorhombique (élément de base : parallélépipède rectangle) et ne contiennent pas de calcium (i.e. se situent sur la ligne du diagramme de la figure 1.2 reliant l’enstatite, pôle magnésien, à la ferrosilite, pôle ferreux) ; • les clinopyroxènes (CPX) ont un système monoclinique (élément de base : prisme oblique à base losange) et contiennent du calcium. De très nombreuses études menées sur les pyroxènes ont montré un décalage de leurs deux bandes d’absorption caractéristiques, autour de 1 μm et 2 μm, vers les grandes longueurs d’onde lorsque la teneur en Fe2+ augmente (e.g., Adams [1974], Hazen et al. [1978], Klima et al. [2007]). Leur intensité (profondeur de bande) peut également diminuer s’ils sont altérés. Le passage d’un CPX pur à un OPX pur (diminution de Ca2+) montre un décalage vers les courtes longueurs d’onde et une augmentation de l’intensité des bandes d’absorption à 1 μm et 2 μm vers les courtes longueurs d’ondes (cf. Fig. 1.3.a). Cette évolution en longueur d’onde des centres des bandes d’absorption suggère une évolution correspondante de leur composition. L’olivine De formule (Mg,Fe)2SiO4, l’olivine est une solution solide continue dont les termes extrêmes sont la forstérite Fo (Mg2SiO4) et la fayalite Fa (FeSiO4). Elle est caractérisée par une large bande d’absorption complexe vers 1 μm due à la présence de Fe2+, d’autant plus large, plus profonde et décalée vers les grandes longueurs d’onde que la teneur en Fe2+ est importante (et donc absente dans le cas du terme 100% magnésien Fo100). La bande large de l’olivine est en fait une bande composite car formée de trois bandes d’absorption qui varient de façon conjuguée près d’une position centrale proche de 840 nm, 1050 nm et 1220 nm, comme le montre la figure 1.3.b. Les plagioclases De formule (Na,Ca)(Si,Al)4O8, les plagioclases appartiennent à un groupe plus large de minéraux appelés feldspaths (minéraux essentiels de la plupart des roches magmatiques et de certaines roches métamorphiques) et forment une série continue entre leur pôle sodique, l’albite, et leur pôle calcique, l’anorthite. Très présents dans les roches, les plagioclases purs ne présentent aucune bande d’absorption. Une large bande d’absorption entre 1.1 et 1.3 μm, de faible intensité, peut toutefois exister (cf. Fig. 1.3.c, 1.3.e, 1.3.g) dans le cas où de petites quantités de Fe2+ sont présentes.

Spectres de roches mafiques

Le spectre de réflectance d’une roche est la résultante des spectres de chacun de ses constituants minéraux (cf. Fig. 1.3.c). La largeur, la profondeur et le centre des bandes d’absorption représentent la sommation des comportements d’absorption des phases minérales contenant des éléments de transition dans leur structure cristalline, et ne témoignent pas de la présence d’autres minéraux dépourvus de ce type d’ion. De plus, les minéraux dont le rapport profondeur optique (distance à partir de laquelle le faisceau incident est complètement absorbé) sur taille des grains est proche de 1 sont ceux qui contribuent le plus significativement au spectre de la roche. La netteté des bandes d’absorption d’un minéral n’est pas non plus fonction de son pourcentage au sein de la roche. Ainsi, les bandes d’absorption du pyroxène dominent toujours, ce qui permet de le détecter même en faible quantité. Dans les mélanges pyroxène/olivine (cf. Fig. 1.3.d), la large bande d’absorption de l’olivine devient d’autant plus étroite que sa proportion est faible. La bande d’absorption du plagioclase est toujours peu prononcée, même si celui-ci domine ; dans les mélanges plagioclase/pyroxène (cf. Fig. 1.3.e), il faut que le plagioclase soit présent au moins à 75% pour pouvoir être détecté. Les minéraux et éléments opaques réduisent l’intensité (profondeur) des bandes d’absorption de tous les autres minéraux présents dans la roche. Par exemple, 25% d’ilménite (minéral opaque courant de formule FeTiO3) réduisent fortement les bandes d’absorption du pyroxène (cf. Fig. 1.3.f, 1.3.g). Cas de la croûte lunaire Les trois minéraux mafiques clés quasi omniprésents dans les échantillons lunaires sont les deux phases de pyroxène (CPX et OPX) et l’olivine. Leur distribution dans les échantillons de roche renseigne sur différents régimes de fusion : alors qu’une fraction élevée d’olivine suggère une origine de croûte inférieure ou même mantellique, la présence de CPX indique plutôt un fractionnement tardif de produits de fusion relativement plus évolués. Le mode d’occurrence et la distribution spatiale/volumique de ces phases fournit une clé pour mieux comprendre l’évolution de la croûte lunaire, avec des implications pour les couches plus profondes et l’évolution thermale globale de l’intérieur planétaire (Bugiolacchi et al. [2011]).

Table des matières

INTRODUCTION
1. METHODES OPTIQUES D’ANALYSE DES SURFACES PLANETAIRES
D’ORIGINE MAGMATIQUE
1.1. Spectroscopie
1.1.1. Spectre électromagnétique
1.1.2. Principes de la spectroscopie
1.1.3. Spectres de minéraux et roches
1.1.4. Interprétation des spectres de réflectance
1.2. Polarimétrie
1.2.1. Principes physiques de la polarisation
1.2.2. Effets sur les matériaux particulaires
1.3. Photométrie
1.3.1. Étude des propriétés de surface par la photométrie
1.3.2. Applications des résultats photométriques
2. PHOTOMETRIE : GRANDEURS PHYSIQUES, MODELES ET OUTILS
EXPERIMENTAUX
2.1. Grandeurs physiques utilisées en photométrie
2.1.1. Interaction rayonnement/matière
2.1.2. Conventions angulaires
2.1.3. Flux F
2.1.4. Intensité I
2.1.5. Luminance Le
2.1.6. Éclairement Ei
2.1.7. Émittance M
2.1.8. Réflectance bidirectionnelle
2.1.9. Les albédos
2.2. Photométrie des surfaces planétaires
2.2.1. Extinction
2.2.2. Albédo de diffusion simple
2.2.3. Les fonctions de phase
2.2.4. La rugosité macroscopique
2.2.5. Les effets d’opposition
2.2.6. Diffusion multiple
2.3. Les modèles photométriques
2.3.1. Théorie de Mie
2.3.2. Équation du transfert radiatif
2.3.3. Modèle de Lambert
2.3.4. Modèle de Minnaert
2.3.5. Modèle de Lommel-Seeliger
2.3.6. Fonction de Lambert Lunaire
2.3.7. Modèle de Hapke
2.3.8. Modèle de Douté et Schmitt
2.3.9. Modèle de Shkuratov
2.4. Choix du modèle
2.5. Méthodes de résolution des modèles photométriques
2.5.1. Calcul direct, Monté Carlo, gradient descendant
2.5.2. Algorithme génétique
2.6. Les outils spectrophotométriques
2.6.1. Les spectrophotomètres
2.6.2. L’imageur spectral ISEP
2.6.3. Le spectromètre ASD
3. INFLUENCE DES PROTOCOLES D’INVERSION ET DE LA DENSITE DES
DONNEES SUR LES RESULTATS PHOTOMETRIQUES
3.1. Description des échantillons
3.2. Confrontation entre différentes techniques d’inversion
3.2.1. Le problème de la détermination des erreurs expérimentales
3.2.2. Les différentes philosophies de pondération des mesures
3.2.3. Résultats sur les échantillons naturels
3.2.4. Simulation d’une erreur de mesure systématique et influence sur les paramètres
3.3. Influence de la distribution des données sur les résultats
3.3.1. Le problème de la densité des données en photométrie
3.3.2. Cas de référence
3.3.3. Observations dans le plan principal uniquement
3.3.4. Observations à incidence fixe
3.3.5. Troncature des grands et/ou petits angles de phase
3.3.6. Synthèse
4. CARACTERISATION PHOTOMETRIQUE EXPERIMENTALE DE
MATERIAUX GRANULAIRES VOLCANIQUES NATURELS
4.1. Photométrie expérimentale
4.1.1. État de l’art de la photométrie expérimentale
4.1.2. Classes granulométriques et préparation des échantillons
4.2. Description et caractérisation des échantillons
4.2.1. Basalte (Pic d’Ysson)
4.2.2. Sable volcanique (Islande)
4.2.3. Pyroclastiques (Japon)
4.2.4. Olivine (Hawaï)
4.2.5. Basalte (Hawaï)
4.2.6. Verre basaltique
4.2.7. Mélanges basalte (Pic d’Ysson) et verre basaltique
4.2.8. Spectres pyroclastiques lunaires
4.3. Protocole expérimental
4.3.1. Choix des filtres et du jeu de configurations multiangulaires
4.3.2. Traitement des images
4.4. Résultats photométriques
4.4.1. Étude expérimentale du modèle de Hapke sur des échantillons naturels
granulaires surfaciques (Souchon et al. [2011b])
4.4.2. Étude de mélanges basalte/verre basaltique
5. APPLICATION A LA PHOTOMETRIE ORBITALE : LE CRATERE LUNAIRE
LAVOISIER
5.1. Régolite et photométrie lunaire
5.1.1. Le régolite lunaire
5.1.2. État de l’art de la photométrie lunaire
5.2. Les dépôts pyroclastiques lunaires
5.2.1. Description des dépôts pyroclastiques lunaires
5.2.2. Le cratère Lavoisier
5.3. Les données SMART-1/AMIE
5.3.1. Acquisition des données
5.3.2. Calibration instrumentale et reprojection des données
5.3.3. Calibration radiométrique indirecte basée sur Clementine
5.4. Inversions et résultats photométriques
5.4.1. Tests numériques préliminaires
5.4.2. Étude photométrique de régions du cratère Lavoisier
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES COMMUNICATIONS
RESUME / ABSTRACT

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